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— Continuez, San-Antonio !

Dis, l’insolence du Vieillard ! Non, mais, me trancher le lyrisme aussi froidement, impoliment, comme on fait taire un valet dans un film sur le Moyen Age ! Charogne !

Ecœuré, je dépose l’écouteur sur mon burlingue. Je vais me servir un scotch. Un vrai, aussi bien rempli que ma mission. Je fais exprès d’exagérer le glouglou, pour bien que l’autre pelure comprenne que je lui compisse sa chère vieille raie.

Et tandis qu’il vocifère des « Allô ! Allô ! Allô, San-Antonio ! » je bois posément le réconfortant breuvage.

Et tandis que je bois, Mathias entre dans mon burlingue, fatigué par cet aller-retour en Hollande, l’insomnie, les attentes dans les salles réservées pour.

— Bonjour, patron. Voyage pour la peau : Lhurma est bel et bien mort de mort naturelle, me déclare-t-il.

— Je sais, dis-je, en lui souriant de façon si désarmante qu’il en est désarmé ras des frangines, le pauvre. Tué net par mon cynisme souriant.

Il se laisse choir sur le canapé, l’œil en forme d’œuf, le tif plus flamboyant qu’une cathédrale gothique.

— Ah, vous saviez…

— Je te demande pardon, je suis en communication avec M. Machin !

Et de reprendre l’écouteur.

— C’est moi, monsieur Machin ? grince le Dabuche, à un pouce de l’apoplexie.

J’élude.

Poursuis comme si je n’avais pas perçu son exclamance :

— Je vous disais donc, l’ironie du hasard… Lhurma était un client de dame Angèle. De longue date. Vous ne trouvez pas ça farce, vous ?

— Non. Après ?

Faut calmer mes nerfs, pas atteindre le point d’implosion, surtout. Tenir la route coûte que coûte pour atteindre la fin du rapport. Mon agence, tu conviens qu’elle a besoin de financements occultes, sinon, avec ce que me rapportent les clients, je risque pas d’enrichir mon équipe.

— Eh bien, il s’est trouvé qu’Albrecht n’a pas parlé de Lhurma à Angèle lorsqu’il lui a demandé son concours ; pourquoi l’aurait-il fait ? Il ne pouvait se douter que le marchand de lavabos comptait parmi ses habitués. Si bien qu’avant-hier, lorsque Lhurma est parti en voyage et qu’il a demandé du cheptel pour son pote, la vieille salope ne se doutait pas un instant qu’elle envoyait Julie à Kimkonssern. Elle aurait aussi bien pu lui dépêcher Maud. Dans la soirée, Albrecht l’a rejointe. Incidemment, il a appris la chose. Vous parlez d’une panique ! Cette Julie non prévenue qui pouvait cracher le morceau… à tout moment, sans savoir…

— Attendez, dit le Vieux, il paraît que M. le ministre me demande sur une autre ligne, je vous rappellerai.

Cigogne, va ! En plein exposé, coupure ! Va falloir tout reprendre pour le remettre dans le bain, le Frisotté.

Je raccroche.

— Viens, dis-je à Mathias, on va aller boire un pot.

Dans l’antichambre, y a du spectacle, une fois encore. Sa Majesté est en train de faire recoudre son futiau par Claudette. Il porte un beau slip à grille qui ressemble à une épuisette épuisée. Notre secrétaire rogne comme quoi c’est pas tenable, l’odeur du grimpant. Pinuche, engoncé dans sa gabaderne, pardon : sa gabardine, le papeau rabattu sur la vitrine, dort profondément en produisant des petits pets gentils avec la bouche.

On se rend au Fouquet’s, pas loin, côté bar. C’est l’heure creuse et, comme y a du soleil de printemps, les clients font terrasse, si bien que nous sommes seuls dans les fauteuils de cuir. Je prends une vodka en souvenir de Laura-visage-entrevu… La nostalgie de quand j’étais au-dessus du Bar Aka, la veille, à flotailler dans des flous ondulatoires.

Une Chartreuse avec de la glace pilée pour Mathias.

Voilà. On peut poursuivre. Le Tondu n’a qu’à s’acharner à m’appeler, là-haut, je lui raconterai la fin une autre fois.

Le Rouillé aplatit de la main sa mèche la plus rousse, une mèche pareille à une flamme.

— Alors, me dit-il, la vieille et Karl Albrecht ont pris peur ?…

— Oui, mais pas de la façon que tu crois.

—  ? ? ? ? ? ? ? ? me fait Mathias.

— Bon, attends que je t’explique.

On lève son verre et on boit la gorgée délencheuse.

— Ce qu’il faut tout de suite que je te dise, mon bon Rouquemoute, c’est qu’en fait, la mère Angela et son Autrichien d’ex-mari, dirigeaient un réseau d’espionnage pour le compte de la Chine populaire[4]. Le clandé servait de couverture, ça permettait d’accueillir de hautes personnalités, des diplomates, des rois noirs, des financiers, des ministres, des présidents, tout un gratin qui n’avait rien de dauphinois. Elle bossait avec des amazones, la vioque, filles only, toute une équipe exercée grattait pour son compte, entre autres les dames de note connaissance : Maud, Laura, Julie, beaucoup d’autres…

— Fantastique !

— Et tu sais, elles n’étaient pas la seule organisation de ce genre à Pantruche, mon vieux Tournesol.

On se vote une deuxième gorgée.

— La vieille était une terrible ogresse, implacable. La cheftaine de gang de la grande tradition américaine, style Ma Garson. En constatant ce qui venait de se passer, la v’là qui chocote, tu sais surtout pourquoi ? Parce que Mlle Julie bouffait à un autre râtelier, elle venait d’en avoir la preuve. Suppose un instant que cette garce découvre qui était Kimkonssern ? Car elle était un fichier vivant, paraît-il.

— Comment savez-vous cela ?

— Par Maud, attends, brûle pas les étapes : on aurait trop chaud. Suppose, te dis-je, qu’elle découvre l’identité de son client d’une nuit, elle pouvait en tirer parti pour son compte personnel en vendant le tuyau au Shin Beth et alors le plan d’Albrecht eût été compromis…

— Quel plan ?

C’est vrai, faut tout bien expliquer, rien laisser à l’ombre, sinon on te filoche plus, y a incomprenance, déraillement et ça se retourne contre tu sais qui ? Santonio ! Le vrai, le magnifique ! Dans le bab, et sans vaseline, on lui file son conte des Mille et Une Conneries.

— La fortune colossale de Hans Kimkonssern. Un trésor de guerre inchiffrable ! C’était cela qu’il voulait griffer, Karl. Et il comptait sur Maud, la fausse fille du nazi, pour la sucrer. Bref, revenons à l’autre soir… Comprenant que tout pouvait s’écrouler, ils adoptent un plan d’urgence. Pas de cadeau ! La vieille, Maud et une autre acolyte foncent à La Celle. Elles investissent la propriété, surveillent les occupants. Profitant de ce que la bonniche servait à table, l’une d’elles s’introduit dans la cuisine et drogue le champagne préparé dans un seau à glace. Ensuite, ces belles âmes attendent. La soirée se déroule, galante. Et puis vient l’heure de la ronfle. Elles ont chaussé d’énormes pompes de feutre pour qu’on ne puisse découvrir la petitesse de leurs empreintes de pas. Elles s’introduisent dans la chambre. Et couic, ma Julie ! La v’là sans glotte, elle qui était sans doute polyglotte. Ne reste plus qu’à faucher les faux fafs à Kimkonssern et à laisser les choses suivre leur cours.

« L’Allemand, au réveil, va se faire poirer. Il sera démasqué. Accusé de meurtre. Procès. Cela, joint à ses fâcheux antécédents, le conduira recta à la guillotine. Et qui donc irait signer la grâce d’un monsieur au pareil passé qui vient d’égorger une malheureuse prostipute ? Avant de grimper sur la bascule, Kimkonssern fera savoir à sa fille l’endroit où est planqué son énorme tag de pèze, ce qui est normal, et good bye, m’sieurs-dames ! Tu piges ? »

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4

Dis, lecteur : si ça te fait chier, la Chine, remplace par autre chose, hein, on n’ se gêne pas entre nous. Fous l’Amérique, la Russie, le Gabon, le Népal ou la République de Saint-Domingue si ça te botte.