Rivebise et Lunedor aidèrent les compagnons à sortir de l’autre marmite...
— Tanis est blessé, dit Caramon, qui soutenait le demi-elfe encore groggy.
— Impossible de partir par là ! dit Sturm en enjambant la marmite. Nous ne pouvons pas non plus rester ici. Ils auront tôt fait de remettre le treuil en service et nous les aurons sur le dos. Il faut retourner sur nos pas.
— Non, pas partir ! cria Boupou en s’agrippant à Raistlin. Je connais un chemin pour aller chez le Grand Bulp ! dit-elle en montrant le nord. Bon chemin ! Secret chemin ! Sans patrons, dit-elle d’une voix douce en caressant la main du mage. Je ne laisserai pas les patrons t’attraper. Tu es mignon.
— Nous n’avons guère le choix, dit Tanis. Il faudra bien descendre.
Tout son corps tressaillit quand Lunedor le toucha avec son bâton. Puis il sentit la douleur disparaître et une énergie nouvelle le gagner.
— Après tout, les nains vivent ici depuis des années, ils doivent connaître l’endroit, ajouta-t-il.
Flint hocha la tête en grommelant ! Boupou se dirigeait vers le couloir nord.
— Arrêtez ! appela Tass. Vous n’entendez pas ?
Le bruit de pas griffus se rapprochait.
— Les draconiens ! s’exclama Sturm. Filons par l’ouest !
— Je le savais, grogna Flint. Cette naine des ravins devait nous jeter dans la gueule du loup !
— Attendez ! dit Lunedor en s’agrippant au bras de Tanis. Regardez-la !
Boupou avait sorti un objet indéfinissable du sac qu’elle portait par-dessus son épaule. Elle alla devant le mur et agita la chose en murmurant quelques syllabes confuses. La cloison s’ébranla ; en quelques secondes, elle s’ouvrit sur un passage d’un noir d’encre.
Les compagnons échangèrent des regards inquiets.
— Nous n’avons pas le choix, dit Tanis. Raistlin, active ton bâton.
Ils se trouvèrent dans une petite salle dont les murs sculptés étaient couverts de lichens moisis. Figés sur place dans un silence anxieux, ils écoutèrent les draconiens passer dans le couloir.
— Moi connais le chemin en bas, dit Boupou. Aucun souci !
— Comment as-tu ouvert cette porte, petite ? demanda Raistlin, à genoux à côté d’elle.
— Magie ! répondit-elle timidement.
Dans sa main sale, elle tenait un rat mort au rictus grimaçant. Raistlin ouvrit de grands yeux. Tass lui tapota le bras.
— Ce n’est pas de la magie, Raistlin, chuchota le kender. Il s’agit d’un simple mécanisme. Je l’ai vu, quand elle a commencé son cérémonial et proféré son galimatias. Elle a juste marché dessus. Elle a dû le trouver par hasard, en attrapant ce rat.
Boupou foudroya le kender du regard.
— Magie ! déclara-t-elle en caressant amoureusement le rat, qu’elle remit dans son sac. Venez, faut aller.
Boupou les conduisit à travers des pièces remplies de gravats et de moisissure, et s’arrêta dans une salle dont le plafond était effondré. Elle désigna l’angle nord-est de la pièce.
— Descendre !
Tanis et Raistlin inspectèrent les lieux. Une canalisation large de quatre pieds émergeait du sol. Raistlin approcha son bâton lumineux pour regarder à l’intérieur.
— Venir ! dit Boupou en tirant le mage par la manche. Les patrons ne suivent pas nous.
— C’est vrai qu’avec leurs ailes…, concéda Tanis.
— Ce passage est trop étroit pour tirer l’épée, dit Sturm, je n’aime pas cela…
Soudain, tout le monde se tut. Le grincement de la chaîne avait recommencé.
Les compagnons se regardèrent.
— J’y vais le premier ! dit Tass, souriant d’une oreille à l’autre.
Il engouffra la tête dans le tuyau et commença à ramper sur les mains et les genoux.
— Es-tu sûr que je vais tenir là-dedans ? demanda Caramon avec inquiétude.
— Aucun problème ! répondit la voix de Tass en écho. C’est si gluant que tu y glisseras comme un morceau de lard !
Mais Caramon ne se dérida pas, et continua de scruter l’intérieur du tuyau d’un air sombre. Raistlin rassembla les pans de sa tunique et activa son bâton avant d’entrer. Boupou le suivit.
Au contact du limon verdâtre, Lunedor fit une grimace de dégoût. Rivebise partit derrière elle.
— C’est de la folie, j’espère que tu t’en rends compte ! marmonna Sturm, écœuré.
Tanis ne répondit pas. Il flanqua une grande claque dans le dos de Caramon.
— À ton tour ! dit-il en entendant le bruit de la chaîne, qui tournait de plus en plus vite.
Caramon s’agenouilla en grognant et pénétra dans l’ouverture. Son épée resta coincée. Il ressortit, et fit une deuxième tentative. Son dos racla le haut du tuyau. Tanis mit le pied sur le postérieur du guerrier et poussa énergiquement.
— Mets-toi à plat ventre ! ordonna le demi-elfe.
Caramon s’effondra comme un sac de son, le bouclier devant la figure, et descendit le long du tuyau, son armure grinçant de façon effroyable.
Le demi-elfe s’allongea, introduisit les jambes dans l’ouverture, puis tourna la tête vers Sturm.
— Nous avons abandonné toute notre sagesse à l’Auberge du Dernier Refuge, quand nous avons suivi Tika sur le chemin de la cuisine.
— À qui le dis-tu ! soupira le chevalier.
Exalté par ce nouveau mode de locomotion, Tass fut surpris d’apercevoir des silhouettes au bout de son voyage. Il s’accrocha au tuyau pour freiner, et fit un tête-à-queue.
— Raistlin ! chuchota-t-il. Un comité d’accueil !
— Qu’est-ce que tu…
Étouffé par l’air vicié, le mage fut pris d’une quinte de toux. Il approcha son bâton pour voir ce qui se passait. Boupou jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et huma l’air.
— Des Gulps !
Elle agita les mains et cria :
— Arrière ! Arrière !
— Nous montons. Par la marmite ! Grands patrons énervés ! brailla un Gulp.
— Nous descendre. Voir Grand Bulp ! déclara Boupou d’un air condescendant.
À ces mots, les nains reculèrent en marmonnant des jurons.
Raistlin était incapable de faire un mouvement. Il haletait si fort que sa respiration résonnait dans le tuyau. Boupou le considéra avec inquiétude, et fouilla dans son sac. Elle en sortit un objet qu’elle présenta à la lumière, puis soupira en hochant la tête.
— Ce n’est pas ça que je veux, marmonna-t-elle.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Tass, qui le savait fort bien.
— Joli caillou, dit-elle d’un air distrait, fourrageant dans son sac.
— Une émeraude ! s’exclama Raistlin.
Boupou leva la tête.
— Tu aimes ?
— Beaucoup ! répondit le mage dans un souffle.
— Tu gardes ! dit Boupou en déposant la pierre dans la main de son idole.
Puis, avec un cri triomphal, elle exhiba ce qu’elle cherchait. Tass se pencha pour découvrir la nouvelle merveille. Il se détourna aussitôt, l’air dégoûté. C’était un lézard mort. Un cordon de cuir était attaché à sa tête. Boupou le tendit à Raistlin.
— Toi porter autour du cou, dit-elle. Pour soigner la toux !
Habitué à manipuler des objets beaucoup plus répugnants que celui-ci, le mage remercia d’un sourire, déclarant que sa toux allait déjà mieux. Elle le regarda, dubitative, mais il ne toussait plus. La quinte était terminée. Haussant les épaules, elle remit le lézard dans son sac.
Raistlin examina l’émeraude d’un œil expert, et toisa Tass d’un regard glacial. Le kender soupira bruyamment, tandis que le mage rangeait la pierre dans une poche secrète de sa tunique.
Tass interrompit sa progression dans le tuyau pour consulter Boupou ; le chemin se divisait en deux. Elle indiqua le tuyau qui allait vers le sud. Tass y entra avec précaution.
— C’est pentu ! s’exclama-t-il en prenant de la vitesse.
Il tenta de freiner, mais le dépôt gluant couvrant les parois l’en empêchait. Un juron retentissant de Caramon lui rappela que ses compagnons n’étaient pas mieux lotis. Soudain, Tass aperçut une lueur. Il ne devait pas être loin du bout… mais où allait-il atterrir ? Il eut l’impression de rester en suspension dans le vide. Mais il n’y avait rien à quoi se raccrocher. Propulsé hors du tuyau comme une bombe, Tass poussa un cri.