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On frappa à la porte. C’était le type de la réception portant un plateau d’aluminium cabossé avec une bouteille et trois verres. La bouteille n’avait pas d’étiquette. Malko l’ouvrit et la flaira. Cela pouvait évidemment passer pour de la vodka. Le type devait la fabriquer dans sa baignoire.

Dès que l’employé fut sorti, la fille sauta sur la bouteille.

— Je peux en prendre ?

Malko lui fit signe que « oui ». Elle l’ouvrit et but une large rasade au goulot, puis elle alla s’étendre sur le lit, s’enveloppant dans le couvre-pieds sale.

Malko et Krisantem se partagèrent les fauteuils marron défoncés. Il y eut un long silence, puis… un bruit de sanglots monta du lit.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Malko.

— J’ai le cafard, renifla la fille. A cause de mon fiancé. C’était plutôt inattendu.

— Il vous a quittée ? Elle ricana, tristement.

— Ça oui. Il est mort. Samedi soir, on était en virée. Il a dérapé sur la glace avec sa moto, et il s’est payé un arbre avec sa tête. C’est moche, il y avait de la cervelle partout. Du truc gris et rouge. Quand j’y pense, je suis drôlement triste. Il a pas eu le temps de dire « ouf ». Elle s’essuya les yeux.

— Bon. Tout ça, vous n’en avez rien à foutre. On commence. Vous voulez tous les deux ensemble ou l’un après l’autre ?

— Nous avons tout le temps, dit Malko. Je vous donnerai 500 schillings si vous restez toute la soirée avec nous.

Elle ouvrit de grands yeux.

— Qu’est-ce qu’il va falloir que je fasse comme cochonneries !

Malko sourit, malgré lui.

— Non. Rien du tout.

— Vous allez pas me filer une trempe, avant ?

— Mais non, reposez-vous pour l’instant.

Il ôta sa veste et s’étendit sur le lit, près d’elle. Aussitôt elle allongea la main pour le caresser. Il l’écarta doucement.

— Attendez, je réfléchis. Elle pouffa.

— Dis donc, t’es un drôle de vicieux, toi.

Krisantem, de son fauteuil, suivait la scène avec réprobation. Malko ferma les yeux. Dès que la nuit serait tombée il tâcherait de trouver une meilleure cachette. Il avait besoin de quatre ou cinq jours. A ses yeux, la seule personne capable de l’aider était Alfi ; à une condition : que ça lui rapporte assez.

Epuisé, il s’assoupit. A côté de lui, la fille somnolait aussi. Il se réveilla vers neuf heures. Krisantem n’avait pas bougé de son fauteuil. La fille ronflait, couchée sur le côté. Il faisait un froid de canard dans la chambre. Malko s’étira et se leva doucement :

— Elko, allez chercher des saucisses. On sortira vers minuit.

Le Turc mit son manteau et sortit. Il revint une demi-heure plus tard, avec des saucisses, des petits pains et l’édition du soir du Kurier. Sans rien dire, Krisantem étala le journal sur la table bancale et montra la manchette à Malko. En énormes caractères, elle barrait toute la page :

« UN AVION DE LA LUFTHANSA EXPLOSE EN VOL ». Avec un curieux picotement au creux des mains, il lut l’article. Le vol 649 de la Lufthansa, Vienne-Cologne, s’était désintégré au sud de Francfort. On ignorait encore les causes de l’accident. Des automobilistes sur l’autobahn avaient vu une boule de feu tomber du ciel et s’écraser dans la forêt. La tour de contrôle de Francfort n’avait reçu aucun message indiquant que l’appareil soit en difficulté. Les 68 passagers et les cinq membres de l’équipage étaient morts. On se perdait en conjectures sur la cause de l’accident.

Malko posa le journal sur ses genoux. Il revoyait les yeux du petit homme en manteau de cuir, à la fois ironiques et désabusés. Lui savait que l’avion allait tomber. La mort de Malko avait décidément beaucoup d’importance. Ce genre d’accident ne servait que pour les chefs d’Etat, d’habitude.

Il eut la nausée en pensant aux 73 personnes qui venaient de mourir, à cause de lui. Par erreur.

15

La poignée de main d’Alfi avait été un tout petit peu moins chaleureuse que d’habitude. Malko n’avait pas réussi à accrocher son regard. Le patron du Playboy semblait mal à l’aise. Les nouvelles allaient vite. Il n’y avait presque plus personne dans la boîte. Toni, le barman, somnolait dans un coin de son bar. Un instant, Malko fut envahi d’une immense lassitude. Cela aurait été bon de passer la nuit à boire avec Alfi, sans souci, à passer en revue les wiener medl, les jolies filles de connaissance. Au lieu de cela, il n’était même pas sûr qu’Alfi ne soit pas en train de téléphoner à ceux qui le traquaient. La C.I.A. avait beaucoup d’argent. Il n’y avait plus un endroit sûr à Vienne.

— Je me sauve, dit-il légèrement à Alfi. A bientôt.

Il avait brusquement renoncé à demander asile au patron du Playboy. Alfi était trop sensible à l’attrait des schillings. Et son attitude n’était pas faite pour mettre Malko en confiance. Celui-ci repartait, quand une voix haut perchée fit derrière lui :

— Malko ! Wie geht’s ?

La Gräfin Thala von Wisberg quittait la piste de danse. Malko admira son port altier, ses épaules et ses bras magnifiques découverts par une robe toute simple de Balenciaga. Sans le réseau de rides infinitésimales autour de ses yeux, on lui aurait donné vingt ans. Les étudiants qui cédaient à ses charmes avaient bien des excuses. Malko s’inclina :

— Kuss die Hand, Gräfin.

Elle abandonna sa main une demi-seconde de trop.

— Ne soyez pas si cérémonieux. Je m’appelle Thala. Offrez-moi une coupe de Champagne, j’ai soif.

Pour lui, il commanda son éternelle vodka. Alfi en profita pour s’esquiver. Krisantem, en bas dans la voiture, devait s’impatienter. Il écoutait le badinage de Thala von Wisberg. C’était une femme intelligente et pleine de charme, douée d’une volonté de fer. Il avait l’impression que leur conversation n’était pas purement l’effet du hasard. Elle tira de sa pochette noire un petit fouet à Champagne en or et remua sa coupe. Ses yeux souriaient en regardant Malko.

— Dansons, dit-elle.

C’était plus un ordre qu’autre chose.

Elle dansait très droite, le visage impénétrable, la main légèrement posée sur l’épaule de son cavalier, mais les hanches étroitement appliquées contre lui. Malko se souvint qu’elle avait la réputation de ne jamais porter de dessous.

Ils n’échangèrent pas un mot et la danse finie revinrent au bar.

— C’est sinistre ici, dit Thala. Partons, je vous offre un verre chez moi.

Ils se retrouvèrent sur le pas de la porte. Elle s’était frileusement enroulée dans un superbe manteau de panthère des Somalies. Son regard plein d’assurance croisa les yeux dorés de Malko et un sourire indéfinissable retroussa les coins de sa bouche.

— Vous avez une voiture ? demanda-t-elle.

Malko hésita. Krisantem était à vingt mètres, dans la Mercédès. Mais il voulait savoir où voulait en venir Thala von Wisberg.

— Non, mentit-il.

— Tenez. Conduisez.

Elle lui tendit un trousseau de clefs. Sa voiture était en face du Playboy, une grosse Rover rouge sombre.

Le portier se précipita pour leur ouvrir la portière. Cassé en deux, il reçut le billet de 20 schillings de Malko.

De la Mercédès, Krisantem suivait la scène avec une grande réprobation. Par moments, son patron était bien léger. Thala alluma une cigarette et croisa les jambes. Elle portait des bas gris fumée.

— Mettez vite le chauffage, dit-elle. On gèle ce soir. Il paraît que la route de Kithsbühl est coupée.