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— C’est un cas très intéressant…

— N’est-ce pas ?

— … Oui, pour la police belge. Mais ça ne nous regarde pas. Je vais avoir besoin de vous, rentrez le plus tôt possible.

Il m’arrache le cœur, le vieux salingue. C’est comme lorsqu’on vous réveille au moment où, dans votre rêve, vous allez vous distraire avec une pin-up !

— Mais, patron…

Je l’entends qui abat son coupe-papier en bronze sur son encrier de cuivre.

— Qui vous paie, demande-t-il, l’Etat français ou l’Etat belge ?

— Je sais bien, boss, mais j’avais pensé que si rien n’urgeait vraiment là-bas… Vous savez comme je suis… Mettre le nez dans une affaire pareille et…

Il se racle la gargante, ce qui ne présage rien de fameux.

— Ecoutez, San-Antonio, déclare-t-il, je me moque éperdument de ce qui se passe à Liège. Vous êtes sous mes ordres et vous m’obéirez, sinon vous voudrez bien m’adresser votre démission.

Alors là, la moutarde me monte au nez. Et c’est de l’extra-forte, croyez-le. De l’Amora ! La bonne moutarde de Dijon !

Je vous fais juge : être un superman de la rousse, se faire trouer la peau pendant des années pour un salaire chétif ; ne connaître ni repos ni vacances pendant des mois, tout ça pour se faire liquider au premier tournant comme un laveur de vaisselle qui a pissé dans le bac à plonge, c’est dur à écraser !

— Entendu, chef, dis-je, je vous adresse immédiatement cette lettre de démission.

Un silence. Il en a le souffle coupé. Enfin il murmure d’un ton benoît.

— San-Antonio…

— Chef ?

— Ne faites pas l’enfant. Si on ne peut plus vous parler !

— Mais, chef.

— Vous prenez un sale caractère en vieillissant, mon petit !

Mon petit ! Tu parles !

— Vous êtes là ? demande-t-il.

— Et même un peu là ! je réponds.

Il toussote.

— Ecoutez, franchement, j’ai besoin de vous. Je vous attends à mon bureau après-demain, débrouillez-vous…

Il reprend le dessus, le Vieux.

— Bon, entendu, merci pour le sursis…

Je raccroche assez brusquement.

Je sors de la cabine.

— Je vous dois combien ?

Je cigle la grosse postière et je me barre sans lui parler plus avant de notre balade sur la Meuse.

Elle en a le sous-sol ravagé comme par un séisme, la pauvre âme. Ses yeux se voilent comme ceux de Manon.

De quoi se fendre le parapluie, moi je vous le dis !

CHAPITRE V

OH ! PUNAISE !

Si j’examine d’un peu près mon comportement, je suis bien obligé d’admettre que la logique et moi n’avons pas encore été présentés !

J’agis toujours suivant mes impulsions sans m’occuper si elles concordent avec la plus élémentaire raison. Que voulez-vous, je suis ainsi fait : je n’écoute que la voix de mon cœur valeureux ! Ça fait une moyenne avec tous les fumelards qui n’obéissent qu’à celle de leur porte-monnaie.

Vous avez vu ? J’ai eu une prise de bec sanglante avec le Vieux. J’y ai balanstiqué ma démission au portrait et tout ça, pourquoi ? Hein ! Dites voir ? Pour pulvériser un mystère liégeois.

Le plus marle, c’est que je ne sais par quel bout choper l’histoire.

Il fait un temps somptueux. Les brasseries regorgent de populo et les bergères ont de la langueur dans les roploplos. Un vrai temps à augmenter son tableau de chasse pour un dégringoleur de souris.

Mais je n’ai pas la tête à ça aujourd’hui, malgré la scène de vampage de la mère Van Boren. Remarquez que, pour le figue-figue, je suis toujours prêt, comme les boy-scouts. Mais il y a des circonstances où l’esprit n’y est pas.

J’aborde un poulet en uniforme occupé à embrouiller la circulation à un carrefour et je lui demande l’adresse de la P.J.

Il me la donne. D’après lui, ça n’est pas très loin. J’y vais donc à pinces. Du reste, je vous l’ai déjà dit, j’ai un pressant besoin d’exercice. Quatre kilos à perdre en un temps record si je veux retrouver la ligne !

Au pas, camarade ; au pas, au pas, au pas !

Robierre est dans son bureau. Un burlingue qui, comme tous les burlingues de police, sent le tabac et le papier moisi.

Il m’accueille d’un sourire bienveillant.

— Je ne vous dérange pas ? je questionne par politesse, manière de sauvegarder la réputation française.

— Au contraire…

Il me regarde, sa petite gueule hérissée comme celle d’un chat. Il brûle de me poser une question. Comme moi j’en ai bien davantage à exprimer, je lui tends la perche.

— Vous voulez me demander quelque chose ?

— Heu… c’est-à-dire… Vous m’avez dit qu’une enquête menée en Allemagne vous avait conduit jusque chez Van Boren… Je pense donc que l’assassinat de ce dernier a un rapport peut-être étroit avec votre enquête, non ?

— Sans doute…

— Alors, si nous mettions en commun les éléments dont nous disposons…

Je me rembrunis.

— Ecoutez, Robierre, je n’ai pas l’habitude de tirer à moi les couvertures, mais mon boulot est très particulier puisqu’il s’agit de contre-espionnage. Je ne puis donc rien vous révéler pour l’instant…

Ouf !

Sale moment à passer. Je me dis que si ce mec a pour trois francs belges de machin où je pense, il va ouvrir en grand la lourde de son bureau et me livrer à coups de savate dans le pétrus en me traitant de tous les noms.

Son front s’empourpre en effet. Mais il n’a pas pour trois francs de ce que je vous dis. Il demeure assis et allume une cigarette pour se donner une contenance.

Pour dissiper ce mauvais nuage, je poursuis à pleine pompe :

— Le meurtre en tant que meurtre ne m’intéresse pas, Robierre. Je peux vous aider puissamment et vous laisser le bénéfice des résultats intégralement. Non seulement je puis le faire, mais je dois le faire. Alors je vous fais une proposition honnête — aidez-moi sans me questionner et vous pourrez vous confectionner une hutte avec les lauriers recueillis, d’accord ?

Sa bouche mince se fend d’un sourire. Quand on parle aux hommes un pareil langage, on est toujours certain d’avoir un bon public.

— Je suis à votre disposition, dit-il.

— O.K… Vous avez du nouveau ?

— Non…

— Que sait-on de Van Boren ? D’où vient-il, que faisait-il exactement ?

Il passe un doigt noueux entre son faux col rigide et sa glotte proéminente.

— Van Boren, commence-t-il, appartenait à une vieille famille liégeoise. Son grand-père fut même bourgmestre de la ville… Il n’y a apparemment rien de spécial à signaler à son sujet. Il a fait de bonnes études et a occupé un poste important dans l’administration du Congo. Il en est revenu voici trois ans et s’est marié à une petite vendeuse de grand magasin. Il a pris une représentation générale de la maison Optika de Cologne… Le ménage n’a pas été lié très longtemps. Van Boren avait l’esprit d’un célibataire endurci, la jeune femme au contraire aime la vie… Vous voyez le genre ?

— Oui, je vois…

A vrai dire, j’avais déjà vu. Il ne m’apprenait rien de bien nouveau, le collègue.

J’hésite, puis je lâche le gros paquet.

— Dites-moi, fréquentait-il des milieux de diamantaires ?

Robierre semble surpris.

— Je ne crois pas… Pourquoi ?

Je lui pose amicalement la paluche sur l’épaule.

— Excusez-moi, pour l’instant ça fait partie de mes petits secrets.

« Dites voir, vous n’avez rien trouvé de spécial sur lui ?