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— Il va finir par se radiner, me dit ma sœur, me faisant revenir sur terre. Raconte-nous ton boulot ! C’est quoi cette histoire ?

Je leur traçai les grandes lignes de ma convocation dans le bureau du big boss, un œil sur l’entrée du bar.

— Yaël, tu as un gros problème ! m’annonça Jeanne.

Je tournai vers elle un visage surpris, ma pinte à la main. Elle affichait un sourire vicieux.

— Quoi ?

Je bus une gorgée ; je ne voyais pas où elle voulait en venir.

— Il faut que tu te sapes ! Tu n’as plus le choix ! Fini, les Pumas et les jeans. Ça devient sérieux !

Je recrachai ma bière en aspergeant le comptoir. Alice applaudit et s’esclaffa avec Jeanne, qui percuta tout de suite.

— Génial, on va jouer à la poupée avec toi, demain !

Quelle horreur !

— Non ! m’écriai-je. Je ne veux pas me déguiser !

— Qui t’a parlé de ça ? me rétorqua Jeanne. Je vais te trouver des tailleurs et des escarpins à la boutique. Ça fera l’affaire !

Je fis la lippe.

— Jamais, jamais je ne mettrai de talons.

Tout le monde éclata de rire en voyant ma mine, sourcils froncés et bouche pincée.

— Il se passe quoi ici ?

À l’instant où j’entendis la voix grave de Marc qui semblait toujours annoncer une catastrophe, j’oubliai mon problème vestimentaire, et me tournai vers lui à nouveau détendue et souriante. Il arriva nonchalamment, serra la main du barman et déposa son tabac à rouler sur le comptoir. Puis il vint derrière moi, passa son bras au-dessus de mon épaule et chipa ma pinte, dans laquelle il but une grande rasade de bière, en me faisant un clin d’œil.

— Bon, alors, qui me répond ? On fête quoi ? insista-t-il.

— J’ai un job, lui répondis-je, un grand sourire aux lèvres.

Il me fixa, franchement surpris.

— Et c’est une bonne nouvelle ? Tu veux bosser, toi ?

— Non, je veux pas bosser, mais bon, on me l’a gentiment proposé, je ne pouvais pas refuser ! lançai-je en éclatant franchement de rire.

— Tu es incroyable !

Il pencha son mètre quatre-vingt-cinq vers moi pour bien planter ses yeux malicieux dans les miens.

— Bringue de folie, ce soir ?

— Yes !

— Allez, je paye ma tournée en l’honneur de Yaël ! déclara-t-il, radieux.

La soirée démarra véritablement à partir de là. Ce ne fut plus qu’éclats de rire, blagues, plans débiles sur la comète et tournée sur tournée. Évidemment, il fallut qu’Adrien revienne sur mon état peu glorieux à notre dernière soirée en boîte la semaine précédente.

— Ton vol plané du podium restera dans les mémoires !

— Qu’est-ce que j’y peux moi, si je deviens hystérique avec ces chansons ?

J’avais soudoyé le DJ pour qu’il enchaîne sur mes deux tubes du moment : Murders on the dance floor et I am outta love. À coups de clins d’œil et de promesses de prendre un verre avec lui, j’avais remporté mon pari. J’avais fait mon show durant sept minutes, sauf que j’avais trop tourné sur moi-même, vu mon niveau d’alcool dans le sang, et avais fini par tomber dans les pommes en dégringolant du podium. Marc m’avait rattrapée avant que je m’éclate la tête sur le sol.

— Moi, j’ai adoré jouer aux pompiers, annonça Marc.

— Tu parles, tu as fait ton beau, lui rétorqua Jeanne. Et après, plus personne !

— Attends, je n’allais pas la gifler ! lui répondit-il en levant les mains en l’air.

— C’est moi qui m’y suis collée, compléta ma sœur. Depuis le temps que j’attendais ça.

— Saleté ! lui balançai-je en me jetant sur elle.

Nous étions les seuls clients du País ce soir-là, ce qui nous valut un petit bonus, le patron nous offrit les tapas. On se rua dessus tels des ogres, en le remerciant la bouche pleine. Puis Adrien lança un concours de fléchettes. Comme d’habitude, je fis équipe avec Marc. J’étais son binôme depuis le jour où j’avais refusé de faire équipe avec les filles, plus nulles l’une que l’autre. La victoire fut pour nous. Pendant que Jeanne et Alice se faisaient engueuler par leurs chéris respectifs, je sautai sur le dos de Marc, qui me porta triomphalement dans tout le bar. Je m’accrochai à son cou et posai mon menton sur son épaule. Il nous amena jusqu’au comptoir.

— J’ai soif, femme, me dit-il.

Je claquai une bise sur sa joue et, sans quitter son dos, j’attrapai une pinte et lui donnai à boire avant de me désaltérer à mon tour.

— Les p’tits jeunes, nous interpella le barman. Votre bus passe dans trois minutes.

Je dégringolai de son dos en moins de deux secondes, Marc me rattrapa avant que je perde l’équilibre.

— La cata ! La concierge ! cria Jeanne, dont la gardienne de l’immeuble gardait Emma dans sa loge, en échange de réductions sur les fringues vendues dans la boutique où elle bossait.

Ce fut la panique générale, nos manteaux volèrent dans le bar, chacun fit ses fonds de poche pour payer l’ardoise.

— Filez, je mets ça sur votre note, nous lança le barman.

Je passai derrière le bar et lui fis deux grosses bises.

— Tu es un amour !

— Yaël ! Qu’est-ce que tu fous ? hurla Cédric.

Forcément, essayer de passer la porte tous les six en même temps ne fut pas une grande réussite. À l’instant où le bouchon sauta et qu’on se retrouva tous sur le trottoir, le bus nous passa sous le nez.

— Fait chier ! beugla Adrien. Courez !

Jeanne avait déjà filé, sa fille l’attendait. Elle courait à toute vitesse dans ses ballerines, l’alcool devait lui donner des ailes. Elle rattrapa le bus à l’arrêt suivant et réussit à faire patienter le chauffeur. Marc grimpa le dernier, sa cigarette aux lèvres ne l’ayant pas quitté durant notre course folle.

— Jeune homme ! lui dit le conducteur.

— Oh oui, pardon.

Il se mit à fouiller dans toutes ses poches et brandit sa carte de transport.

— Je suis en règle, monsieur, lui dit-il fièrement.

— Vous vous moquez de moi !

— Pas du tout ! répondit-il, franchement surpris.

— Ta clope, Marc ! criai-je.

— Merde ! Pardon monsieur.

Tout le monde éclata de rire, Marc balança son mégot à l’extérieur du bus, qui put enfin démarrer. Le trajet de Saint-Paul jusqu’à la place Léon-Blum dut être relativement pénible pour les autres usagers, vu le bruit que nous faisions. Ma vie était parfaite, merveilleuse, je ne souhaitais rien d’autre que de rester toujours auprès de ces cinq personnes que j’aimais, me promettant de ne jamais m’en éloigner, quoi qu’il se passe. Jeanne s’ébroua comme un chien devant la porte de l’immeuble avenue Ledru-Rollin, c’était sa technique pour dessaouler juste avant d’affronter la concierge. Nous traversâmes à pas de loup la cour intérieure pour l’attendre en rang d’oignons devant l’ascenseur, où elle nous rejoignit, Emma emmitouflée dans une couverture.