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Je fixai un grand vitrail, face à moi.

— Ce que je veux dire, c'est qu'il ne faut pas tout ramener au sadisme, aux fantasmes de pervers sexuels. Certains cherchent à atteindre un but plus… élaboré…

— Elaboré comme la présence de ces papillons étranges. Que viennent faire ces sales bêtes là-dedans ?

Je haussai les épaules.

— J'en sais fichtre rien. Qu'est-ce qu'on ressasse à leur sujet, le plus souvent ? Qu'ils symbolisent la beauté, la renaissance, la transformation, lorsqu'ils sortent de leur chrysalide.

— Mouais. On a peut-être affaire à un fan du Silence des agneaux… Le genre de mec bien allumé.

— Allumé ou pas, il témoigne de maîtrise, de sang-froid. La scène est de type organisé. Il suffit d'observer la position de la femme, la présence du miel, le parfum, les papillons. Dans la manière dont a été commis le meurtre, aucune pulsion n'est venue le perturber, il a gardé son calme et, de ce fait, limité les erreurs.

— Il a donc préparé son opération à l'avance, avec minutie. Il connaît les lieux, le moyen de pénétrer. Peut-être un adepte des messes du dimanche matin…

Il nota cette voie d'investigation sur son carnet avant de poursuivre.

— … Il conditionne sa proie, qu'il retient depuis plusieurs jours, la parfume, la rase, la nettoie. Il se procure ces insectes. Et il opère. Le confessionnal, en pleine nuit…

Je m'approchai à nouveau du lieu de pardon et prolongeai l'idée de Sibersky.

— Son crime perpétré, dont nous ignorons pour l'heure par quel moyen, il détache les mains de la pénitente, pour placer le bras droit d'une façon particulière. Il est évident que l'index de la morte nous signale une orientation à suivre.

— Pourtant, l'expert a déjà vérifié… Et moi aussi… Rien de particulier sur les boiseries…

— Il faut chercher encore. Ce n'est pas la victime qui s'exprime, mais son assassin. Ce fumier a des choses à dire.

Je retournai dans la loge, voûté, oppressé par le trop étroit espace. Le mur désigné présentait des rayures, quelques coups, mais rien de concret. Même en cognant sur le bois lisse, je ne discernai nulle variation de densité.

— Merde ! Ça indique forcément quelque chose ! Abstraction faite du confessionnal, la direction pointe… cet alignement de colonnes, puis, au final… cette partie du mur.

— Je ne vous ai pas attendu, je l'ai déjà inspectée, trancha Sibersky. Et le sol, les colonnes… Rien d'anormal, aucune inscription ou marque étrange. Il faudrait peut-être voir avec le prêtre…

— Un instant…

J'évoluai entre la perfection des ornements, ébloui par l'excellence de la construction. Mes phalanges palpaient la pierre centenaire. Dans le sens suggéré par le doigt mort, rien n'apparut. J'élargis ma zone de recherches. Les bancs, la nef, les décorations sculptées. Échec et encore échec. Le tueur nous parlait et nous refusions de l'écouter.

— Putain ! J'ai horreur de ça !

Dernier acharnement visuel, dernière déception.

— Bon ! Je file au 36, Leclerc m'attend pour un point. Qui s'occupe de l'enquête de voisinage ?

— Crombez, avec cinq ou six hommes.

— Et de la déposition du curé ?

— Moi, officiellement. Et je suis fichtrement en retard.

— Il faudra monopoliser un gars pour fouiller l'église. Et s'il faut regarder sous la robe de la Sainte Vierge, on regardera sous la robe de la Sainte Vierge !

En approchant de la porte arrière barrée d'un ruban jaune, je m'enquis :

— Tu m'as dit que cette porte avait déjà été forcée, le trimestre dernier. Tu as plus d'infos ?

— Ah oui ! Fin avril. Le père pense qu'il s'agissait de Gitans, installés à l'époque à deux pas de l'église.

— Qu'ont-ils volé ?

— Rien, juste une visite nocturne…

Mon bouc crissa sous un faisceau d'ongles sceptiques.

— Curieux pour des Gitans. J'en ai suffisamment côtoyé pour t'affirmer que le mot visite ne fait pas partie de leur vocabulaire.

— Je sais bien. Surtout qu'il devait y avoir pas mal de matos, genre groupes électrogènes. Une partie de l'édifice était en rénovation, la voûte et certaines colonnes se fissuraient…

Je stoppai net.

— La troisième dimension ! T'aurais pu y penser ! Le vertical !

— Quoi ?

J'étais déjà revenu au centre de la nef, la tête levée, le regard parcourant le lointain. Des maillages d'ombre, des arcades discrètes s'entrecroisaient sous le ciel de pierre.

— Cherche ! Cherche avec moi sur les cintres !

— Les cintres ? Mais comment il y aurait grimpé ?

— Comme les ouvriers ! En utilisant leurs échafaudages !

Mon cœur se comprima soudain.

— Là-haut ! La fissure ! Et cette colonne, désignée par la victime ! Elle a été restaurée en son extrémité supérieure ! Ce n'est pas en bas qu'il faut chercher… mais en haut !

Le bras tendu, les yeux rivés vers ces hauteurs, je m'écriai finalement :

— Prépare-toi à rejoindre Jésus ! Aujourd'hui, on va monter au ciel !

Chapitre trois

Ça nous a fait mal, tu sais… Éloïse n'a pas arrêté de pleurer. Elle pleure sans cesse à présent.

Je sais, ma chérie. Dis à Éloïse que je l'aime, dis-lui d'être forte.

Tu lui manques, il n'y a rien ici. Elle te cherche partout. Elle ne comprend pas pourquoi tu n'es pas à nos côtés. Alors je dois lui expliquer, sans cesse…

— …ssaire… Commissaire !

Rétraction des pupilles. Azur bleu, toits rouges… Sur le parvis de l'église, j'inspirai une grande bolée d'air, passai une main sur mon visage ruisselant avant de considérer Sibersky. Il désignait ma chaussure droite, rongée par un mégot rougeoyant. Je secouai le pied et écrasai ma cigarette du talon.

— Merde ! Des pompes neuves !

Le lieutenant tremblait d'impatience.

— J'ai découvert un message ! Inscrit au sommet d'un des piliers rénovés ! On attend l'arrivée d'un chariot élévateur et d'un technicien de la scientifique.

Je plongeai dans l'espace frais à la lumière apaisante. Sibersky m'indiqua l'emplacement concerné avant de me tendre des jumelles.

— C'est au sommet… D'ici on ne peut pas lire précisément, mais avec des jumelles j'y suis parvenu… Essayez…

— Ça dit quoi ?

— C'est… difficile à expliquer… Mais… ça fiche sacrément les jetons en tout cas…

Il me montra un point précis de la voûte.

Je réglai les optiques et les mots gravés dans la pierre, à plus de dix mètres du sol, m'apparurent.

Derrière le tympan de la Courtisane, tu trouveras l'abîme et ses eaux noires. Ensuite, des deux moitiés, le Méritant tuera l'autre Moitié de ses mains sans foi et l'onde deviendra rouge. Alors, au son de la trompette, le fléau se répandra et, sous le déluge, tu reviendras ici, car tout est dans la lumière. Surveille les maux et, surtout, prends garde au mauvais air.

Je restai un moment sans réaction, partagé entre un curieux sentiment de colère et d'excitation. Cette enquête puait le jeu de l'oie grandeur nature.

— Je n'y comprends pas grand-chose, avouai-je en plissant les yeux, mais ce texte sent l'avertissement ou le puzzle morbide…

— D'autant plus qu'il date, a priori, du temps des travaux et non pas d'hier. Voilà plus d'un trimestre que notre homme prépare son coup… D'abord il avertit… puis il agit… Ça, c'est de la putain de préméditation !