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— La salope ! grinça-t-elle. Elle a bouclé.

De sa main au dos étoilé de sparadrap, elle indiquait le Ration K que la Lancia venait de doubler au pas. Tout en scrutant les quelques charrettes rangées dans la rue, le Bug gronda entre ses lèvres minces :

— Si encore on savait où la pincer ! Est-ce qu’elle a toujours sa Ford bleue ?

— Toujours, confirma la Jap dans son dos. J’l’ai encore vue ce soir le long du trottoir.

— Te frappe pas, on l’aura, ricana Louis vers son frère. Si c’est pas aujourd’hui, ça sera demain.

Le Bug lui lança un mauvais regard :

— D’ici demain, on va passer pour des comiques troupiers dans ce patelin ! dit-il en rogne. Tous les truands vont se foutre de notre gueule si on règle pas nos comptes cette nuit ! Après un coup pareil, comment veux-tu qu’on nous respecte ?

Sa main droite se referma brusquement. Ses dents grincèrent. Il ajouta, méprisant :

— Toi et tes combines à la noix ! T’avais qu’à me laisser faire ! Ça serait fini, maintenant ! Tandis qu’à présent… Quelle idée d’envoyer des gonzesses s’occuper de notre boulot !

— J’t’ai déjà dit… commença Louis.

— Je sais ! s’emporta le Bug. Tu veux imiter les Maltais de Londres ! La haute stratégie ! Pas se mouiller et laisser les femmes agir ! Résultat ? Léa est défigurée. Simone a les châsses en compote. Yoko a été mordue et Olga nous pique une crise de nerfs… Tu peux te vanter d’avoir gagné le coquetier !

Louis ôta sa grolle de l’accélérateur ; la Lancia stoppa sur sa lancée. Il gaffa son frère, cracha un brin de tabac, lâcha de sa voix douce, chantante :

— Me parle pas sur ce ton, veux-tu ?

Les deux hommes se prirent aux yeux. Le premier, le Bug baissa les siens. Son aîné se retourna sur sa polka.

— T’es sûre que Vicky ne couche pas dans sa boîte ?

— Presque sûre, grogna Yoko. Paraît qu’elle a un gourbi en ville ! Mais où ? Ça…

— Doit bien y avoir un moyen de le savoir ! murmura Louis pensivement. Ce James Cagney…

Il ramena son regard sur son frère.

— Qu’est-ce que t’en dis ?

— Y a qu’à le chercher, grommela le Bug. Celui-là aussi on a un mot à lui dire ! Et la meilleure façon de le trouver, c’est d’aller demander au Flahute où habite son pote.

— C’est ce qu’on va faire, décida Louis en rem-brayant. Allons voir s’il est encore au coin. Sinon on poussera jusque chez lui.

En silence, la Lancia arriva à l’angle du boulevard. Ses occupants biglèrent vers la gauche. Une ombre était accroupie au pied d’une devanture. À son cuir, ils retapissèrent le Flahute.

— Qu’est-ce qu’il maquille ? s’intrigua l’aîné des Napos.

Son frangin voulut descendre. Il l’arrêta d’un signe.

— Attends !

Le Flahute venait de se relever et d’enfouir quelque chose dans sa glaude.

— Maintenant, allons-y, reprit Louis, ouvrant sa portière.

Tous deux parvinrent près du grand diable qui se retourna vivement.

— Vous m’avez fait peur ! dit-il. J’vous avais pas entendus !

De ses yeux rapprochés, inquiétants, le Bug le fixa en silence. Minuscule à côté de l’autre, il était obligé de garder la tête levée.

Mains dans les poches de son manteau clair, son frère s’informa, amical :

— Comment se fait-il que t’as pas empêché James d’aller au Ration K ? Pourtant, je t’avais prévenu !

— Mais j’ai essayé, M’sieur Louis ! se rebiffa le grand type. Même que j’ai voulu…

Pour préciser sa pensée, il exhiba sa matraque, mal à l’aise sous l’œil du Bug.

— Seulement, y m’a contré, reprit-il. Quand j’me suis relevé, il était loin.

D’un geste vif, le Bug le soulagea de son engin. Il se mit à l’étudier pendant que son aîné reprochait dans un sourire :

— Possible. Tu me parais bien assez con pour t’être laissé avoir !… Mais t’aurais dû venir nous affranchir aussitôt ! Ça aurait évité des dégâts !

Dans sa face ronde son sourire s’amplifia.

— Car tu sais qu’il y a eu des dégâts ?… T’as dû apprendre ça ?…

— Ben… non ! mentit le grand. Après ma bagarre avec James j’ai été boire un café place de Brouckère. Et quand vous êtes arrivés, j’allais partir me zoner. Il est près de cinq heures !

Posément, Louis ralluma son Corona. Il téta dessus, le regard braqué sur le cuir du Flahute, vers la poche.

— Qu’est-ce que tu viens d’enfouiller ? dit-il dans un jet de fumée.

— Moi ? Rien ! sursauta le grand, qui se rattrapa aussitôt sous l’éclair mortel qui venait de fulgurer dans l’œil du Bug. C’est-à-dire…

D’un mouvement sec, le Bug détendit le poignet ; la gomme à effacer les risettes siffla dangereusement. Sa voix claqua :

— Donne !

Après une courte hésitation, le grand se vagua et lui refila le paquet de came. Louis y laissa tomber le regard, comprit, sifflota.

— De la chnouf ! Tu t’emmerdes pas !

Une lueur cupide éclaira ses yeux noirs.

— Qui te fournit ?

— Personne, balbutia le grand, pris au dépourvu. Personne… J’avais ça depuis longtemps.

Les deux frangins échangèrent un regard moqueur. Soudain, sans avertir, le Bug cogna. Du bout de la matraque. En plein dans le bide du grand.

— Ouille ! gémit celui-ci en se tenant le ventre.

— Qui te fournit ? gronda le Bug, matraque levée.

— C’est… c’est… James, avoua le grand, reprenant son souffle. Lui qui apporte la came… On est associés tous les deux.

— Sans blague ! ironisa Louis le Napo joyeusement. Tu fourgues de la drogue derrière notre dos ? Et avec James en plus ? Un concurrent !

Otant son cigare de sa bouche, il le pointa sèchement sur le Flahute, toujours courbé. Le Bug cogna de nouveau. Un moche coup. Au défaut de l’épaule. Le grand brailla.

— Ferme-la ! ordonna le Bug. Donne-nous plutôt l’adresse de ce James !

Traits déformés par la douleur, le Flahute refusa de la tête.

— J’la sais pas, dit-il. J’vous l'jure !

Brusquement, le Bug l’agrafa par son cuir. Rejetant son bras droit en arrière, prêt à recogner, il écuma.

— L’adresse ?

— Laisse ! le calma son frère. Il va nous la donner. Pas vrai, Henri ?

À regret, le Bug lâcha le rabatteur qui se redressa en se frottant l’épaule. Louis enchaîna, paraissant s’adresser à son cadet mais sans quitter le Flahute de ses prunelles noires :

— S’il nous la donne pas, on va monter chez lui. Et tu sais ce qu’on va faire, Bug ? Non ?

Ses dents étincelèrent dans son visage basané.

— On va sabrer sa gonzesse devant lui. Tu sais bien ?… Sa Mado que tu trouves si gironde ?… Ça sera le moment ou jamais de faire un carton avec !

De l’affolement passa sur la face du Flahute. Il leva ses mains comme pour supplier mais celles-ci se refermèrent tout à coup en deux poings lourds, menaçants. Il rauqua :

— Si jamais vous vous avisez de…

Il se tut subitement, fit un pas en arrière. Un objet noir aux reflets métalliques venait de sauter dans la pogne de Louis le Napo. Ce dernier poursuivit, comme si de rien n’était.

— Et tu sais pas, Bug ? Mieux encore. Si de se farcir sa gonzesse ne suffit pas, on s’attaquera à son môme. On lui…

— Non ! non ! implora le grand. Pas le gosse ! Surtout pas le gosse !

— Comme tu voudras, soupira Louis. Alors, donne-nous l’adresse.