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François Baranger

Dominium Mundi

Livre II

« ADAM, où es-tu, toi accoutumé à rencontrer avec joie ma venue, dès que tu la voyais de loin ? Je ne suis pas satisfait de ton absence ici. T’entretiens-tu avec la solitude, là où naguère un devoir empressé te faisait paraître sans être cherché ? Me présenté-je avec moins d’éclat ? Quel changement cause ton absence ? Quel hasard t’arrête ! Viens. »

« Je t’ai entendu dans le jardin, et j’ai eu peur de ta voix parce que j’étais nu : c’est pourquoi je me suis caché. » À quoi le Juge miséricordieux répliqua sans lui faire de reproche :

« Tu as souvent entendu ma voix et tu n’en as pas eu peur, mais elle t’a toujours réjoui : comment est-elle devenue pour toi si terrible ? Tu es nu, qui te l’a dit ? As-tu mangé du fruit de l’arbre dont je t’avais défendu de manger ? »

Le Paradis perdu, John Milton (1667)[1]

TROISIÈME PARTIE

VIII

Système Alpha Centauri, Akya.
30 octobre 2205 (Temps Relatif)

Le fronton installé à l’entrée du gigantesque camp militaire proclamait : Nouvelle-Jérusalem.

Lorsqu’il avait fallu baptiser la forteresse, quelques voix avaient objecté que donner le nom de la Cité Sainte à un camp militaire – fût-il exceptionnel comme celui-ci – était quelque peu audacieux. Néanmoins l’engouement général pour ce nom avait eu raison des réticences et Pierre l’Ermite avait procédé à une cérémonie solennelle, retransmise sur tous les canaux tachy des médias terrestres.

« Voici votre planning, Lieutenant, dit le capitaine de liaison à Tancrède en lui transmettant les fichiers sur son messageur. Avec ça, vous aurez de quoi vous occuper pendant quelques jours.

— Bien, mon Capitaine », répondit machinalement Tancrède en récupérant le petit rectangle noir que l’officier lui tendait.

La surface mate du messageur brillait d’une douce lumière orange qui pulsait lentement, signalant que les données étaient chargées. Tancrède le pressa deux fois du pouce pour faire cesser le clignotement, et le replaça sur le bracelet qu’il portait au poignet droit. Le rectangle se mit en place de lui-même, se déformant aussitôt afin d’épouser la légère courbure du bras, puis afficha l’heure comme n’importe quelle montre. À l’inverse de la plupart des gens qui se contentaient de le mettre dans une poche, Tancrède avait pris l’habitude de le porter ainsi.

Il fit un bref salut au capitaine qui ne le regardait déjà plus, quitta son bureau pour laisser place au sous-officier suivant, et traversa l’imposant hall du Centre de commandement général vers la sortie du bâtiment. Il se retrouva alors sur une grande esplanade de thermo-béton. Juste en face de lui se dressait le relais de communication dont les antennes, qui frôlaient pour certaines les cent mètres de hauteur, brillaient dans la lumière du soleil matinal.

Plutôt que d’attendre la navette, Tancrède décida de revenir à pied jusqu’à ses quartiers. Un peu de marche ne lui ferait pas de mal. Il se dirigea vers la route de terre qui descendait jusqu’au plateau principal. Le Centre de commandement avait été érigé sur une éminence rocheuse située au centre du camp croisé. Aussi Tancrède avait-il une vue générale sur toute la Nouvelle-Jérusalem et sur la région environnante. C’était un panorama impressionnant, même lorsqu’on l’avait déjà contemplé plusieurs fois.

L’immense camp croisé s’étendait sur un plateau presque circulaire qui s’élevait au-dessus de la plaine par des versants à pic de plus de cent vingt mètres et dont le diamètre atteignait par endroits deux kilomètres et demi. La plaine alentour était uniformément plate, abrasée par des millions d’années de vents acharnés, et les premiers reliefs ne se trouvaient qu’à quarante kilomètres à l’ouest où une petite chaîne de montagnes lançait ses premiers contreforts.

Les dix-huit parties mobiles qui avaient quitté le Saint-Michel s’étaient posées à intervalles réguliers de manière à occuper presque toute la surface du plateau. Comme elles provenaient de parties distinctes du navire principal, leurs tailles et leurs formes, toutes différentes, faisaient immanquablement penser, de loin, à un cimetière de vaisseaux. Toutefois, cette impression était démentie par la ville qui commençait à s’étendre entre elles.

En effet, en trois semaines, des milliers de bâtiments avaient poussé qui, comparés aux mastodontes de métal descendus du Saint-Michel, ressemblaient à des jouets. La plupart étaient des baraquements ou des entrepôts préfabriqués, montés en quelques heures.

Désormais, les troupes s’employaient à viabiliser le site jour après jour en coulant des dizaines de kilomètres de routes, terrassant les collines, stabilisant les parties mobiles, installant sous terre des conduites d’eau ou des piles alvéolaires et préparant les fondations pour les futurs bâtiments en dur.

Pour assurer la défense de la Nouvelle-Jérusalem, une barrière anti-franchissement avait rapidement été installée. Un poteau tous les cent mètres relayait un champ de rayonnement intense, létal pour toute créature vivante qui tenterait de le traverser. Du moins, toute créature connue. C’était, bien entendu, également valable pour les humains. Ensuite, des tours de défense primaire, équipées de canons lourds et de mitrailleuses T-farad, avaient été disposées tous les cinq cents mètres, permettant de couvrir le périmètre immédiat du camp.

À l’ouest, les longs rubans de thermo-béton des pistes de l’aérodrome se détachaient sur la terre beige du plateau, survolés par les intercepteurs qui demeuraient en alerte permanente alors même qu’on achevait à peine leurs installations. Au nord et au sud, se trouvaient deux portes dimensionnées à l’échelle de cette armée hors norme, ouvrant chacune sur une route en pente taillée à coup d’explosifs dans l’épaisseur des à-pics pour donner aux troupes un moyen de descendre dans la plaine. Au pied de ces routes, on avait installé des points de contrôle surprotégés et lourdement armés.

Alors qu’il était à peine à mi-chemin, la navette que Tancrède n’avait pas eu la patience d’attendre le dépassa en trombe. Il ne put réprimer une quinte de toux lorsqu’il fut englouti par le nuage de poussière que tout véhicule qui roulait ici ne manquait pas de soulever. Il avait d’ailleurs fallu instaurer dès les premiers jours des limitations de vitesse afin d’éviter que la ville ne devienne rapidement irrespirable.

Visiblement, ce damné chauffeur n’a pas eu la consigne, songea Tancrède avec agacement.

L’éminence rocheuse de laquelle il descendait était une sorte de plateau sur le plateau. Haute d’une quarantaine de mètres, la surface à son sommet avait été retaillée pour accueillir la partie mobile destinée à devenir le Centre de commandement général de l’armée croisée. En raison de son élévation, on y avait également érigé le relais principal de communications et plus tard, lorsque le camp serait terminé, ce serait là aussi que l’on édifierait la cathédrale. En attendant, les troupes se contentaient des églises en préfabriqué.

Il ne fallut que trente minutes à Tancrède pour rejoindre les baraquements de la 78e unité mixte I/C, situés à l’est de la Nouvelle-Jérusalem, dans les quartiers de l’infanterie. À sept heures du matin, la température était encore supportable et marcher en plein air restait agréable. Après plus d’un an et demi enfermé dans une boîte au beau milieu de l’espace, Tancrède ne perdait jamais une occasion d’être dehors, sans rien d’autre au-dessus de la tête que le ciel rosé d’Akya du Centaure.

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1

Traduction de Chateaubriand, 1839.