Выбрать главу

— C’est vrai ? Tu le penses ?

— Absolument. C’est la solution rêvée pour lui.

— J’espérais que tu serais d’accord, puis j’ai eu des doutes. Et si… Mais tu le penses vraiment ?

C’est le cas, oui, et je finis par la convaincre. Mais il me faut plusieurs minutes, étant donné que Rita est capable de parler sans respirer et la plupart du temps sans finir sa phrase. Si bien qu’elle arrive à sortir une vingtaine de mots décousus quand j’en prononce un seul.

Le temps que je la convainque et que je raccroche, il commence à faire un peu plus sombre dehors, mais beaucoup moins en moi. Les premières notes de la Danse de Dexter sont assourdies, à présent, devenues indistinctes depuis la cacophonie de l’appel de Rita. Ça va revenir.

En attendant, histoire de m’occuper, j’appelle Chutsky.

— Salut, mon pote, dit-il. Elle a encore ouvert les yeux il y a quelques minutes. Les médecins disent qu’elle revient à elle.

— Merveilleux. Je vais passer un peu plus tard. Là, j’ai quelques petits trucs à régler.

— Il y a des gens de chez vous qui sont passés. Tu connais un certain Israel Salguero ?

Un vélo qui passe dans la rue cogne mon rétro et continue sa route.

— Oui, je le connais. Il est venu ?

— Oui. (Chutsky se tait, attend que je dise quelque chose, mais, comme je ne vois pas quoi, il finit par reprendre :) Il y a un truc chez ce mec.

— Il connaissait notre père.

— Mmm, mmm. Mais autre chose.

— Il est de l’Inspection des services. Il enquête sur le comportement de Deborah dans cette histoire.

— Celui de Deborah ? demande-t-il après un long silence.

— Oui.

— Elle s’est fait poignarder !

— Selon l’avocat, c’est de la légitime défense.

— L’enfoiré !

— Je suis sûr qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. C’est la règle, il doit enquêter.

— Saloperie d’enfoiré. Et il vient ici ? Alors qu’elle est dans un putain de coma ?

— Il connaît Deborah depuis longtemps. Il est sûrement juste venu voir si elle allait mieux.

Très long silence.

— O.K., mon pote, si tu le dis. Mais je ne crois pas que je vais le laisser entrer la prochaine fois.

Je ne sais pas trop ce que va donner le crochet de Chutsky face au sang-froid imperturbable de Salguero, mais je me dis que ce sera intéressant. Chutsky, malgré son air bourru et faussement jovial, est un meurtrier sans état d’âme. Mais Salguero, à l’Inspection des services depuis des années, est à l’épreuve des balles. Si jamais ils devaient en venir aux mains, ce serait un sacré spectacle. Je réponds simplement :

— D’accord. On se voit tout à l’heure.

Maintenant que toutes ces petites questions humaines sont réglées, je me remets à l’affût. Des voitures passent. Des piétons. Je commence à avoir soif et je trouve une bouteille d’eau minérale à moitié pleine sur la banquette arrière. Enfin, la nuit tombe.

J’attends encore un peu que l’obscurité envahisse toute la ville et m’enveloppe moi aussi. C’est très agréable d’endosser ce costume, et l’impatience croît en moi, avec les encouragements du Passager noir qui me supplie de lui laisser la place au volant.

Je cède enfin.

Je glisse le fil de pêche en Nylon et le rouleau d’adhésif de plomberie dans ma poche, seuls outils à ma disposition dans la voiture pour le moment, et je descends.

J’hésite. Cela fait longtemps depuis la dernière fois, trop longtemps depuis le dernier méfait de Dexter. Je n’ai rien préparé, et ce n’est pas bien. Je n’ai pas de plan, et c’est pire encore. Je ne sais pas vraiment ce qui m’attend derrière cette porte ni ce que je compte faire une fois à l’intérieur. En proie un instant à l’incertitude, je reste à côté de la voiture et je me demande si je suis capable d’improviser ma Danse. L’hésitation ronge mon armure et je me retrouve le pied en l’air dans la nuit sans savoir ce qui m’attend.

Mais ce n’est que sottise, faiblesse et erreur – pas du tout Dexter. Le Vrai Dexter habite dans le Noir, il revient à la vie dans la nuit, prend du plaisir à jaillir de l’ombre. Qui est ce personnage qui ne sait sur quel pied danser ? Dexter n’hésite pas.

Je lève le nez et inspire une longue bouffée de l’air nocturne. Encore mieux : il n’y a qu’un petit croissant de lune jaunâtre, mais je m’ouvre à lui et il hurle à mon intention ; je sens la nuit puiser dans mes veines jusqu’au bout de mes doigts, vibrer sous la peau tendue de mon cou et tout change, tout redevient tel que ce doit être. Nous savons ce que nous devons faire et nous sommes prêts.

C’est le moment, c’est la nuit, c’est l’heure de la Danse de Dexter, et les pas vont nous revenir, comme toujours.

Au plus profond de moi, les ailes noires se déploient dans le ciel nocturne et nous entraînent.

Nous nous glissons dans la nuit tout autour du bâtiment pour inspecter soigneusement les environs. Tout au bout de la rue se trouve une impasse, et nous nous enfonçons dans l’obscurité pour rejoindre l’arrière du domicile de Doncevic. Un camion cabossé est garé devant un quai de chargement bien dissimulé à l’arrière. Un bref chuchotement du Passager : Regarde, c’est comme cela qu’il faisait sortir les cadavres pour les transporter jusqu’à leur emplacement. Et, bientôt, il va prendre le même chemin.

Nous revenons sur nos pas ; rien d’inquiétant dans les alentours. Un restaurant éthiopien au coin de la rue. De la musique qui beugle trois portes plus loin. Nous nous retrouvons devant le bâtiment. Nous sonnons. Il ouvre la porte, éprouve un bref instant de surprise avant que nous fondions sur lui. Il finit en un rien de temps à plat ventre par terre, le fil de pêche autour du cou, pendant que nous le bâillonnons et lui attachons poignets et chevilles. Quand il est immobilisé, réduit au silence, nous faisons un rapide tour du propriétaire : personne d’autre. En revanche, nous dénichons quelques articles intéressants, notamment de très jolis outils dans la salle de bains, juste à côté de la grande baignoire. Scies, cisailles et tout ce qu’il faut comme Joujoux pour Dexter. C’est bien le carrelage blanc que nous avons vu dans le film, à l’office de tourisme. C’est une preuve, nous avons maintenant toutes les preuves nécessaires, Doncevic est coupable. C’est lui qui était sur ce carrelage près de la baignoire, avec ces outils, en train de procéder à des actes impensables – précisément ceux auxquels nous pensons et que nous allons lui infliger.

Nous le traînons dans la salle de bains et le mettons dans la baignoire avant de nous arrêter un petit instant. Un faible et insistant chuchotement qui nous souffle que tout n’est pas « comme il faut » remonte le long de notre échine jusque dans nos dents. Nous faisons rouler Doncevic dans la baignoire, à plat ventre, et nous refaisons un petit tour rapide des lieux. Rien, personne, tout est au poil et la voix puissante du Passager noir noie le faible chuchotement et exige que nous reprenions notre Danse avec Doncevic.

Retour donc à la salle de bains pour nous mettre à la tâche. Nous nous dépêchons un peu, parce que nous sommes dans un lieu inconnu, sans véritable plan, et aussi parce que Doncevic prononce un mot bizarre avant que nous lui ôtions définitivement la faculté de parole. « Souris », dit-il. Cela nous fâche tellement que nous nous empressons de l’empêcher de dire quoi que ce soit de compréhensible. Mais nous faisons tout comme il faut, oh oui, et quand c’est terminé nous sommes satisfaits de ce travail bien fait. Tout s’est vraiment très bien passé et nous avons nettement progressé dans notre entreprise pour rétablir l’ordre des choses.

Et il demeurera ainsi, maintenant qu’il ne reste plus que quelques sacs-poubelle et une petite goutte du sang de Doncevic sur une lame de verre dans mon coffret en bois de rose.

Et, comme toujours, je me sens nettement mieux ensuite.