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— Je vois, fit Stockstill, continuant d’écrire.

— Ils sont toujours en chasse, mais en fin de compte ils échoueront, déclara Mr Tree d’un ton rauque en allumant une cigarette. Car Dieu est avec moi. Il connaît ma situation et c’est souvent qu’il m’a parlé et m’a donné la tactique indispensable pour rester en vie malgré mes poursuivants. Je travaille maintenant à Livermore, sur une idée nouvelle dont les résultats seront définitifs en ce qui concerne notre ennemi.

Notre ennemi, songeait Stockstill. Qui est notre ennemi… sinon vous, Mr Tree ? Vous qui êtes assis là à me dévider vos visions de paranoïaque ? Comment avez-vous jamais obtenu la position élevée que vous occupez ? Qui a la responsabilité de vous avoir conféré pouvoir sur la vie d’autrui… et de vous laisser ce pouvoir même après le fiasco de 1972 ? Vous – et ces responsables – les voilà, nos ennemis !

Toutes nos craintes à votre sujet se confirment ; vous avez le cerveau dérangé… comme le prouve votre présence ici. Ou est-ce bien une preuve ? se reprit mentalement Stockstill. Non, ce n’est pas une preuve et je ferais peut-être mieux de me récuser ; il est peut-être malhonnête de ma part de m’occuper de vous. Étant donné mes sentiments… je ne saurais adopter à votre égard une attitude détachée, désintéressée ; je ne peux rester scientifique de bonne foi et par conséquent mon analyse et mon diagnostic peuvent très bien se révéler erronés.

— Pourquoi me regardez-vous ainsi ? demanda Mr Tree.

— Je vous demande pardon ? murmura Stockstill.

— Seraient-ce mes stigmates qui vous répugnent ?

— Non… non, fit Stockstill. Ce n’est pas cela.

— Mes pensées, alors ? Vous étiez en train de les lire et leur nature dégoûtante vous amène à regretter que je vous aie consulté ? (Mr Tree se leva brusquement et se dirigea vers la porte du cabinet :) Bonjour.

— Attendez, dit Stockstill en lui emboîtant le pas. Finissons-en au moins avec les éléments biographiques ; nous avons à peine commencé.

Mr Tree le considéra un moment, puis déclara :

— J’ai confiance en Bonny Keller ; je connais ses opinions politiques… elle n’est en rien mêlée à la conspiration communiste internationale qui vise à me supprimer à la première occasion.

Il se rassit, un peu plus calme. Mais il donnait l’impression de rester sur ses gardes ; il ne se permettrait pas un instant de décontraction en présence de Stockstill ; ce dernier s’en rendait compte. Il ne s’ouvrirait pas, il ne se révélerait pas en toute sincérité. Il continuerait d’entretenir des soupçons… et peut-être n’aurait-il pas tort, s’avouait Stockstill.

Tout en rangeant sa voiture, Jim Fergesson, propriétaire de Modern TV, s’aperçut que son vendeur Stuart McConchie, appuyé sur son balai devant la boutique, ne balayait pas mais se contentait de rêvasser.

Puis, suivant la direction de son regard, il constata que le vendeur n’était distrait ni par la vue d’une jolie fille ni par une voiture un peu originale – Stu aimait les filles et les bagnoles, ce qui était parfaitement normal – mais qu’il examinait les malades qui entraient dans le cabinet du médecin de l’autre côté de la rue. Ce qui n’était pas du tout normal.

En quoi cela pouvait-il intéresser McConchie ?

— Écoute, lui dit Fergesson en se hâtant vers l’entrée du magasin. Arrête ! Un jour, tu seras peut-être malade, et je me demande si ça te plairait beaucoup qu’un crétin te regarde comme ça quand tu iras chez le toubib ?

— Non ! rétorqua Stuart en tournant la tête. Ce n’est pas ça. J’ai seulement vu une personnalité importante entrer chez lui, et je n’arrive pas à me rappeler qui c’est.

— Il n’y a qu’un névrosé pour étudier les autres névrosés, déclara Fergesson qui pénétra dans le magasin et se rendit à la caisse pour la garnir de billets et de monnaie pour la journée.

En tout cas, songeait-il, attends seulement de voir qui j’ai embauché comme dépanneur de télé ; alors tu pourras écarquiller les yeux !

— Écoute, McConchie, dit-il. Tu sais, le môme sans bras ni jambes qui passe sur son truc à roulettes ? Ce phocomèle qui n’a que de minuscules moignons parce que sa mère prenait cette fameuse drogue des années 60 ? Celui qui traîne toujours par ici parce qu’il veut devenir dépanneur télé ?

Stuart, planté avec son balai, répondit :

— Je parie que vous l’avez embauché.

— Ouais, hier, pendant que tu faisais ta tournée.

— C’est mauvais pour les affaires, dit McConchie au bout d’un moment.

— Pourquoi ? Personne ne le verra ; il restera en bas dans l’atelier de réparation. De toute façon, il faut bien donner du boulot à ces gens-là ; ce n’est pas leur faute s’ils n’ont ni bras ni jambes ; c’est la faute des Allemands.

Après un nouveau silence, Stuart répondit :

— D’abord, vous m’embauchez, moi, un nègre, et maintenant un phoco. Y a pas à dire, Fergesson, vous cherchez à bien faire !

Fergesson sentit monter la colère :

— Non seulement je cherche, mais j’agis ; je ne rêvasse pas comme toi. Je suis un homme qui prend ses décisions et agit en conséquence. (Il alla ouvrir le coffre-fort de la boutique.) Il s’appelle Hoppy. Il viendra demain matin. Tu devrais le voir manier des trucs avec ses mains électroniques ; c’est une merveille de la science moderne.

— Je l’ai vu, dit Stuart.

— Et ça te gêne ?

Stuart s’agita nerveusement :

— C’est… c’est pas naturel !

— Écoute bien ! Tâche de ne pas te foutre de ce gosse ! Si je t’y prends, toi ou un autre vendeur, ou n’importe lequel de mes employés…

— C’est bon, murmura Stuart.

— Tu t’ennuies, reprit Fergesson, et l’ennui est un mauvais signe qui veut dire que tu ne t’emploies pas au maximum ; tu mollis, et pendant des heures que tu me dois ! Si tu travaillais dur, tu n’aurais pas le temps de t’appuyer sur ton balai pour plaisanter dans le dos des malheureux qui vont chez le médecin. Je t’interdis de te replanter sur le trottoir à l’avenir. Et si je t’y reprends, je te vide !

— Oh ! Seigneur. Ce qu’il faut entendre ! Alors, comment pourrai-je aller et venir ? Et manger ? Comment j’entrerai dans la boutique, hein ? À travers le mur ?

— Tu peux aller et venir, accorda Fergesson, mais tu n’as pas le droit de glander.

Tout en lui lançant un regard sombre, Stuart McConchie protesta :

— Ah ! tu parles.

Mais Fergesson ne faisait plus attention à son vendeur ; il préparait les cartons et dépliants publicitaires pour la journée.

2

Le phocomèle Hoppy Harrington arrivait en général à Modern TV vers 11 heures du matin. Il roulait jusque dans la boutique, immobilisait son chariot près du comptoir et, si Jim Fergesson était là, lui demandait la permission de descendre regarder travailler les deux dépanneurs. Cependant, quand le patron était absent, Hoppy abandonnait et partait assez rapidement, sachant bien que les vendeurs ne lui permettraient pas de descendre ; ils riaient de lui, ils le « chambraient ». Peu lui importait. Du moins, autant qu’en puisse juger Stuart McConchie, il s’en fichait.

Mais en fait, Stuart se rendait compte qu’il ne comprenait pas Hoppy, Hoppy et son visage aigu aux yeux brillants, sa façon de parler vive, nerveuse, qui tournait souvent au bégaiement. Il ne le comprenait pas du point de vue psychologique. Pourquoi Hoppy désirait-il réparer des appareils de télé ? Qu’est-ce que cela avait de si intéressant ? À la manière qu’avait le phoco de tourner autour de la boutique, on aurait dit que c’était le plus beau de tous les métiers. En réalité, la réparation, c’était dur, sale et ça ne payait pas lourd.