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Le mage saisit l’orbe et le tint devant la flamme de la lampe. La myriade de couleurs prit un éclat phosphorescent, tandis qu’une aura magique auréolait Raistlin.

Luttant contre sa peur, Tanis fit une ultime tentative pour atteindre le mage. Mais il fut incapable de bouger. La lumière devint si intense qu’elle lui donnait mal à la tête. Raistlin avait entonné des incantations.

Pour se protéger, Tanis mit une main devant ses yeux, mais la lumière traversa sa chair, s’infiltrant dans son cerveau. La douleur devint intolérable. Il vacilla en arrière et prit appui contre la porte. Caramon hurlait de douleur. Tanis entendit le bruit sourd d’une chute. Le guerrier s’était effondré sur le plancher.

La cabine du capitaine fut plongée dans l’obscurité et le silence. Tanis se décida à ouvrir les yeux. Il ne vit tout d’abord que l’image d’un gigantesque globe rouge. Puis ses yeux s’accoutumèrent à l’obscurité. La chandelle fondait goutte à goutte près du corps inanimé de Caramon. Ses yeux grands ouverts étaient vides d’expression.

Raistlin avait disparu.

Debout sur le pont du Perechon, Tika Waylan contemplait les flots rouge sang, s’efforçant de retenir ses larmes. Il faut être courageuse, se disait-elle. Tu as appris à te battre avec bravoure, selon Caramon. Maintenant, il faut que je sois plus courageuse encore. Nous nous retrouverons un jour. Il ne faut pas qu’il me voie pleurer.

Ces quatre derniers jours, une dure épreuve pour les compagnons, avaient mis leurs nerfs à vif. Inquiets de la disparition de Tanis, effrayés par le nombre de draconiens patrouillant dans Flotsam, ils étaient restés terrés dans leur auberge crasseuse. Pour Caramon et pour Tika, une telle promiscuité avait été une torture. Sans cesse, elle aurait voulu se jeter dans ses bras.

Caramon désirait la même chose, elle le savait. Il la regardait avec une telle tendresse.

Mais rien de tout cela ne pourrait être tant que Raistlin serait collé à Caramon comme son ombre. Ce que le guerrier avait dit à Tika au cours du voyage pour Flotsam lui revenait sans cesse à l’esprit : « Mon sort est lié à celui de mon frère. À la Tour des Sorciers, ils m’ont dit que sa force contribuerait à sauver le monde. Je suis sa force, sa force physique. Il a besoin de moi. Mon devoir est de l’aider, jusqu’à ce que quelque chose change. Je ne peux prendre d’autres engagements. Tika, tu mérites qu’on se consacre à toi complètement. Je te laisse donc libre de trouver quelqu’un qui le fasse. »

Mais je ne veux personne d’autre, songea Tika. Les larmes commencèrent à rouler sur ses joues. Elle tourna la tête pour que Lunedor et Rivebise ne la voient pas pleurer. Ils croiraient qu’elle avait peur de mourir. Mais la crainte de la mort, elle l’avait vaincue depuis longtemps. Ce qu’elle redoutait par-dessus tout était de périr seule.

Qu’est-ce qu’ils fabriquent ? se demanda-t-elle en s’essuyant les yeux. Le navire se rapprochait du centre du cyclone. Où est Caramon ? Tant pis pour ce qu’a dit Tanis, je vais me mettre à sa recherche, décida-t-elle.

Le demi-elfe émergea de l’écoutille, traînant Caramon avec lui.

Devant la pâleur du guerrier, Tika eut le souffle coupé. Elle ouvrit la bouche, mais il n’en sortit qu’un son rauque. Rivebise et Lunedor, qui regardaient le tourbillon, se retournèrent. Voyant Tanis ployer sous le poids de Caramon, Rivebise accourut pour l’aider. L’œil vitreux, le guerrier titubait comme un ivrogne.

— Moi, ça va, répondit Tanis à l’interrogation muette de Rivebise. Lunedor, Caramon a besoin de toi.

— Que s’est-il passé ? demanda Tika d’une voix blanche. Où est Raistlin ? Est-il…

Elle ne poursuivit pas.

— Raistlin est parti, annonça Tanis.

— Comment, parti ? Parti où ? fit Tika, jetant des coups d’œil hagards autour d’elle comme si elle allait découvrir Raistlin flottant dans les airs.

— Il nous a menti, répondit le demi-elfe.

Il étendit Caramon sur des cordages. Le guerrier ne parlait toujours pas. Il ne semblait reconnaître personne et gardait les yeux fixés sur la mer. Tanis se releva et répondit à Tika :

— Rappelle-toi son insistance à vouloir rejoindre Palanthas, pour apprendre comment se servir de l’orbe. De fait, il sait déjà comment il fonctionne. Maintenant, il est parti, peut-être pour Palanthas. Cela n’a plus d’importance.

Lunedor imposa les mains au guerrier en murmurant son nom avec une infinie douceur. Caramon tressaillit, puis se mit à trembler de tous ses membres. Tika s’agenouilla et prit sa main gauche entre les siennes. Le visage figé sur un cri muet, Caramon fixait le vide. Des pleurs roulèrent le long de ses joues. Lunedor en eut les larmes aux yeux. Comme une mère appelle un enfant qui s’est perdu, elle continua de prononcer son nom.

Rivebise, les traits durcis par la colère, rejoignit Tanis.

— Que s’est-il passé entre vous ? demanda le barbare.

— Raistlin a dit que… Je n’ai pas le droit d’en parler. En tout cas, pas maintenant, soupira-t-il.

Appuyé contre le bastingage, il laissa errer son regard sur les flots rouges, jurant à voix basse en se frappant la tête d’impuissance.

Touché par le désespoir de son ami, Rivebise passa un bras autour de ses épaules.

— On en est arrivés au point critique, dit le barbare. Comme dans le cauchemar, le mage est parti, laissant son frère à l’agonie.

— Et comme dans le cauchemar, je vous ai trahis, murmura Tanis d’une voix brisée. Qu’ai-je fait ! Tout est ma faute. J’ai attiré le malheur sur nous !

— Mon ami, dit Rivebise, ému par la souffrance de Tanis. Il ne nous revient pas de contester la volonté des dieux…

— Au diable les dieux ! rugit le demi-elfe. C’est moi la cause de tout ! J’avais le choix, et j’ai choisi ! Combien de fois ne me suis-je pas dit, pendant ces nuits où je la tenais contre moi, qu’il serait si facile de rester ainsi avec elle pour toujours ! Je ne peux pas juger Raistlin. Nous nous ressemblons beaucoup, lui et moi, car nous nous sommes tous deux laissés détruire par une passion dévastatrice !

— Tu ne t’es pas laissé détruire, Tanis, répondit Rivebise en forçant le demi-elfe à le regarder en face. Tu ne t’es pas laissé dévorer par ta passion, comme l’a fait le mage. Sinon, tu serais resté avec Kitiara. Tu l’as quittée, Tanis…

— Je l’ai quittée, oui. Je me suis échappé comme un voleur pour ne pas l’affronter ! J’aurais dû lui dire la vérité ! Elle m’aurait tué, mais vous ne seriez pas en danger. Vous auriez pu vous enfuir. Ma mort aurait été plus douce. Hélas, je n’en ai pas eu le courage. Je nous ai conduits dans une impasse. Non seulement j’ai failli, mais je vous ai entraînés dans ma chute.

Il leva les yeux. La même expression de résignation sur le visage, Berem était toujours accroché à la barre. Maquesta persistait à vouloir sauver son bateau, hurlant ses ordres pour dominer le grondement des flots. Terrorisé, l’équipage n’écoutait plus. Certains dormaient, d’autres vitupéraient. La plupart des matelots ne disaient rien, hypnotisés par les remous qui les attiraient inexorablement vers les profondeurs de la mer.

Tanis sentit la main ferme de Rivebise l’agripper. Il voulut se dégager, mais le barbare le retint.

— Tanis, mon frère, tu as choisi cette voie à Solace, à l’Auberge du Dernier Refuge, où tu es venu en aide à Lunedor. Parce que tu ne t’es pas détourné de nous quand nous étions en difficulté, nous avons su que les dieux étaient de retour. Nous avons apporté à ce monde la guérison. Nous lui avons rendu l’espoir. Te souviens-tu de ce que nous a dit la Maîtresse de la Forêt ? Il ne faut pas pleurer sur ceux qui ont accompli leur mission. Nous avons rempli la nôtre, mon ami. Qui sait combien de gens nous avons convaincus ? Qui peut dire si cet espoir ne conduira pas à la victoire ? Pour nous, il semble que le combat touche à sa fin. Qu’il en soit ainsi. Posons nos épées, pour que d’autres puissent les prendre et continuer à se battre.