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— Désolé, mais c’est fermé, l’entendis-je dire du fond de la boutique.

Sa voix était plus catastrophée qu’à l’accoutumée, plus grave encore. Sans m’avancer davantage dans la boutique, je patientai en tripotant mes mains, et remarquai son sac de voyage posé non loin de moi. Oh non, tout sauf ça ! Je reçus un coup de poing dans le ventre, il partait…

— Il faudra revenir après les fêtes, continua-t-il. Je m’en vais dans…

Ça y est, il avait fini par s’approcher. Comme d’habitude, il retira ses lunettes, se frotta les yeux et se pinça l’arête du nez. J’aimais tellement quand il faisait ça…

— Que fais-tu là ? me demanda-t-il sèchement. Tu as besoin d’une distraction pour Noël ? Désolé, je ne suis pas disponible.

— Je voulais te parler.

— Et moi, je ne veux plus entendre parler de toi ! Tu es sourde en plus d’être garce ?

Ça faisait mal.

— S’il te plaît, Marc, bredouillai-je. Après… je promets de disparaître.

— Je sais déjà ce que tu es venue me dire, ta sœur, que tu as dû sacrément manipuler, m’a téléphoné et a plaidé ta cause.

Qu’Alice prenne ma défense après tout ce que j’avais fait me chamboulait, me montrait à quel point elle était bien meilleure que moi.

— Elle n’aurait pas dû.

— Pourquoi ? Pour te permettre de me raconter des conneries ? Ou tu comptais vraiment me dire que tu étais ta propre patronne ? Tu avais prévu de me le dire quand ? Avant ou après m’avoir traité comme une sous-merde !

Chaque regard qu’il me portait était dur, froid, haineux, et ça me faisait de plus en plus mal.

— J’ai déraillé, complètement, je suis désolée. Pardonne-moi… Je ne pensais pas un mot de ce que je t’ai dit…

Il se figea, ses épaules s’affaissèrent et il regarda le plafond en soufflant. Puis il me scruta à nouveau.

— Alors pourquoi as-tu fait ça ? Pourquoi tu nous as fait ça ? insista-t-il en haussant le ton.

— Parce que j’avais peur !

— Peur de quoi ?

— Peur de ne pas y arriver, peur de te faire souffrir…

— J’aurais pu t’aider, te soutenir, ça n’aurait pas été facile tous les jours, mais on aurait pu essayer…

Il s’éloigna un peu plus, me tourna le dos et soupira profondément.

— Tu as choisi à ma place et, toi, tu as choisi ton boulot, Yaël. Crois-tu que ça, je puisse te le pardonner ?

En moins de 24 heures, deux fois la même remarque.

— Je sais, Bertrand m’a dit exactement la même chose.

— Comment ! Tu as parlé de nous à ton patron ? gueula-t-il en me faisant à nouveau face.

Je piquai du nez. Décidément, je faisais tout mal.

— Te rends-tu compte de ce que tu dis parfois ?

— Non, je ne me rends pas compte, je dis des tas de conneries, parce que, parce que…

— Parce que quoi ? s’énerva-t-il.

— Parce que je suis terrifiée à l’idée de te perdre encore une fois ! lui hurlai-je dessus.

Je n’avais pas réussi à me maîtriser. Il recula et parut exaspéré.

— Merde, Yaël ! Je croyais qu’on avait dépassé ça depuis longtemps. Tu as encore des trucs à me balancer ?

Les larmes se mirent à couler sans que je puisse les retenir. Je m’en foutais, il fallait que ça sorte, ce truc que je retenais au fond de moi depuis des années, ce truc qui m’avait rongée, ce truc pour lequel je m’étais reniée.

— Tu m’as abandonnée ! criai-je. Tu m’as laissée seule.

— C’était il y a des années !

— J’ai cru devenir folle quand tu es parti ! Tu le sais, ça ? Non, tu ne le sais pas… alors ne juge pas celle que je suis aujourd’hui, Marc. Je suis vide depuis que tu es parti. Je n’étais plus rien sans toi, je n’avais plus envie de rien parce que tu n’étais plus là. C’est mon boulot qui m’a sauvée, qui m’a permis d’exister, de trouver une raison de me lever le matin. Tout ce que tu me reproches d’être, je le suis devenue pour me protéger du manque de toi ! Et maintenant, qu’est-ce que j’y peux ? Je suis comme ça, je ne peux plus revenir en arrière. J’ai changé, j’ai grandi avec mon travail, et j’ai fait des choix pour garder la tête hors de l’eau.

Sur son visage, la colère cédait peu à peu la place à la tristesse. Il pâlissait à vue d’œil. Je ne pouvais plus m’arrêter.

—  À ton avis, pourquoi je suis seule depuis toutes ces années ? Je n’ai laissé personne m’approcher pour ne pas revivre ça, et parce qu’aucun homme ne pouvait prendre ta place. Je suis désolée d’avoir paniqué, mais j’ai eu peur de ne pas savoir faire les deux. J’ai été dépassée par ce que tu me fais, par ce que tu réveilles en moi. J’ai choisi ma survie. Parce que si tu me laissais à nouveau…

Ça ne servait à rien d’aller plus loin. Marc soupira profondément. Il parut perdu, las.

— Quel gâchis… Si tu me redemandais aujourd’hui pourquoi je n’ai pas cherché à reprendre contact avec vous quand je suis revenu, je ne te répondrais pas tout à fait la même chose.

— De quoi tu parles, Marc ? Je ne comprends rien. Tu ne m’as pas tout dit ?

— Non… il y a une partie que je n’ai pas osé t’avouer.

Il frotta son visage avant de poursuivre en me regardant droit dans les yeux.

— C’est à cause de toi que je ne vous ai pas cherchés. J’ai toujours été amoureux de toi… je me suis marié en pensant à toi. Tu parles d’un salaud ! Jamais je ne t’ai oubliée… tu étais toujours là, dans un coin de ma tête…

Je mis ma main sur ma bouche. Mon Dieu… comment avions-nous pu passer à côté de nous, il y a dix ans ? Tout serait tellement différent aujourd’hui.

— Quand je suis rentré à Paris avec Juliette, je savais qu’à la minute où je te reverrais, mon mariage prendrait l’eau… et puis, j’avais aussi peur de te retrouver mariée, mère de famille, heureuse, et que tu te souviennes à peine de moi. C’est pour ça que je n’ai rien fait pour savoir ce que vous deveniez, ce que, toi, tu devenais… Quand tu es tombée du ciel ici, j’ai préféré ta colère et tes reproches à l’indifférence que je craignais… mais j’ai su à la minute où je t’ai vue que je courais à ma perte…

Il reprit sa respiration, fit un pas vers moi, mais se ravisa. Mes larmes coulaient encore et encore.

— Celle que j’ai redécouverte, c’était toi et pas toi… tu avais changé, c’était évident. J’ai appris à connaître la femme d’affaires puissante, à la beauté froide que tu es devenue. Mais je t’ai vue aussi t’enflammer comme avant. J’ai cru qu’il y avait encore de l’ancienne toi, cachée au fond. J’ai été incapable de te résister. Oh… j’ai vaguement essayé, mais ça a été un échec total. Je croyais savoir ce que c’était d’aimer ces dernières années, et non, en fait, ce n’est rien comparé à ce que je ressens pour toi aujourd’hui… Je ne me reconnais pas depuis des mois, et c’est à toi que je le dois. Tout est plus fort, surdimensionné, l’amour, la douleur et la colère aussi…

On resta, là, sans se quitter des yeux, sans bouger, sans dire un mot, de longues minutes.

— Pourquoi on ne s’est jamais parlé ? demandai-je d’une toute petite voix.

— Il faut croire qu’on doit se rater à chaque fois…

— Non…

J’osai faire un pas vers lui.