— En quels termes êtes-vous avec les chefs d’État étrangers ?
— Étant donné que nous ne nous sommes jamais rencontrés, ils sont excellents et nos opinions sont en parfait état de concorde.
Le lendemain, il avait adressé au préfet de police la lettre lui permettant de solliciter officiellement une place de président de la République. En dépit d’une légende qui prétend que la France est le pays de la courtoisie, ce courrier était demeuré sans réponse…
Monsieur le Préfet,
Ayant appris d’une manière fortuite, quoique fort honorable, qu’il y aurait peut-être prochainement une place vacante à la Présidence de la République, j’ai l’honneur, par la présente, de solliciter de votre haute bienveillance l’octroi de cette place que je me sens capable de remplir à votre entière satisfaction et au mieux des intérêts de votre maison.
Je tiens à votre disposition un curriculum vitae détaillé, ainsi que les certificats des maisons qui m’ont employé, d’où je suis toujours parti de mon plein gré et libre de tout engagement.
Je vous signale, à toutes fins utiles, que je possède un habit, une jaquette, un complet-veston croisé et que je porte avec une certaine désinvolture le chapeau claque, le bicorne et la chéchia.
Je vous serais fort obligé de bien vouloir me fixer un prochain rendez-vous afin que nous puissions débattre les conditions.
En l’attente d’une prompte réponse, je vous prie d’agréer, Monsieur le Préfet, ainsi que votre dame, l’assurance de ma parfaite considération sans préjudice de mes salutations distinguées et de mes civilités empressées.
À tout hasard, il avait même préparé un discours type, susceptible d’être prononcé n’importe où et n’importe quand, mais pas par n’importe qui…
Messieurs,
Les circonstances qui nous réunissent aujourd’hui sont de celles dont la gravité ne peut échapper qu’à ceux dont la légèreté et l’incompréhension constituent un conglomérat d’ignorance que nous voulons croire indépendant de leurs justes sentiments.
L’exemple glorieux de ceux qui nous ont précédés dans le passé doit être unanimement suivi par ceux qui continueront dans un proche et lumineux avenir un présent chargé de promesses que glaneront les générations futures délivrées à jamais des nuées obscures qu’auront en pure perte essayé de semer sous leurs pas les mauvais bergers que la constance et la foi du peuple en ses destinées rendront vaines et illusoires.
C’est pourquoi, messieurs, je lève mon verre en formant le vœu sincère et légitime de voir bientôt se lever le froment de la bonne graine sur les champs arrosés de la promesse formelle enfouie au plus profond de la terre nourricière, reflet intégral d’un idéal et d’une mystique dont la liberté et l’égalité sont les quatre points cardinaux en face d’une fraternité massive, indéfectible, imputrescible et légendaire.
NOUVELLES DE PARTOUT ET D’AILLEURS
L’Os à moelle ressemblant à tous les autres journaux d’informations, il était normal que Pierre Dac évoque, dans chaque numéro, les grandes informations de notre petit monde et les petites informations de notre grand monde. Et réciproquement.
De Paris :
Hier après-midi, vers 15 h 30 environ, au rayon de blanc d’un grand magasin printanier de la rive droite où elle était allée, de confiance, acheter les yeux fermés, mademoiselle Marie-Louise Basdufiacre, hôtesse d’accueil à l’Institut médico-légal, a sauté sur une occasion qu’elle n’avait pas vue, et pour cause. Affreusement déchiquetée, la malheureuse a expiré avant même d’avoir eu le temps de rendre le dernier soupir.
Le nommé Antonin Michazéreau, speaker en titre à la S.N.C.F., vient d’écoper de trente jours de mise à pied pour avoir, en complet état d’ivresse manifeste, annoncé au buffet de la gare de Lyon et à la cantonade : Les voyageurs pour la Belgique, le Luxembourg, la Hollande, l’Allemagne, la Norvège, la Suède, la Finlande et le Danemark sont priés de s’adresser à une autre gare, c’est pas ici.
Lundi, à 15 heures et au quatrième clop de midi moins le quart, il sera exactement : mercredi 18 h 35. Pour les autres heures, veuillez vous reporter à votre montre habituelle.
Des faux billets de dix francs sont actuellement en circulation. La contrefaçon est presque parfaite, mais, heureusement, quelques légers détails les signalent à l’attention d’un œil exercé.
Voici quelques-unes des particularités révélatrices :
1° Les faux billets ont un format sensiblement double de celui des vrais.
2° Il y a un zéro de trop au chiffre dix, et le mot finances est écrit avec deux T au lieu d’un.
3° Les allégories représentant Minerve et Mercure sur les vraies coupures sont remplacées sur les fausses par une scène de la vie des champs décrivant les difficultés qu’éprouve un plombier-zingueur malgache pour se confectionner un sandwich à la gabardine.
Pour finir, et pour ceux dont l’œil n’aurait pas toute l’acuité nécessaire à la perception d’aussi infimes détails, ajoutons qu’il suffit de faire brûler les billets douteux pour être fixé sur leur authenticité.
En effet, le tirage a été exécuté sur papier d’Arménie dentelé.
Voici les chiffres communiqués par les services de la statistique et intéressant la période comprise entre le 2 juillet et le 4 septembre :
543 285 ; 6 282 826 ; 1 285 938 743. 601 ; 601 ; 602 ; 603 ; 604 ; 605 ; 106 ; 206 ; 306 ; 406 ; 506 ; 983 ; 882 ; 780 ; 680 ; 579.
Nous ne savons pas du tout à quoi se rapportent ces chiffres, mais nous sommes heureux de les communiquer à nos lecteurs qui auront ainsi toute latitude de les adapter suivant leur goût ou leur appréciation…
Le ministère de l’Intérieur nous prie de porter à la connaissance du public l’avis suivant :
« À partir du 18 juillet, les trottoirs d’en face devront être, sans exception, situés de l’autre côté de ceux auxquels ils font vis-à-vis. »
De Limoges. — Par fil à fil spécial.
Une émouvante et bien réconfortante cérémonie s’est déroulée dans la cour d’honneur d’une importante fabrique de la ville où, hier matin, il a été procédé à une grande et solennelle remise de décorations à certaines porcelaines citées à l’ordre de la vaisselle.
Ont été décorées :
225 assiettes creuses,
642 assiettes plates,
43 saucières,
9 plats à poisson,
9 soupières,
64 services à café
et de nombreuses soucoupes et tasses de thé. Nos sincères félicitations aux heureux récipiendaires et à leurs familles.
OS À MOELLE
Le 13 mai 1938 paraît le premier numéro de L’Os à moelle présenté par son rédacteur en chef comme « l’organe officiel des loufoques ». Cent huit semaines durant, jusqu’au 31 mai 1940, date de l”entrée des Allemands dans Paris, Pierre Dac va réaliser quatre grandes pages diffusées, chaque vendredi, à quatre cent mille exemplaires, dans les familles, les cours de lycée et les casernes. Un record absolu dans l’histoire de la presse d’avant-guerre ! Une aventure qui, dans une logique n’ayant rien de loufoque, a débuté par un éditorial désormais historique, sobrement intitulé : « Pourquoi je crée un journal ».