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« Ne craignez rien, leur dis-je alors, d’une voix que j’aurais voulu moins tremblante, il ne vous sera fait aucun mal si vous coopérez. Tout ce que nous voulons, c’est sortir du camp par l’élévateur. Si vous restez tranquille, il n’y aura pas de bobo. »

Vert de rage, l’un des gardes cracha à mes pieds puis me lança : « Chiens de classes zéro ! Vous ne vous en tirerez pas comme ça ! On vous rattrapera et vous serez tous massacrés comme des bâtards ! »

« Ferme-la ! » lui cria aussitôt son chef, mais c’était trop tard. L’un d’entre nous, trop nerveux, venait de faire feu. L’homme s’effondra en hurlant de douleur.

« Que personne ne tire ! hurlai-je aussitôt, de peur que cela ne dégénère. Ils ne sont plus armés, donc il n’y a rien à craindre ! » Puis, j’ajoutai à l’attention de celui qui avait pressé la gâchette : « Garde ton calme, l’ami, ils peuvent bien raconter ce qu’ils veulent du moment qu’ils se tiennent à carreau. »

L’homme hocha la tête, visiblement un peu honteux.

« Comment va-t-il ? » demandai-je au chef de la garde, qui se penchait sur le soldat blessé.

L’odeur âcre des chairs brûlées se répandit rapidement dans l’atmosphère confinée des lieux. L’homme était déjà inconscient.

« Il s’en tirera, me répondit-il. Du moins, si on l’emmène à l’hôpital.

— Le temps de descendre les Orcas et de prendre un peu d’avance, et vous serez libérés. Vos systèmes de sécurité ont été hackés. Les serrures s’ouvriront d’elles-mêmes dès que nous serons loin. »

Le chef me fit un signe de tête pour me montrer qu’il avait compris. Je pense qu’il avait tout de suite vu qu’il n’avait pas affaire à des types désespérés et prêts à tout, mais plutôt à une bande organisée avec un but précis. S’il ne se mettait pas sur notre chemin, il n’y aurait pas d’autre blessé. Il ordonna fermement à ses hommes d’exécuter nos consignes. Je demandai à l’un des miens d’aller chercher un bloc-médic pour que le blessé puisse recevoir les premiers soins.

Nous demandâmes ensuite au technicien du site de nous aider à manœuvrer l’élévateur. Il s’exécuta craintivement et nous pûmes faire avancer les premiers Orcas sur la plate-forme. Étant donné la surface disponible, trois véhicules pouvaient être parqués en rangs serrés dans le sens de la largeur, ce qui nous permettrait de ne faire que trois rotations. À environ six minutes par rotation, il nous faudrait donc plus d’un quart d’heure pour terminer. Je regardai nerveusement l’heure sur mon messageur ; nous étions toujours dans les temps, aucune raison de paniquer.

La manœuvre put commencer. Les bras croisés afin d’éviter que l’on remarque le tremblement de mes mains, j’observai le déroulement des opérations depuis la baie vitrée du poste de garde. Je ne pouvais pas m’empêcher de déglutir sans arrêt. Si une ronde passait maintenant, nous serions coincés dans une véritable souricière. Les minutes s’écoulaient avec une effroyable lenteur. J’étais tellement tendu que si quelqu’un m’avait tapé sur l’épaule à cet instant, je crois que j’aurais sauté jusqu’au plafond.

Je remarquai alors un murmure dans le fond de la pièce. Deux de nos prisonniers chuchotaient entre eux. Rien de très bruyant, mais cela me porta immédiatement sur les nerfs. Me retournant vivement, je marchai vers eux à grandes enjambées, l’air furibond. Les deux hommes cessèrent aussitôt leur bavardage. C’est alors que je le reconnus.

Maurin.

Le seul non-inerme du pupitre 2CG où j’officiais sur le Saint-Michel. L’ignoble délateur dont les dénonciations nous avaient tous valu plus d’une punition, nous rendant la vie encore plus difficile, si besoin était. Combien de fois m’étais-je juré que je me vengerais de cette pourriture si l’occasion s’en présentait ?

Et là, comme tombé du ciel, je le trouvai devant moi.

Je n’ai jamais su ce qu’il faisait là, s’il avait été muté ici ou s’il rendait simplement visite à quelqu’un. Toutefois, à cet instant, cela m’était égal. Il était là, devant moi, à ma merci. Sans même réfléchir à ce que je faisais, je desserrai la bandoulière de mon arme pour qu’elle glisse de mon dos jusque dans mes mains.

Je pense que jusque-là Maurin ne m’avait pas reconnu. Cela devait lui paraître inconcevable que moi, Albéric Villejust, je sois le chef d’une bande de mutins. Lorsqu’il me vit armer mon fusil, une affreuse expression de terreur déforma ses traits. Il voulut parler, mais seul un hoquet sortit de sa bouche. Il leva les mains devant lui dans un acte dérisoire de défense. Son visage était livide. J’avançai vers lui avec lenteur, l’esprit embrumé, les tempes glacées, incapable de fixer mon esprit. C’était comme si quelqu’un d’autre dirigeait mon corps, lui faisant exécuter une gestuelle macabre. Soudain, une voix résonna sur ma droite.

« Tu devrais t’arrêter, mon garçon. Pour l’instant, il n’y a eu qu’un blessé. C’est déjà sérieux, mais ce n’est rien à côté de ce que ce sera s’il y a des morts. »

C’était le chef de la garde. Sa voix, grave et calme, stoppa net ma progression. Je tournai lentement la tête dans sa direction, mais ce ne fut pas lui que je vis. Mon regard s’arrêta sur la cloison vitrée qui isolait le bureau d’à côté de la pièce où nous nous trouvions. Dans cette vitre, j’aperçus l’image d’un homme tenant un fusil braqué vers un autre homme, une rage mortelle sur le visage, le corps entièrement ramassé vers l’avant, crispé sur son arme, dans l’évidente intention d’en finir. Je vis un meurtrier. Je vis mon propre reflet.

Je fus alors pris d’un terrible haut-le-cœur et j’aurais peut-être même vomi si Silvio n’avait crié derrière moi :

« Albéric ! Le plateau est remonté, c’est notre tour ! Ne traînons pas ! »

Peinant à reprendre mes esprits, je reculai en titubant, fixant tour à tour mon ex-future-victime et le chef des gardes ; l’un, les yeux écarquillés, réalisant qu’il venait d’échapper à la mort et l’autre me fixant d’un regard qui disait qu’il avait parfaitement compris ce qui venait de se jouer ici. Je crus percevoir dans son expression quelque chose comme de l’admiration pour l’effort que je venais de faire sur moi-même pour mettre fin à ma pulsion létale, mais peut-être ne fut-ce qu’un simple effet de mon imagination.

Je sortis en dernier de la salle et lançai d’une voix rauque : « Dans une heure environ, les serrures s’ouvriront et vous pourrez porter votre blessé à l’hôpital. »

Avant de fermer la porte, je fis un léger signe de tête au chef, qui venait probablement de m’éviter d’avoir à vivre le reste de mes jours avec la conscience d’un assassin.

Sans perde davantage de temps, je grimpai sur le plateau du monte-charge et embarquai dans la cabine où Silvio et le conducteur m’attendaient. La vitesse à laquelle l’énorme élévateur nous descendit me surprit un peu, mais je la remarquai à peine tant j’étais ébranlé par l’expérience que je venais de vivre.

Une fois en bas, il était bien sûr hors de question de rejouer le même coup au point de contrôle qui gardait l’entrée des deux routes menant à la porte principale, ainsi qu’à l’élévateur. Il y avait bien trop de gardes là-bas. Et si nous avions essayé de passer en force, les tours de défense primaire nous auraient réduits en bouillie en moins de deux. Mais nous n’étions pas bio-informaticiens pour rien ; un hack avait été prévu pour contourner ce problème.