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Flacon en cristal taillé, verres cerclés d’or, seau à glace gravé. La môme nous verse des rasades d’honnêtes gens. Profitant de ce qu’elle est inclinée devant moi, Manzoni passe la main sous sa jupe. La frangine reste impénétrable bien qu’ayant trois doigts dans la moniche. Elle s’évacue non sans m’adresser un sourire ravageur.

— Tchin ! dit Nello. Du comme ça vous n’en avez encore jamais bu !

Je déguste. Un nectar ! Je ne suis pas accro aux whiskies mais c’est du tout-suprême.

— Vous savez combien ça coûte, ce machin-là ? fait le Ritalo-Ricain. Mille dollars la bouteille !

Flegmatique, je tire un talbin de cent pions de ma vague et le dépose sur la table.

— Ma quote-part, annoncé-je.

Impassible, mon hôte empoche le bifton.

— Je vous offrirai ma tournée tout de suite après, assure-t-il.

Puis, redevenant sérieux :

— Racontez ce qui vous amène ?

— Vous êtes bien propriétaire du Gladiateur ?

— Entre autres boîtes, parfaitement. Pourquoi ?

Me fais un plaisir de lui dévider les événements que tu n’as pas encore oubliés malgré ton délabrement mental. Parle du Magicien d’Oz et de son ours blanc. Narre la truciderie des deux assistantes sociables. Retrace l’enlèvement de Pinuche après un viron dans les cintres. Juste, lui tais ce qui ne le concerne pas.

Il m’écoute, le regard comme deux cerises noires, les mâchoires tétanisées, écriraient certains confrères.

Dès que je la boucle, il empare son bigophone :

— Dites à Weston de venir immédiatement !

Blême, il est !

Ça va chier des coquilles d’huîtres, je t’annonce.

— Vous ignoriez ce que je viens de vous relater ? risqué-je-t-il.

— On m’avait simplement prévenu que l’Allemand ne présenterait pas son numéro à cause de problèmes techniques…

J’ai souvent lu, dans des books, à propos de gens en colère, que leurs yeux « jetaient des éclairs ». Je trouvais l’expression glandeuse.

J’avais tort !

17

On commente, le Rital ricanisé et moi.

Il a l’air sincèrement en pétard. M’étonnerait qu’il feigne. Pourquoi perdrait-il son temps à jouer la comédie ?

Bien installé dans son bastion inexpugnable, il n’en a rien à masturber des grenouillages de ses péones. Mais un régnant ne tolère pas de manigances dans son dos.

Et puis voilà que le biniou du ci-devant truand se manifeste. La voix d’une des fées gazouille :

— Monsieur ! Un chien s’est introduit dans l’immeuble, il est à votre porte, que faut-il faire ?

— Appeler la fourrière et lui dire de nous en débarrasser !

Mais le gars mézigue réagit prompto.

— Un instant, si vous le permettez ! lancé-je en bondissant.

Je fonce à la porte. Mon intuition ne m’a pas trompé puisque je me trouve en présence de Salami !

— Vous commencez à me plumer l’os ! m’emporté-je. Qu’est-ce qui vous prend de me coller au fion de cette manière ? Vous ne voyez pas que je suis en conversation sous seing privé ?

Il penaude. Je m’excuse auprès de mon hôte, lui explique que cet animal est l’un de mes plus féaux collaborateurs. Tout ça…

L’entrée inopinée du clébard dans sa forteresse volante fait quelque peu chuter sa rogne. Il est amadoué par le regard du basset, se risque à le caresser, mais le zigus mandé se pointe (d’asperges), portant une sorte de caisse d’osier d’où s’échappent des varechs.

— Qu’est-ce que c’est que ça, Weston ? interroge notre amphitryon.

Il s’agit d’un grand mec creux et blondassu, à la frime criblée de taches brunes.

— Je crois que vous allez être content, monsieur Nello !

Il fait coulisser la longue baguette assurant la fermeture de sa bourriche (c’est le mot le mieux approprié pour qualifier ce cageot rudimentaire), rabat le couvercle et hisse le tout pour que son « boss » prenne connaissance du contenu.

Tu sais quoi ?

Une langouste, mon petit vieux. Un monstre marin devrais-je plutôt dire, car j’ai jamais vu un crustacé décapode de cette importance ; il doit peser cinq ou six kilos. On demeure sans voix, Manzoni et moi.

Le gars Weston explique :

— Mon plus jeune frère est pêcheur à San Diego. Je lui avais dit que s’il dénichait un jour une langouste exceptionnelle, il me l’envoie car vous en êtes terriblement amateur, pas vrai ?

Le balafré acquiesce.

— J’ignorais qu’un bestiau pareil pouvait exister ! admire-t-il.

Soudain, il se produit un incident plus que regrettable : Mister Salami, encore lui, se met à aboyer comme ses collègues hounds lorsqu’ils lèvent la trace d’un sanglier. Il détale en direction du dolmen servant de bureau. Son vacarme assourdissant me file dans une rogne indicible.

— Salami ! mugis-je, façon féroces soldats. Tu vas te taire !

Je te rattrape derrière la chaire curule de l’Italoche et le frappe sur la croupe à grandes claques furieuses qui lui arrachent des gémissements de douleur.

Et, tout à coup, je stoppe mes voies de fesses.

Y a de quoi, Éloi !

Figure-toi une déflagration inouïse. Un début de projet pour esquisse de fin de monde. Les vitres, pourtant archi-Securit, se lézardent, tel le maquillage de Nancy Reagan. De la fumaga ! Une odeur nocive, tousseuse ! Des plaintes ! Salami hurle en trombe ! Une sonnerie d’alarme ! De l’eau choit du plaftard, la détonation, ou la chaleur dégagée, ont déclenché le système anti-incendie.

Du raisin dégouline de mon front. C’est bordélissimo. Pompéïesque ! Confusiesque !

Des coups retentissent contre la porte. Des voix s’élèvent.

Je regarde mon cador : il porte une entaille sur le dos, due à un tesson de verrière.

— Vous l’aviez senti venir ? je murmure, reprenant le voussoiement auquel il tient autant qu’à ses burnes.

Il opine, hébété.

— L’odorat ?

Regard lourd, un brin flétrisseur, signifiant : « Tu as trouvé ça tout seul, con d’homme ! » Je lui demande pardon d’avoir douté de lui une fois de plus.

Et nous nous dirigeons vers l’épicentre du séisme.

Du pas chouette, mon chéri ! De la dégueulasserie à l’état brut !

Manzoni a la moitié de la tronche arrachée. Ne lui reste que l’œil et l’oreille gauches, plus quelques chailles disséminées dans de la purée de gencives. Kesselring est battu ! D’autant que Nello est extrêmement décédé.

Son dirluche, lui, a morflé plein bide, avec extension dans les joyaux de la couronne. Il vit encore, mais sans enthousiasme. Ses gémissements vont en s’affaiblissant. Je capte son regard en cours de vitrification. Des bribes de crustacé parsèment la moquette. Le coup de la langouste piégée, je ne le connaissais encore pas. Un spécimen pareil, c’est dommage qu’il se soit désintégré. Y aurait fallu le naturaliser.

Les coups redoublant à la lourde, je vais ouvrir. Juste comme mon escogriffe-convoyeur décide d’enfoncer la porte, malgré son blindage.

Emporté par son élan, il traverse la largeur de la pièce et se fraise dans une vitrine contenant des statuettes d’ivoire. Il reste pétrifié, la hure à l’intérieur du présentoir. Une scène hautement burlesque souvent utilisée par Laurel et Hardy.

S’annoncent les deux mectonnes, terrorisées.

Tant de sang répandu, de chairs ouvertes, de bris de broc, ont raison de leur résistance. L’une s’évanouit, l’autre se tord sur le tapis pour amortir les effets et les méfaits d’une opportune crise de nerfs.

Salami, retrouvant son self-control, fourre sa truffe sous une jupe comme à l’orée d’un terrier de garenne.