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Au moment de m’endormir, je décroche le bignou. Le zonzonnement de la sonnerie retentit un bon bout de temps avant que le gardien de nuit réponde d’une voix gluante de sommeil :

— Ouais ? fait-il sobrement.

— Passez-moi la police.

— La quoi ?

— La police (po, comme postérieur et lice comme postérieur).

— Il y a quelque chose ?

— Non, rien…

— Mais…

— Appelez la police, vieux, si vous ne voulez pas vous faire inscrire au chômage demain.

Il finit par obtempérer.

Après bien des pourparlers et des « attendez, je vais voir », je finis par avoir le commissaire aux yeux globuleux qui est venu enlever la viande froide de Ribens tout à l’heure.

Je me rappelle à son bon souvenir.

— Dites, j’enchaîne sans lui laisser le temps de m’assurer de son indéfectible attachement, je suppose que Ribens avait des trousseaux de clés sur lui.

— Effectivement, s’étonne le gars, il en avait un, plus une petite clé Yale.

— Voulez-vous vérifier si cette clé ouvre la porte de Mme Van Boren. 18, rue de l’Etuve ?

— Quel nom dites-vous ?

— Van Boren…

— Mais ce ne serait pas… ?

— Si. Dès que vous aurez du positif, soyez gentil : prévenez-moi !

— Entendu.

Je raccroche. Le mec d’en bas n’a rien perdu de notre conversation, car j’entends sa respiration en ligne.

— Eh ! veilleur, je dis. Vous pouvez raccrocher, j’ai fini.

Je pose ma veste et je m’allonge avec mon futal sur le plumard. Les gnons dont m’a gratifié le zig au galure rond et aux carreaux bicolores recommencent à me faire mal.

Il avait une chevalière, ce zouave, et elle m’a entamé la pommette.

J’éteins car la lumière électrique me meurtrit le nerf optique.

Dans le noir, un apaisement miraculeux tombe sur mon pauvre visage comme un tulle arachnéen (encore une citation que vous pourrez faire dans une bafouille. Ça vous donnera un poil de personnalité !).

J’essaie de réfléchir, mais les meilleurs bourrins marquent le pas lorsqu’ils ont dans les quilles leur taf de kilomètres.

Ma pensarde est en cale sèche.

Doucettement je perds les pédales… Dans une ronde extrêmement lente, passent les frimes de mes personnages : Ribens, Van Boren (décédés)… Huguette… Le salopard qui joue les gros bras… Robierre… Et la môme-sans-chichi qui s’est laissé faire le coup de la tour Eiffel renversée dans l’allée, à côté du cadavre.

Et puis la ronde s’interrompt et je m’abstrais.

CHAPITRE XIII

OH ! OH !

Je ne m’abstrais pas très longtemps. C’est la sonnerie du bignou qui me tire du noir intégral. La voix du commissaire, très éveillée, me dit des mots que je mets un temps infini à comprendre… Il est pénible de pioncer par bribes. Le sommeil c’est comme l’amour, faut s’en payer une bonne séance d’un coup, autrement on est ahuri.

— Vous aviez raison, dit le flicard, la clé ouvre l’appartement des Van Boren. Il paraît que Ribens était l’amant de la veuve Van Boren ; celle-ci ne se trouve pas à son domicile. Elle a disparu au début de la soirée…

— Merci.

— Puis-je vous demander comment ?

— Je vous raconterai ça demain par le menu.

Vraiment, c’est pas le moment de donner un cours en Sorbonne sur le comportement sexuel du lapin angora à travers les âges !

Je raccroche. J’ai la bouillotte lourde. Je vais me plonger la hure dans l’eau froide et ça me calme. Ça me réveille aussi. Et ça réveille par-dessus le marché mes voisins de carrée qui, aussi sec, reprennent les pourparlers au point où ils les avaient laissés.

On dirait qu’une machine à battre entre en action. Y a des voyageurs qui la ramènent et qui tabassent à la cloison pour demander le silence, mais ces deux-là, pour leur faire lâcher le morcif, faudrait une lance d’arrosage, et encore !

Renonçant à me payer un jeton, je mets de l’ordre dans ma toilette et je me rase. Le zonzon de mon Philips se perd dans le tumulte d’à côté. Quelque part un beffroi égrène six coups.

On est matinal aujourd’hui !

Lorsque je me suis assuré que mon système pileux est ratissé, je me convoque pour une conférence ultra-secrète. De cet entretien, il ressort que le premier turbin à faire consiste à mettre la paluche sur les cailloux. C’est ce matin qu’ils vont être portés chez Van Boren par le facteur. Il faut les griffer au passage. Parce que j’ai mon idée, et cette idée, bien que vous soyez aussi gentils avec moi qu’un piège à loups, je vais vous la transmettre ; ouvrez grandes vos manettes, tas de petzouilles ! Je me dis que le gnace aux yeux bicolores a dégauchi le reçu de la poste. En conséquence, ce dernier étant caché, il n’a pu faire autrement que de s’y intéresser.

Le cachet de la poste lui a indiqué qu’il avait été posté le jour même. Il pense également qu’il sera distribué aujourd’hui et il fera l’impossible pour s’en emparer.

J’ai naturellement la possibilité de mettre la police au parfum de ça, mais je préfère manœuvrer seul. Les matuches entreprendraient une opération de grande envergure qui mettrait la puce à l’oreille du fin renard.

Comprenez, il me reste une chance de retrouver mon maître-dérouilleur et je ne veux pas la rater… C’est maintenant un bisness entre lui et moi. Intermédiaires s’abstenir, nous traitons directement du producteur au consommateur, de la main à la main, ou, si vous préférez, du poing au poing !

Ma brave femme de mère m’a toujours appris que le monde appartenait à ceux qui se levaient tôt.

Je finis donc de me loquer, j’époussette mon grimpant et je me casse tandis que la souris d’à côté annonce aux populations qu’elle va mourir. Elle hurle à son mec qu’il la tue… Assassin, va !

Ce matin, il fait un temps assez cafardeux. On dirait que la ville a sommeil et qu’elle ferait bien la grasse matinuche. Ce doit être la projection de mon âme sur les choses d’alentour. Les hommes ont toujours tendance à donner aux milieux qu’ils traversent la couleur de leurs pensées. (Oh ! ce que je l’ai réussie, celle-là ! Du Mauriac de la bonne année. Mauriac ! l’académicien qui fait penser… à quelqu’un de triste.)

Je me dirige vers la rue de l’Etuve et je demande à un balayeur où se trouve le bureau de poste le plus proche. Il me l’indique complaisamment et m’assure qu’à ces heures il n’est pas encore ouvert, ce que je crois sans peine.

Je m’informe auprès d’un commerçant qui nettoie le seuil de son magasin de l’heure à laquelle passe le facteur des recommandés… Il me dit neuf heures. J’ai tout mon temps.

Je vais faire un petit déjeuner copieux dans un café qui vient d’ouvrir et où s’engouffrent les braves prolos du coin… Ça jacasse ferme. Ils ont l’air heureux, les Belges, c’est ce qui me plaît le mieux chez eux. On n’a pas l’impression, en les voyant vivre, que la guerre a passé sur leur sol. Ils ont une santé qui a résisté aux épreuves… (Retenez-moi ou je vais vous faire chialer ! Si vous avez la Brabançonne chez vous, le moment est venu de vous la faire jouer !)

Ce brouhaha me communique l’allégresse qui me faisait défaut. Bon, je vais mettre le gros paquet dans la balance… On verra bien qui l’emportera : du mystérieux cogneur ou de votre bon San-Antonio !

Je remarque que les consommateurs jettent de fréquents regards sur moi. Un miroir m’apprend qu’ils ne me confondent pas avec Marlon Brandade, seulement j’ai le portrait en Gevacolor… Mes coups de plumeau ont viré au bleu turquoise. Il y a du rouge, un peu de jaune et pas mal de vert. Ma gueule ressemble à Venise… Je ne voudrais pas que vous vous gondoliez. (Excusez-moi, mais celui-là, j’ai pas pu le retenir. Enfin, un peu de Vermot ne fait pas de mal de temps en temps. Comme disait un pote à moi — je crois qu’il s’appelait Victor Hugo — « Le calembour, c’est la fiente de l’esprit qui vole. » Et il n’avait pas l’esprit constipé, ce mecton-là ![1]

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1

Mes fidèles lecteurs remarqueront que, cette fois, j’ouvre beaucoup de parenthèses au cours de ce récit palpitant. Qu’ils m’en excusent si ça leur déplaît. La parenthèse, c’est un peu l’opium du littérateur. Qu’ils me permettent aussi de leur faire respectueusement remarquer que je les referme toujours.