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— Vous m’en demandez trop.

— Alors, insiste-t-il, sa femme est innocente ?

— Oui.

— Bon… Du moment que vous me le dites…

Il a beau être impressionné par ma « personnalité » (ce coup de savate dans les chevilles), il ne me croit pas. Ou plutôt ça lui fait mal aux seins de me croire. Ce gars-là doit être têtu comme douze mulets attachés à la queue leu leu. Il a de la personnalité, de la ténacité et le respect de ses supérieurs, bref, tout ce qu’il faut pour réussir dans la police.

Je m’assieds et lui offre une cigarette à bout de coton. Il l’accepte, tant mieux ; plus vite j’aurai liquidé ce foutu paquet de sèches à la gomme, plus vite j’aurai l’âme en paix.

— Vous avez des tuyaux sur Van Boren ? je demande.

— Non, pas encore, mais ça ne saurait tarder.

— Vous me rendriez service en recueillant le maximum de rencards à son sujet.

— Bien…

— J’irai vous dire bonjour à la P.J. Vous vous appelez ?

— Robierre.

— Merci.

Je lui serre la louche et je vais prendre congé d’Huguette.

— Je vous verrai tout à l’heure, lui dis-je à l’oreille. Vous ne serez pas inquiétée !

D’un regard chargé de tais-toi-tu-m’affoles, elle me remercie. En voilà une, le jour où je voudrai, je n’aurai qu’à poser ma candidature. J’ai droit à ses charmes en priorité.

Je me casse dans l’escadrin d’un pas pensif, car j’ai parfois le pied méditatif.

En bas, le hall est noir de peuple. Des brancardiers ont carré la dépouille de Van Boren sur une civière et l’ont recouverte d’une toile de bâche. Des journalistes de la Meuse s’activent et font gicler le magnésium. Ils interrogent la voisine qui a aperçu le corps. Cette dernière, une grosse tarte fondante comme une tonne de beurre laitier, explique comment elle a repéré le corps.

Je stoppe pour esgourder ses explications.

— Il me restait quatre marches, allez ! dit la motte de beurre. Et je voyais un homme qui appuyait sur le bouton d’appel en ronchonnant, allez ! Je baisse les yeux, et alors je vois quelque chose de sombre avec une tache claire… J’ai tout de suite compris, n’est-ce pas, que c’était un homme ! J’ai crié en montrant au monsieur qui attendait… Il a regardé… Il s’est penché, puis il a juré, allez ! Un vilain mot, n’est-ce pas, que je ne peux pas répéter, allez !

« Et il est parti… Moi j’ai crié, ça m’a retourné les sangs, n’est-ce pas ?

Tout le monde opine. Je m’approche de la tarte au beurre.

— Je m’excuse, madame…

Elle a un regard bouffi, des lèvres épaisses comme deux « châteaubriants » superposés et des joues qui lui pendent sur le corsage.

— Monsieur ?

— L’homme qui appelait…

— Oui…

— L’avez-vous revu ?

— Non…

Les journalistes sont très intéressés par ma question. Ils font cercle.

— Vous dites qu’il a poussé un juron en regardant le cadavre ?

— Oui, dit la voisine en se signant. C’était honteux…

— Avez-vous eu l’impression qu’il reconnaissait le mort ?

Elle hésite. Les idées s’enfoncent lentement dans sa graisse. D’ici que mes questions soient parvenues à destination et que les réponses surgissent de cette masse gélatineuse, on a le temps d’aller voir jouer le Comte de Monte-Cristo en deux épisodes.

Je guette les réactions de la dame.

— Oui, dit-elle enfin, c’est ça, je n’y avais pas pensé plus tôt, allez, mais il le connaissait sûrement.

— Et il est parti ?

— En courant… J’ai cru qu’il allait chercher du secours, n’est-ce pas ?

— Evidemment…

Un nouveau silence. On entend grincer les stylos des journalistes.

Une vilaine tache rouge s’élargit sous la civière.

— Comment était cet homme, chère madame ?

Un nouveau temps de pause. A la fin, elle accouche :

— Grand, trapu, il avait un imperméable, un chapeau rond, gris… Et puis, je crois, une moustache blonde…

— Ah !

Je salue discrètement et je me glisse dehors. Dans mon dos, un gars demande qui je suis ; un autre, qui veut paraître informé, lui affirme que je suis quelqu’un de la police. C’est rageant, nom de f…, d’avoir l’air d’un bourre ! J’ai beau avoir de l’esprit, y a pas, mon métier transparaît dans mes façons.

Flic ! ça me poursuivra toujours…

Enfin, vaut mieux avoir l’air d’un flic que d’un moulin à vent.

Sauf le respect que je dois à mes lecteurs, j’ai des crampes d’estomac qui commencent à se faire tapageuses. Le célèbre coureur de brousse Marcel Prêtre, le premier explorateur suisse (à droite en allant sur Neuchâtel), me disait naguère qu’en A.-O.F. on décèle la présence des éléphants à leurs borborygmes. Je dois avoir un éléphant dans mes ascendants, car les gens se détranchent sur mon passage. Je réalise alors qu’il est près de deux plombes de l’après-midi et que ma brioche appelle la tortore.

Je me rends alors dans un petit restaurant où l’on me sert des boulettes de viande arrosées de sauce tomate. Ici, c’est l’aliment de base, faut se résigner.

J’en consomme deux porcifs, puis je bois un jus très corsé et je me mets à penser.

Les choses ont pris une tournure qui m’empêche décemment de quitter la Belgique pour le moment. Maintenant que Van Boren est clamsé, les diamants qu’il a expédiés à sa souris risquent fort de ne pas parvenir à destination, c’est mon petit doigt qui me susurre ça. Je ne suis pas riche, mais je donnerais bien la fortune de l’Aga Khan pour savoir ce que maquillait le gnace Jef ces derniers temps. M’est avis qu’il ne devait pas s’occuper seulement des appareils de photo allemands. Ce zigoto avait une autre activité beaucoup plus rémunératrice. Je me trompe peut-être… Et j’ai tellement envie de percer ce mystère que, d’un seul coup, d’un seul, je me sens pris pour Liège d’une affection démesurée qui confine à la passion.

En ce moment, il y a dans un bureau de poste de la ville un paquet de fruits confits pas ordinaire au sort duquel je m’intéresse prodigieusement. Van Boren serait mort de ça que je n’en serais pas surpris.

Je revois le cadavre disloqué au fond de la cage d’ascenseur. J’ai encore dans les oreilles le cri terrifiant du gars… Je peux me vanter d’être le dernier homme à l’avoir vu vivant. Je ne l’ai pas vu longtemps, mais je suis certain du moins qu’il n’était pas mort à ce moment-là.

Qui l’a tué ? Sa femme ? L’amant ? Les deux ? Ou bien quelqu’un d’autre ?

En ce cas, ce quelqu’un d’autre est entré ailleurs. Il n’a pas quitté la maison !

Ah ! le beau problème ! A moi, Hercule Poirot, Maigret et consorts !

Je repousse ma serviette et, après avoir ciglé mon orgie, je me dirige vers le bureau de poste que je connais bien et où la préposée au bignou — une blonde qui frise la quarantaine — m’adresse des sourires languides.

Je demande le numéro du chef.

— Pas libre, me dit-elle au bout d’un instant.

— Je vais attendre…

On se met à bavarder de la pluie et surtout du beau temps qui vient de faire son apparition. Je lui dis qu’il fait un temps à aller casser une croûte un de ces jours sur les rives romantiques de la Meuse, et elle est sur le point d’accepter lorsque j’obtiens ma communication.

Le Vieux est à cran.

— Ah ! bon, c’est vous, dit-il, vous êtes à Paris ?

— Heu !.. Non, il y a du nouveau, je suis resté à Liège…

— Qu’appelez-vous du nouveau ? questionne-t-il d’un ton rogue.

— J’avais pour voisin de chambre à l’hôtel un type qui s’amusait à s’expédier des millions en diamants dans des fruits confits et qu’on vient d’assassiner sous mon nez, que dites-vous de ça, patron ?