Выбрать главу

Il faut rendre hommage à la finesse de Salguero, car il comprend très bien ce que je veux dire par là.

— Il n’y a pas de témoin, à présent… (Il marque une pause et me gratifie d’une expression pas très éloignée de celle d’un cobra qui saurait sourire.) Pas de témoin survivant de ce qui est arrivé dans aucune de ces… circonstances. Et donc… (Il laisse sa phrase en suspens pour signifier : donc, tout est réglé, ou : donc, je vais simplement vous arrêter, ou même : donc, je vais vous tuer moi-même.) Et donc…

Cette fois, on dirait plutôt une question. Sur ce, il hoche la tête et s’éloigne, me laissant l’image de son regard glacial et sans paupières imprimée sur la rétine.

Et donc.

C’est, par bonheur, ainsi que cela se termine. Il y a un peu d’agitation soulevée par la dame élégante du premier rang, qui se révèle être le Dr Elaine Donazetti, une très importante figure de l’art contemporain. Elle a franchi les bandes jaunes et entrepris de prendre des Polaroid, il a fallu la maîtriser et l’éloigner des cadavres. Mais elle utilise les photos et une partie de la vidéo de Weiss pour publier une série d’articles qui font de lui une petite célébrité auprès des amateurs de ce genre de chose. Au moins, il aura eu droit aux photos qu’il réclamait. C’est bien quand tout s’arrange, n’est-ce pas ?

L’inspecteur Coulter est tout aussi comblé. D’après la rumeur dans les services, il avait manqué deux fois une promotion et pensait pouvoir donner un gros coup de pouce à sa carrière en procédant tout seul à une arrestation spectaculaire. Cela a marché ! Le service décide qu’il faut exploiter cette horrible affaire pour se faire mousser, mais il n’a que Coulter sous la main. Il est donc promu à titre posthume pour l’héroïsme qu’il a montré en sauvant presque Rita tout seul.

Bien entendu, je me rends aux obsèques de Coulter. J’adore le cérémonial, cet étalage d’émotion retenue, et cela me donne l’occasion de pratiquer mes expressions faciales préférées – solennité, noble chagrin et compassion –, que j’utilise rarement et qui ont besoin d’un peu d’entraînement.

Tout le service est là, en tenue, même Deborah. Elle est très pâle dans son uniforme bleu, mais après tout Coulter était son équipier, du moins en théorie, et l’honneur exige qu’elle soit présente. L’hôpital a fait des difficultés, mais comme elle était censée sortir bientôt on l’a laissée partir. Elle ne pleure pas, évidemment – elle est presque aussi douée pour l’hypocrisie que moi. Mais elle a l’air solennel de circonstance quand le cercueil descend dans la fosse, je m’efforce d’en faire autant.

Si je trouve que je m’en suis bien sorti, le sergent Doakes n’est pas de cet avis. Je le vois me foudroyer du regard depuis sa place, comme s’il était convaincu que j’avais étranglé Coulter de mes propres mains, ce qui est absurde : je n’ai jamais étranglé personne. Oui, d’accord, je garrotte par-ci, par-là, mais dans un bon esprit – je n’aime pas le contact physique et un couteau est nettement plus propre. Bien sûr, j’ai été ravi de voir Coulter déclaré mort et Dexter définitivement innocenté, cela étant, je n’ai rien à voir avec tout cela. Comme je l’ai dit, c’est bien quand tout s’arrange, n’est-ce pas ?

La vie reprend son cours et ses habitudes. Je vais au bureau, Cody et Astor à l’école, et deux jours après les obsèques Rita se rend chez son médecin. Ce soir-là, après avoir bordé les enfants, elle s’installe à côté de moi sur le canapé, pose la tête sur mon épaule et me prend la télécommande des mains. Elle éteint la télé et pousse quelques soupirs. Je finis par en avoir assez, je demande :

— Quelque chose ne va pas ?

— Non, rien du tout. Enfin, je ne crois pas. Sauf si tu… le penses.

— Pourquoi je le penserais ?

— Je ne sais pas, dit-elle en soupirant de plus belle. C’est juste que… tu sais… comme on n’en a jamais parlé, et que maintenant…

— Maintenant quoi ?

C’en est vraiment trop. Après tout ce que j’ai dû subir, il faut que j’endure cette conversation qui tourne en rond, et je sens l’irritation me gagner au galop.

— Enfin, tu vois… le médecin a dit que j’allais très bien.

— Ah, tant mieux.

— Malgré… Tu vois.

Non, je ne vois pas, et ce n’est pas juste qu’elle s’imagine que je vois, et je le lui dis. Et après maints raclements de gorge et bafouillages, quand elle m’explique enfin, je me rends compte que j’ai perdu tout comme elle l’usage de la parole, et la seule chose que je réussisse à articuler, c’est le fin mot d’une blague éculée ; je sais que ce n’est pas la chose à dire, mais je ne peux pas m’en empêcher, cela sort quand même, et, comme de très loin, j’entends la voix de Dexter qui s’exclame :

— Tu attends un quoi ?