Выбрать главу

— Coby, dit-il, vous avez bien donné l’ordre à Kurt de cesser de me poursuivre avant-hier.

— Certainement.

— Alors, il n’obéit pas aux ordres. Ou il obéit à d’autres. William Coby se décomposait au fur et à mesure que Malko refaisait son récit.

— Il pourra mentir à tout le monde, sauf à moi, conclut celui-ci. Convoquez-le immédiatement.

Il y eut un silence pesant. Puis Foster Hillman dit d’une voix égale :

— Faites ce qu’il vous dit.

Coby se jeta sur le téléphone, heureux de dissiper tout soupçon. Le chef de la C.I.A., fit signe à Malko : il était installé dans le bureau voisin, où un large canapé jaune leur tendait les bras. Malko referma la porte et s’assit près de Foster Hillman. Puisque Kurt avait le téléphone dans son Austin, on le joindrait facilement. A côté de lui, Foster Hillman ressemblait non pas à un super espion, mais à un pasteur anglican. Ce qu’était son père. Il voulut profiter de leur tête-à-tête.

— Que pensez-vous de ce dossier, Monsieur Hillman, demanda-t-il. En votre âme et conscience, pensez-vous qu’il doive demeurer… confidentiel.

Le patron de la C.I.A. tira sur sa cigarette, le visage fermé. Une indéfinissable expression de lassitude vieillissait ses traits.

— Nous nous sommes posé la question, dit-il. Et nous y avons répondu.

Malko voulait sonder l’âme de cet homme tout-puissant. Il ne se contenta pas de cette plate réponse.

— Le 23 novembre 1963, vous avez perdu un grand homme, fit-il. Ses assassins courent encore. Cela ne vous gêne pas ? L’Américain rougit brusquement. C’était tellement inattendu chez ce personnage compassé, professionnellement blindé contre toute émotion que Malko eut presque honte de sa question. Les yeux très loin, Foster Hillman articula nettement :

— Je vous donne ma parole d’honneur que je donnerais n’importe quoi pour que les assassins de John Kennedy soient punis. Peut-être cela arrivera-t-il un jour. Peut-être aussi serons-nous morts, vous et moi, depuis longtemps. Mais dans la conjoncture actuelle, c’est impossible. Aucun dirigeant responsable ne prendra le risque aux yeux de l’Histoire, d’être celui qui aura porté ce coup à son pays. Moi, pas plus que les autres.

— Je comprends.

Une immense tristesse était tombée entre les deux hommes. Ils ne voulaient pas prononcer certains noms ni certains mots. Mais ils savaient et cela était déjà trop. Foster Hillman rompit le silence pour dire :

— Vous nous avez rendu beaucoup de services, S.A.S. J’espère que vous nous en rendrez d’autres encore. Personne, maintenant, ne discutera plus mes ordres.

Malko n’eut pas le temps de répondre. Un des deux gorilles en imperméable noir ouvrit la porte du couloir.

— Il est là, annonça-t-il.

Foster Hillman se leva lourdement.

— Je vais voir l’Ambassadeur, dit-il. Je vous laisse régler ce problème au mieux. A tout à l’heure.

Il précéda Malko dans le couloir. Les deux gorilles attendaient, appuyés au mur. Le chef de la C.I.A. s’éloigna et ils entrèrent dans la pièce où il venait de bavarder avec Malko. Celui-ci frappa à la porte du bureau de William Coby et entra. Kurt von Hasel était assis de dos et il ne vit pas immédiatement Malko. Mais la pâleur subite de William Coby le fit se retourner. Son expression désinvolte changea à peine. Il détourna imperceptiblement le regard pour ne pas rencontrer les yeux dorés fixés sur lui.

— Quelle bonne surprise ! fit-il. William ne m’avait pas dit que vous étiez dans la maison.

Si William Coby s’était trouvé dans un train, il aurait instantanément tiré la sonnette d’alarme pour sauter le plus loin possible. Son air flegmatique s’était décomposé. Il avait horreur de ces situations chargées de drame.

Malko ne perdit pas de temps.

— Quand avez-vous reçu l’ordre de ne plus m’abattre ? demanda-t-il brutalement à Kurt.

L’Autrichien bougea sur son fauteuil.

— Il y a deux jours, je pense.

— Alors que faisiez-vous avec vos tueurs, ce matin ?

— Mais, vous…

— Je vous ai vu dans votre Austin. A côté de la Buick du Gehlen-Apparat. C’était une coïncidence ?

L’instant qui suivit parut interminable aux trois hommes. Puis Kurt dit lentement :

— Ce n’était pas une coïncidence.

Sa main avait déjà atteint sa hanche quand la porte communiquant avec l’autre pièce s’ouvrit brusquement. Malko ne vit d’abord qu’un coussin jaune. Il avait déjà la main sur la crosse de son pistolet quand deux détonations assourdies secouèrent le bureau. Kurt von Hasel sembla se tasser dans son fauteuil. Un petit Colt 32 nickelé glissa sur la moquette sans bruit et son visage prit une expression de souffrance indicible.

Derrière le coussin jaune qui avait servi de silencieux improvisé, il y avait un des gorilles en imperméable noir. Les deux balles de son 38 avaient touché Kurt au foie. Il s’approcha l’arme levée. Mais l’Autrichien était mourant. Alors, sans mot dire, le gorille repartit comme il était venu, le coussin jaune à la main. William Coby tremblait convulsivement. A Yale, on ne lui avait pas parlé de cet aspect-là de la C.I.A. L’âcre odeur de la cordite lui arracha une toux sèche.

Cette fois, le cadavre dans son beau fauteuil n’était pas un numéro abstrait. Affolé, il jeta un coup d’œil suppliant à Malko comme si ce dernier avait pu le faire disparaître d’un coup de baguette magique.

— Ce serait intéressant de savoir pour qui il travaillait, dit celui-ci.

— Je pense qu’il voulait m’enlever ce matin. Voilà pourquoi ils étaient si nombreux, et pourquoi il a fui en me voyant. Il ne voulait pas me tuer. Vous n’avez plus qu’à trouver un autre agent local… Il eut pitié du désarroi de William Coby.

— Rassurez-vous, dit-il. Il ne se passe pas de mois sans qu’un des hommes du merveilleux Apparat Gehlen ne prenne le chemin de Moscou ou de Pékin. Kurt avait de gros besoins, comme tous les gentlemen qui ont pris l’habitude de bien vivre. Il fallait bien qu’il trouve de l’argent quelque part.

L’entrée de Foster Hillman interrompit cet intéressant monologue. Le patron de la C.I.A. se planta devant le fauteuil et regarda Kurt avec infiniment de pitié. Le gorille avait dû lui raconter l’histoire. Une seconde, Malko sentit que cet homme méprisait profondément le métier qu’il faisait. A son stade, il n’avait pas souvent l’occasion de voir des hommes mourir.

Il tira son porte-cigarettes en or massif et en sortit une Winston, il l’alluma avec un briquet en or également, tira une bouffée, puis se tourna vers Malko et dit pensivement :

— Nous faisons un métier difficile. Voyez-vous, nous ne savons jamais où sont nos vrais amis et nos vrais ennemis.

En mourant, Kurt von Hasel avait légèrement retroussé sa lèvre supérieure, ce qui lui donnait un air moqueur.

* * *

Le feu craquait joyeusement dans la cheminée. Avant de s’étendre sur la couverture de fourrure, Malko avait discrètement donné un tour de clef à la porte de la bibliothèque. Une douce chaleur régnait dans la pièce, éclairée seulement par les deux chandeliers que Malko avait apportés de la salle à manger.

Agenouillée devant le feu, Alexandra jouait avec ses cheveux dénoués. Les flammes leur donnaient un flamboiement roux. Impossible de savoir si la lueur qui dansait dans ses yeux venait du reflet de la cheminée ou de ses pensées. Malko lui tendit son verre de vodka.

— A nous.

Elle leva son verre et but d’un trait. Puis elle passa ses bras autour du cou de Malko et frotta légèrement sa poitrine nue contre le tissu léger de sa chemise.

— Je ne devrais pas être ici, murmura-t-elle. Tu es un cochon dégoûtant.

Ce qui était un pléonasme.