Выбрать главу

Tancrède songea aussitôt qu’Albéric faisait probablement partie des mutins. Il ne put réprimer un frisson.

« Je me suis dit que ton ancien ami avait peut-être participé à ce coup de force, reprit Clorinde en lui jetant un regard indéchiffrable, et que ça t’intéresserait de le savoir.

— Je… ne sais pas. Cela ne lui ressemble pas vraiment. Mais je suppose que c’est possible… », acquiesça Tancrède, mal à l’aise.

La nouvelle lui fit davantage d’effet qu’il ne l’aurait cru. Il sentit son estomac se nouer à l’idée qu’Albéric venait de flanquer sa vie en l’air et que c’était en partie de sa faute. Peut-être que s’il ne l’avait pas rejeté si brusquement, il n’aurait pas commis un acte aussi radical.

« De toute façon, on sera rapidement fixés, conclut la jeune femme. Ils seront vite retrouvés et jugés, cela ne fait aucun doute. »

Tancrède ne voulait pas la contrarier. Toutefois, tel qu’il connaissait Albéric, il se dit que l’inerme n’avait sûrement rien laissé au hasard et que les déserteurs ne seraient peut-être pas aussi faciles à attraper qu’elle l’imaginait.

* * *

« Tout le monde enfile les tenues anti-froid ! dis-je d’une voix suffisamment forte pour que tous entendent. D’ici peu, la température va devenir glaciale ! »

Réunis à la tête de la colonne formée par les huit Orcas à l’arrêt, cent inermes s’exécutèrent, sortant les combinaisons et se les passant les uns aux autres. Les volutes de vapeur produites par les respirations empanachaient leurs silhouettes qui se détachaient sur la lueur violacée des phares UV.

Malgré le froid et la fatigue, je commençais à me détendre. L’opération avait failli déraper plusieurs fois, mais dans l’ensemble, tout s’était à peu près bien passé. Dès que Pascal m’avait prévenu, ce matin, de la diminution de la sécurité à l’élévateur nord, nous avions envoyé le signal convenu à tous les membres concernés du Réseau. À compter de ce moment, les dés étaient jetés. Impossible de revenir en arrière.

Comme prévu, huit équipes étaient allées voler les Orcas – de gros véhicules de transport de matériel et de troupes – qui les attendaient dans leurs hangars, officiellement immobilisés pour réparation. Bien entendu, ils fonctionnaient parfaitement, mais nous nous étions assurés que leur statut dans la base de données resterait « réparations en cours » afin d’être sûrs de les trouver là le jour J. Je faisais moi-même partie de l’une des équipes. Comme nous nous étions procurés des tenues de techs, personne n’eut l’air étonné de nous voir prendre les véhicules.

Nous nous installâmes dans la vaste cabine et le conducteur de notre équipe manœuvra l’engin vers la sortie du hangar. Quelques minutes plus tard, il fallut s’arrêter pour récupérer une dizaine d’entre nous qui attendaient, discrètement postés sous un récupérateur d’eau de pluie. C’étaient eux qui avaient les armes. Chacun s’en munit sans grand enthousiasme. Nous espérions ne pas avoir à nous en servir. J’avais longuement insisté sur ce point lors des nombreuses réunions préparatoires. Il fallait à tout prix éviter l’usage de la force, cela donnerait un bon prétexte aux militaires pour nous massacrer si nous devions être pris. De plus, cela nous ferait un peu trop ressembler à ceux que nous détestions tant.

Je ne pouvais me douter à quel point j’avais tristement raison.

Toute la petite troupe s’installa dans l’Orca. Douze personnes par transport. Cent en tout. Quarante-huit femmes et cinquante-deux hommes. J’aurais aimé réunir exactement autant d’hommes que de femmes pour cette opération, cependant, le choix des participants avait obéi à d’autres critères. Par ailleurs, de même que dans le reste de l’armée croisée, il y avait bien moins de femmes que d’hommes chez les inermes.

L’Orca s’ébranla à nouveau pour rejoindre le troisième point de rendez-vous. Des véhicules légers et tout-terrain, que tout le monde appelait buggys, avaient été entreposés avec de grandes quantités de vivres dans des hangars soigneusement effacés de la mémoire des ordinateurs. Chacune des huit équipes se rendit à celui qui lui avait été attribué et quatorze buggys furent montés dans les soutes des transports de troupes. Nous aurions dû en réunir seize, mais le temps nous avait manqué. Il faudrait donc que certains finissent le trajet à pied, une fois que nous nous serions débarrassés des Orcas.

Les vivres et le matériel restant furent rapidement chargés, sous l’œil indifférent de quelques passants attardés qui pressaient le pas pour assister à l’allocution d’Urbain IX. Le camp était pratiquement désert et personne ne faisait attention à nous.

Les choses changèrent lorsque les huit transports de troupes opérèrent leur jonction, à environ huit cents mètres de l’élévateur nord. Une telle procession de monstres (les Orcas mesurent tout de même dans les trente-cinq mètres et pèsent près de quarante tonnes à vide), cela ne passe pas franchement inaperçu. Quelques groupes de personnes qui suivaient le discours du pape sur des plaques publiques se retournèrent à notre passage et nous montrèrent du doigt. Il ne fallait surtout pas qu’un de ces ahuris, pris d’un soudain sens du devoir, prévienne un responsable que quelque chose de bizarre se passait dans le coin.

« Voilà le poste de garde de l’élévateur », me dit Silvio d’une voix tendue en montrant un bâtiment en préfabriqué droit devant. J’avais préféré faire équipe avec lui plutôt qu’avec Pascal. Il fallait éviter que plusieurs membres importants de la direction du réseau se retrouvent ensemble, au cas où certaines équipes parviendraient à s’enfuir et pas d’autres.

« Ils n’ont pas l’air en alerte, répondis-je en scrutant les lieux. Je ne vois que le planton de service, les autres doivent être à l’intérieur. »

L’élévateur nord était un énorme monte-charge qui permettait d’éviter les sinuosités de la rampe d’accès au camp. Pour les plus gros véhicules ou les blindés, descendre directement au niveau de la plaine à travers un puits vertical représentait un gain de temps appréciable. Un autre avait été construit à la porte sud de la ville.

Le planton sortit de sa cabine et nous barra la route. J’observai attentivement son visage afin d’y détecter un éventuel signe d’alarme, mais n’y vis qu’une expression vaguement ennuyée. Notre Orca s’arrêta à un mètre de lui puis toute la colonne fit halte derrière nous. Je pris délibérément mon temps pour ouvrir la portière et descendre le long de l’échelle, suivi de près par Silvio, tandis que notre conducteur restait aux commandes.

« Qu’est-ce c’est que ce bordel ? nous demanda aussitôt le garde en soupirant. Il y a des manœuvres prévues aujourd’hui ? »

Il agita son messageur sous mon nez pour me montrer une petite projection holo de son planning.

« Il n’y aucune trace de huit Orcas à descendre dans mes ordres d’aujourd’hui ! »

C’est alors qu’une douzaine d’inermes, qui s’étaient approchés sans bruit de l’autre côté du transport, jaillirent brusquement, armés comme lui de fusils T-farad, et l’encerclèrent en un instant. L’homme blêmit.

« Ton planning n’est pas à jour, soldat, lui dis-je tandis que je lui soustrayais son arme. Je propose que nous allions régler cela tous ensemble, au poste de garde. »

L’homme fut poussé jusqu’à l’entrée du poste. Nous restâmes hors de vue des caméras pendant qu’il s’identifiait, puis, dès que la porte s’ouvrit, nous nous précipitâmes à l’intérieur. Se rendre maîtres des lieux ne posa pas de difficulté. Comme prévu, l’allocution du pape avait poussé beaucoup de soldats à quitter leur poste et ceux qui restaient suivaient la retransmission de l’événement sur l’Intra. Je dois bien reconnaître que nous eûmes de la chance qu’aucun combat avec des Atamides n’ait été livré depuis le début, sans quoi, la discipline ne se serait pas relâchée à ce point. Les huit gardes furent désarmés promptement.