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Tanis était-il vraiment avec cette humaine ? pensa-t-elle sans le dire.

— Nous étions ici, et nous ne sommes pas morts, dit Sturm. Reste à espérer qu’il en soit de même pour les autres. Cela peut sembler bizarre, mais j’ai la certitude qu’ils vont bien.

Laurana se détendit. L’étau de la terreur s’était desserré. Elle prit la main de Sturm dans la sienne et la pressa, puis quitta la tente.

— Eh bien, je vais assurer mon tour de garde, dit Flint en se levant. Je crois que pour le sommeil, c’est terminé.

— Je viens avec toi, répondit Sturm en bouclant son ceinturon. Je crains que nous ne sachions jamais pourquoi nous avons tous eu le même rêve.

En quittant la tente, son regard fut attiré par un objet qui brillait sur le sol. Intrigué, il se baissa. C’était l’étoile de diamants que lui avait confiée Alhana.

Pour la première fois après des mois d’horreur, l’aube se leva sur le Silvanesti. Lorac était le seul à la contempler. Les autres donnaient encore.

Lorac regarda le beau visage de sa fille caressé par les rayons du soleil. Quelle arrogance dans ses traits ! Elle incarnait tout ce qui constituait le peuple elfe. Dehors, Lorac voyait une brume glauque monter du sol pourri de son pays. Voilà mon œuvre ! songea le vieillard avec amertume.

Il vivait là depuis plus de quatre cents ans et avait vu s’épanouir entre les mains de son peuple chaque arbre et chaque fleur. Il était l’un des rares à avoir vécu le Cataclysme. Les elfes du Silvanesti avaient mieux surmonté cette épreuve que les autres races de Krynn, desquelles ils s’étaient ensuite totalement coupés. Ils savaient pourquoi les anciens dieux avaient déserté Krynn – ce dont ils rendaient les humains responsables – mais ils ne s’expliquaient pas la disparition de leurs prêtres.

Les elfes du Silvanesti avaient eu vent des malheurs de leurs cousins du Qualinesti. Mais peut-on s’attendre à autre chose que meurtres et dévastation quand on se mêle aux humains ? Un jour, les dragons venus du nord avaient envahi le ciel du Silvanesti.

Lorac ne fut pas pris de court. Il fit embarquer son peuple sur des navires que sa fille conduisit en lieu sûr. Resté seul, le roi descendit dans la salle secrète de la Tour des Étoiles où il gardait l’orbe draconien.

Il savait qu’il ne possédait pas de grands pouvoirs magiques, et il se souvenait des avertissements des mages. Cependant il décida de se servir de l’orbe pour tenter de sauver son pays.

Dès la première seconde où sa main reposa sur la sphère, il comprit qu’il avait commis une erreur fatale. Il n’avait ni la force ni les moyens de contrôler l’orbe. Mais il était trop tard. L’artefact s’était rendu maître de lui. Le plus horrible était d’avoir conscience de rêver, mais de ne pas pouvoir s’affranchir de l’emprise du songe.

Alors le cauchemar était devenu réalité.

Lorac pleurait amèrement.

Il sentit une main se poser sur son épaule.

— Père, je ne supporte pas de te voir ainsi. Éloigne-toi de la fenêtre et repose-toi. Un jour, le pays retrouvera sa splendeur. Tu l’aideras à renaître.

— Alhana, crois-tu que notre peuple reviendra au Silvanesti ? demanda-t-il en regardant la nature mutilée et malade.

— Bien sûr, père.

— Tu mens, maintenant ? Depuis quand les elfes se mentent-ils ?

— Nous nous sommes peut-être toujours menti, répondit Alhana, se remémorant ce que Lunedor lui avait appris. Les anciens dieux n’ont pas abandonné Krynn. Une prêtresse de Mishakal la Guérisseuse qui voyage avec nous m’a parlé de ce qu’elle a reçu de la déesse. Je ne voulais pas le croire, père, car j’étais jalouse. C’est une humaine. Mais après tout, pourquoi les dieux se seraient-ils adressés aux humains, leur rendant ainsi l’espoir ? Je conçois maintenant qu’ils ont agi sagement. Ils ont choisi les humains parce que les elfes ne veulent pas d’eux. Grâce à l’épreuve que nous subissons sur cette terre désolée, nous apprendrons tous, comme toi et moi nous l’avons compris, que nous ne pouvons pas vivre sur Krynn et rester à l’écart de Krynn. Les elfes vivront pour reconstruire leur pays et tous ceux qui furent ravagés par le Mal.

— Ramèneras-tu notre peuple chez lui ?

— Oui, père, je te le promets. Nous travaillerons sans relâche. Nous demanderons pardon aux dieux. Nous irons parmi les gens de Krynn et…

Les larmes voilèrent ses yeux ; sa voix s’étrangla : Lorac ne l’écoutait plus. Ses paupières s’étaient fermées.

— Je retourne dans le giron de la terre, murmura-t-il. Tu m’inhumeras, ma fille. Si ma vie a apporté le malheur sur notre pays, ma mort peut lui rendre un peu de paix.

La vie s’était retirée du vieux roi elfe. Son noble visage avait retrouvé sa sérénité.

Les compagnons se préparaient à quitter le Silvanesti le soir même. Sans le secours de cartes, ils se dirigeraient à l’aveuglette vers le nord, et ils voyageraient de nuit pour éviter les patrouilles draconiennes.

Ils espéraient trouver un port qui leur permette de s’embarquer pour Sancrist.

Le mage entendait prendre l’orbe draconien dans ses bagages, une charge que personne ne lui disputa. Tanis se demandait comment transporter l’énorme boule de cristal quand Alhana arriva, un petit sac dans les mains.

— Mon père a transporté cet orbe dans cette bourse. Vu les dimensions de l’objet, cela m’a paru bizarre. Mais il m’a confié que ce sac lui avait été remis dans la Tour des Sorciers. Voyons s’il peut vous servir.

Avidement, le mage tendit la main.

— Jistrah tagopar ast moirparann kini, murmura-t-il.

La bourse s’auréola d’une lueur rose.

— Elle est enchantée, déclara-t-il avec satisfaction. Caramon, tu es le seul à pouvoir soulever l’orbe. S’il te plaît, fais-le glisser à l’intérieur de ce sac.

— Quoi ? Mais il est minuscule ! L’orbe ne tiendra jamais dedans !

Le mage lui lança un regard impérieux. Embarrassé, le grand guerrier s’exécuta.

L’orbe disparut à l’intérieur du sac.

— Que s’est-il passé ? demanda Tanis, méfiant.

— L’orbe est dans le sac. Regarde toi-même, si tu ne me crois pas.

Tanis jeta un coup d’œil. L’artefact était à l’intérieur, confirmant sa présence par une petite lueur verte.

Il a tout simplement rétréci, pensa le demi-elfe avec le sentiment bizarre que c’était lui qui avait grandi.

Raistlin tira sur les cordons pour refermer la bourse et la glissa dans une poche de sa robe.

— Je crains qu’entre nous les choses ne soient plus jamais comme avant. Ne crois-tu pas, Raistlin ? demanda Tanis.

Les yeux dorés de Raistlin s’assombrirent, comme s’il regrettait la confiance et l’amitié qui les avaient liés toute leur jeunesse.

— C’est vrai, répondit-il, mais c’était le prix à payer.

— Quel prix ? À qui et pourquoi ?

— Ne me le demande pas, Demi-Elfe. (Le mage se remit à tousser et prit appui sur son frère.) Je ne peux pas te répondre, Tanis, car je ne le sais pas moi-même.

— J’aimerais que tu reviennes sur ta décision, et que tu nous permettes d’enterrer ton père avec toi selon les rites funéraires, dit Tanis à Alhana sur le seuil de la Tour. Nous pouvons rester ici un jour de plus et partir demain.

— Oui, laisse-nous participer à la cérémonie, ajouta Lunedor. Je connais les rites de votre peuple, nos coutumes funéraires se ressemblent, d’après ce que m’a raconté Tanis. J’étais prêtresse de ma tribu, et je présidais à la mise en linceul…

— Non, mes amis, coupa Alhana d’un ton sans réplique. Selon le vœu de mon père, je dois m’acquitter seule de cette tâche.

Ce n’était pas l’exacte vérité, mais Alhana savait qu’ils seraient choqués de la voir mettre son père en terre sans cercueil ni linceul, une pratique réservée aux hobgobelins et autres créatures maléfiques. Elle-même était épouvantée par cette perspective.