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Pour le coup, on a le guignol qui nous chavire. Le raisin nous escalade la frite ; raz de marée rouge. On a l’apoplexie qui chatoie sur nos fraises.

— Je sens que c’en est un ! bêle Pinuche.

Il a de la chance de sentir quelque chose en dehors des immonderies du Gros ! On aère en catastrophe, dissiper les miasmes. On rappuie le bouton des stores. Les gentes secrétaires se sucrent la gaufre en catastrophe. C’est Claudette qui va ouvrir en démenant de la croupe. Chacun regagne son poste, paré pour la manœuvre. Manque pas un bouton de braguette à la Paris Detective Agency. Pas une pointe du baron. Tout est en place. Les fleurs artificielles du salon d’attente se mettent à sentir bon. C’est une épanouisance générale. La brusque fiesta du gros lot.

Moi, je me rabats dans mon directorial burlingue. Je m’efforce au pédégisme. C’est dur quand t’as pas l’habitude. Faut prendre des mines, des airs, des attitudes. Se trouver la gravité aimable ad hoc. Bien inspirer confiance, mais rester avenant, surtout. Courtoisie française, gestes seizième, prunelle vigilante.

J’attends.

On sonne à ma lourde (tout est en sonneries, ici). J’enclenche le voyant vert annonçant qu’on peut. Claudette se la ramène, le corsage tendu par l’excitation. Certaines grognaces, si t’as remarqué, à la moindre émotion, les voilà qui dilatent de l’avant-scène. Donc, elle entre, précédée de sa poitrine.

— C’en est un ! elle me dit en frissonnant des dents, tellement que cette grande nouvelle la pâme.

Et, emportée par la liesse, elle se précipite contre moi, la menteuse tellement agile qu’elle en semble bifide. Je lui virgule machinalement une paluchette à médius pointé dans l’entregent, pour lui couronner la délirade.

— Quel nom ? je demande.

— Il n’a pas voulu dire.

— T’es sûr que c’est un clille, au moins ?

— Officiel.

— Dans cinq minutes tu l’introduiras.

— Et en attendant ? elle demande, la prunelle à l’horizontale, les cils affolés comme deux papillons autour d’un bec de gaz.

— En attendant, c’est moi qui t’introduis.

La liesse qui me porte au compucteur !

Les effets de la joie sont imprévisibles. T’en as qu’elle fait chialer, d’autres qu’elle fait pisser. Moi, elle me contraint à la tricotine. D’autant qu’avec une partante comme voilà Claudette, hein ? Bon, c’est la carambolette express, sur coin de bureau. On joue à bureau fermé, pas se coincer coquette dans un fâcheux tiroir. L’angle du meuble, déjà, c’est un élément propritiatoire. Il te soutient les joyeuses, t’expose bien facilement la moulanche à mademoiselle. Un vrai gâteau.

Bon, très bien, la Claudette a droit à son petit coup de bigougnot farceur. Ça ne nous prend pas cinq minutes. Le temps que met monsieur à caramboler la soubrette pendant que madame se farde dans la salle de bains. Ensuite on s’opère une remise en fraîcheur rapide dans mon lavabo contigu, et Claudette, sans cesser d’écrire Lolita, avec ses fesses, va me quérir ce premier, cet inoubliable client à marquer de tu vas voir quelle drôle de pierre blanche dans le courant de la suite du chef-d’œuvre que je t’élabore, ô mon Lecteur Somptueux.

Et il entre.

Il est grand, massif, presque beau. La soixantaine. Le poil rêche et blanc, le visage bronzé et égratigné de minuscules rides, si fines qu’elles ressemblent à des traits de plume. Il a les yeux clairs, directs ! On sent un mec qui fut un battant, mais dont l’âge a quelque peu émoussé l’énergie.

Je le salue et lui désigne le fauteuil qui fait face au mien.

Il parle. Avec un accent difficile à déterminer, à la fois guttural et chantant.

— Vous êtes le directeur de Paris Detective ?

— En personne.

L’arrivant regarde autour de lui d’un œil favorablement impressionné.

— Belle installation, complimente-t-il.

— Merci.

— On sent que tout cela est fonctionnel, n’est-ce pas ?

— Cela s’efforce en effet de l’être, monsieur ?…

Il feint de ne pas entendre mon implicite question. Tend le cou pour examiner une aquarelle de Folon accrochée derrière moi.

Je pianote mon bureau pour me calmer les nerfs, leur laisser une petite soupape libérateuse. La perte d’un pucelage, cette visite. Comme il continue de mater l’aquarelle, je murmure.

— C’est un Folon.

— Je ne connais pas, car je viens d’assez loin, mais c’est excellent.

— Et puis c’est très mode, ajouté-je.

Mon visiteur repose sur son fauteuil les quarante centimètres carrés de cul qu’il en avait décollés.

— Vous fûtes de la police… officielle, aux dires de votre plaque ? me demande-t-il.

L’instant du rengorgement est venu. Dans notre job (le nouveau) faut rouler un peu les mécaniques pour s’imposer.

— J’ai été, pendant plus de dix ans, commissaire spécial et je serais devenu le grand patron de la Police Française si celui qui occupe le poste présentement n’avait craint que je sois pressé. Un grave différend nous a opposés[1]. J’ai donné ma démission.

— A l’heure actuelle, vous êtes donc vraiment privé ?

— De bas en haut, cher monsieur… heu… ?

Il est fermement décidé à ne pas se nommer. Et tous mes points suspensifs ou interrogateurs n’y changeront rien.

— Si bien, enchaîne-t-il, que tout ce que je pourrais être amené à vous confier resterait secret, n’importe la gravité de ces confidences ?

— Cela va de soi…

Maintenant, ô Lecteur avisé de mes deux, il convient que je te précise quelque chose qui mérite d’être signalé. Devant moi, sur le bureau de verre, se trouve un calendrier électronique. Soudain, la date qu’il indique s’efface d’enchantement, proposant un petit écran rectangulaire. L’écran ne demeure pas vide longtemps. Des lettres s’y bousculent, s’y alignent, composant des mots.

« Pourquoi diable ne vous dit-il pas son nom, et qu’attendez-vous pour le lui demander ? »

Je pique une noire rognerie. Ainsi, il faut que le Vieux (qui reste en liaison phonique avec l’agence continuellement), vienne me foutre son saumâtre grain de sel d’emblée ! Il tient à établir son autorité occulte d’emblée, pas que je m’envoie à la tête de Paris Detective ! Bougre de sagouin, crocodile, négrier !

— Puis-je savoir votre nom, monsieur ?

— Inutile.

— Manque de confiance ?

Il me regarde gravement. Je lui trouve l’air fatigué. On dirait un vieux mâle qui en a quine de charrier sa vie et qui mourrait volontiers un peu, histoire d’avoir un prétexte pour se reposer.

A cet instant précis, comme on écrit dans les vrais romans policiers qui ont du corps (à la morgue) et le sang sur l’évier, mon bigophone intérieur ronronne. Ça fait le bruit menu et ronflant d’un toton lancé à toute vibure.

Je décroche. C’est Mathias.

— Patron ?

— Hmm ?

— Votre client s’appelle Hans Kimkonssern. Il est allemand et appartenait aux services de contre-espionnage nazis. Il a passé une partie de la guerre à Lisbonne. A la Libération, un tribunal allié l’a condamné à mort par contumace. Il avait eu le temps de s’expatrier en Uruguay et il vit depuis lors à Montevideo sous la fausse identité de Pietro Cavalo.

Je suis soufflé par la fulgurance du Rouquin.

— Chapeau. Tu n’aurais pas l’âge de sa concierge pour le même prix ?

Mathias rigole et raccroche.

Ce petit intermède, ô mon Lecteur de conneries, pour te signaler la couleur de notre boîte. Chaque client, pendant qu’il poireaute au salon, est flashé à son, tu sais quoi ? Insu ! Ses empreintes sont prélevées sur la sonnette de cuivre (toujours astiquée après une visite) et Mathias opère des recherches en catastrophe, vérifie le « papier » de l’arrivant, s’il en a un. Pour notre premier clille, t’avoueras qu’on tombe pile sur un zoizeau rare. C’est bon signe.

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1

Cf. La vie privée de Walter Klozett.