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— Nous allons même créer quelques produits de beauté… Ça amuse beaucoup Barbara…

La femme de Neal avait retrouvé son sourire.

— Oui… Je m’intéresse à tout ce qui concerne les produits de beauté, a-t-elle dit de son air rêveur. Je laisserai Virgil s’occuper des parfums… Moi, je voudrais monter un institut de beauté, ici, sur la côte d’Azur…

— Nous hésitons sur l’endroit, a dit Neal. Je préférerais de loin Monaco… Je ne pense pas que ce genre d’institut marcherait à Nice…

Quand je me rappelle ces quelques propos, je suis troublé et je regrette de n’avoir pas eu à ma disposition la fiche de renseignements que Condé-Jones me communiquerait plus tard. Quelle tête aurait faite Neal si je lui avais dit d’une voix très suave :

— En somme, vous voulez relancer la firme Tokalon ?

Et rapprochant mon visage du sien :

— Vous êtes le même M. Virgil Neal que celui d’avant-guerre ?

Sylvia avait la manie de porter à sa bouche le diamant et de le garder entre ses lèvres, comme si elle suçait un berlingot. Neal était assis en face d’elle, et ce geste ne lui avait pas échappé.

— Faites attention… Il va fondre…

Mais il ne plaisantait pas seulement. À l’instant où Sylvia desserrait la pression de ses lèvres et où le diamant retombait sur son jersey noir, je remarquai l’œil attentif avec lequel Neal fixait la pierre.

— Vous avez un beau bijou, a-t-il dit en souriant. N’est-ce pas, Barbara ?

Elle avait tourné la tête et observait à son tour le diamant.

— C’est un vrai ? a-t-elle demandé d’une voix enfantine.

Le regard de Sylvia a croisé le mien.

— Oui, malheureusement c’est un vrai, ai-je dit.

Neal a paru surpris de cette réponse.

— Vous êtes sûr ? Il est d’une taille impressionnante.

— C’est un bijou de famille que ma belle-mère a donné à ma femme, ai-je dit. Et cela nous embarrasse plutôt.

— Vous l’avez fait expertiser ? a demandé Neal sur un ton de curiosité polie.

— Oh oui… Nous avons tout un dossier concernant ce diamant. Il s’appelle la Croix du Sud…

— Vous ne devriez pas le porter sur vous, a dit Neal. Si c’est un vrai…

Apparemment, il ne me croyait pas. Qui m’aurait cru, d’ailleurs ? On ne porte pas un diamant de cette taille et de cette eau d’une manière aussi désinvolte. On ne le tient pas entre ses lèvres, avant de le laisser tomber sur son jersey noir. On ne le suce pas.

— Ma femme porte ce diamant sur elle parce qu’il n’y a pas d’autres solutions.

Neal fronçait les sourcils.

— Qu’est-ce qu’il faudrait faire ? Louer un coffre dans une banque ? ai-je dit.

— Quand on voit ce diamant sur moi, a dit Sylvia, tout le monde croit que c’est du Burma…

— Du Burma ?

Neal ne comprenait pas cette expression d’argot.

— Nous aimerions bien le vendre, ai-je dit. Seulement, c’est très difficile de trouver un acheteur pour une pierre comme celle-là…

Il était pensif et ne quittait pas le diamant du regard.

— Je peux vous trouver un acheteur. Mais d’abord, il faudrait le faire expertiser.

J’ai haussé les épaules.

— Je serais ravi que vous me trouviez un acheteur, mais je crains que cela ne soit difficile pour vous…

— Je peux vous trouver un acheteur… Mais il faudra me montrer le dossier, a dit Neal.

— J’ai l’impression que vous croyez toujours que c’est du Burma, a dit Sylvia.

Nous sommes sortis du restaurant. La voiture était garée quai des États-Unis, le long duquel des vieillards, serrés sur les bancs, prenaient frileusement le soleil. J’ai reconnu la plaque du corps diplomatique. Neal a ouvert la portière.

— Venez boire le café chez nous, a-t-il dit.

J’avais envie de les planter là. Tout à coup, je me demandais quelle aide ils pouvaient bien nous apporter. Mais il fallait être consciencieux et ne pas rompre avec eux sur un simple mouvement d’humeur. Ils étaient les deux seules personnes que nous connaissions à Nice.

Comme la première fois, nous étions assis, Sylvia et moi, à l’arrière. Boulevard de Cimiez, Neal conduisait lentement et les automobilistes klaxonnaient pour qu’il leur laissât le passage.

— Ils sont fous, a dit Neal. Ils veulent toujours aller plus vite.

L’un des conducteurs qui le doublait lui avait lancé un flot d’injures.

— C’est ma plaque du corps diplomatique qui les énerve. Et puis je suppose qu’ils doivent se dépêcher pour être à l’heure au bureau…

Il s’était retourné vers moi :

— Et vous ? Est-ce que vous avez déjà travaillé dans un bureau ?

La voiture s’est arrêtée à la hauteur du mur à balustrade. Neal a levé le bras.

— La maison est là-haut. Comme ça, nous dominons la situation… Vous verrez… C’est une très belle maison…

J’ai remarqué, au-dessus de la grille, la plaque de marbre où il était inscrit : « Château Azur. »

— C’est mon père qui a trouvé ce nom, a dit Neal. Il a fait construire la maison avant la guerre…

Son père ? Cela me rassurait plutôt.

Nous avons gravi l’escalier après que Neal eut refermé la grille d’un tour de clé et nous avons débouché dans le jardin qui surplombait le boulevard de Cimiez. Cette villa, avec ses allures de Trianon, m’a paru luxueuse.

— Barbara, s’il te plaît, un peu de café…

J’étais étonné de l’absence d’un maître d’hôtel dans ce décor. Mais cela ne correspondait peut-être pas à la simplicité des habitudes américaines. Les Neal, bien que très riches, étaient sans doute un peu bohèmes et Mme Neal préparait le café elle-même. Oui, des bohèmes. Mais riches. Du moins voulais-je m’en persuader.

Nous nous sommes assis sur les sièges de bois blanc que je retrouverais à la même place, un an plus tard, quand Condé-Jones me recevrait. Mais la piscine, devant nous, n’était pas vide.

À la surface de l’eau glauque, flottaient des branchages et des feuilles mortes. Neal avait ramassé une pierre et la lançait de manière qu’elle ricoche sur l’eau.

— Il faudrait que je vide la piscine et que j’arrange le jardin, a-t-il dit.

Il était à l’abandon. Des broussailles barraient les allées de gravier, envahies par la mauvaise herbe. Au bord de la pelouse, qui n’était plus qu’une savane, se dressait une vasque fendue en son milieu.

— Si mon père voyait ça, il ne comprendrait pas. Mais je n’ai pas le temps de m’occuper du jardin…

Il y avait un accent de sincérité et de tristesse dans sa voix.

— C’était tout à fait différent du temps de mon père. Nice aussi était une ville différente… Savez-vous que les agents de police, dans les rues, portaient des casques coloniaux ?

Sa femme déposa le plateau sur le sol dallé. Elle avait changé sa robe pour un blue-jean. Elle versa le café dans les tasses, qu’elle nous tendit, à chacun, d’un mouvement gracieux du bras.

— Votre père habite toujours ici ? demandai-je à Neal.

— Mon père est mort.

— Je suis désolé…

Pour effacer ma gêne, il me souriait.

— Je devrais vendre cette maison… Mais je ne m’y résous pas… Elle est pleine de souvenirs d’enfance… Surtout le jardin…

Sylvia s’était dirigée d’un pas nonchalant vers la maison et collait son front à l’une des grandes portes-fenêtres. Neal l’observait, les traits du visage un peu crispés, comme s’il craignait qu’elle ne découvrît quelque chose de suspect.

— Je vous ferai visiter la maison quand le ménage sera fait…

Il parlait d’une voix forte et impérieuse. Peut-être voulait-il l’empêcher de pousser la porte-fenêtre entrebâillée et d’entrer.

Il marchait vers elle. Il l’entraîna d’une pression de son bras sur l’épaule, et ils nous rejoignirent au bord de la piscine. On aurait dit qu’il ramenait une enfant qui s’était égarée loin du tas de sable en profitant de la distraction de ses parents.