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— Comment avez-vous pu reconstituer tout ça ? bée-t-elle.

— J’ai de la matière grise avec la manière de m’en servir, trésor. Donc, il était tôt. Ils sont arrivés dans une petite crique déserte. Taugranpier a estourbi la môme, puis il lui a approché la gorge de l’hélice du Johnson, comme un scieur approche la bûche de la lame d’une scie circulaire… Il a le cœur bien accroché, le frangin… Je suis toujours dans le droit chemin, poupée ?

— Oui, souffle la môme Julia.

— Bravo pour San-Antonio !

J’émets un rire machiavélique, ce qui vaut mieux que d’émettre des chèques sans provision, et je continue ma broderie maison :

— Il a planqué le cadavre sous la bâche du canot et il est revenu. Seulement il ne voulait pas se montrer à Cannes. Si des gens l’avaient reconnu là-bas, on aurait pu faire un rapprochement, par la suite, entre sa présence et celle de la fille Bitakis. Il est venu à Juan-les-Pins. Toi, ma belle, tu l’attendais dans ta cabine. Il fallait qu’il eût un endroit pénard où se défringuer. Ça a été ta cabine.

« Un moment après qu’il y soit rentré, tu es ressortie… Les gens t’ont suivie du regard. Le gars Taugranpier a attendu cinq minutes et s’est barré sans attirer l’attention. D’ailleurs, l’alignée uniforme des portes de cabine se prêtait à ce genre de tour de passe-passe. Il faut vraiment avoir le numéro en tête pour en reconnaître une particulièrement.

« Bon, tout s’était bien passé. Et voilà-t-il pas qu’un petit dégourdi, moi en l’occurrence, s’approche de toi et se met à te baratiner. Pour débuter, tu l’envoies sur les roses. Mais tu te ravises quand je te parle de ta pêche sous-marine. Tu te dis que pour faire un rapprochement entre toi et la combinaison, il a fallu que j’observe la porte de ta cabine. Ça te tracasse. Tu finis par m’accepter… Nous devenons une paire de bons camarades… Tu me fixes rembour pour le soir. Nous nous retrouvons à la Pinède, et là, t’as de l’émotion car tu apprends simultanément deux choses : la première, que je suis un flic réputé (tu permets, je tiens au mot réputé !) la seconde, que je connais Amédée Gueulasse. Fâcheux, tout ça. Pour le premier truc, je conçois ton désarroi, quant au second, j’attends que tu m’expliques l’incidence Gueulasse dans l’aventure… »

Elle va pour jacter, je l’arrête d’un geste d’imperator romain :

— Plus tard ; laisse-moi finir de reconstituer ce que je pige ; après nous remplirons les blancs… Gueulasse meurt sous nos yeux, empoisonné par Dubois. Je commence l’enquête et toi, ma toute frêle, tu regagnes ton hôtel où je dois te rejoindre. Maintenant, je pige ton départ précipité. Tu avais hâte de mettre Taugranpier au parfum. La mort de la fille s’était passée sans histoire, celle du papa devait suivre et je risquais de tout fiche par terre…

« Vous avez donc décidé de me jouer la comédie du vieux bonze venu pleurnicher son inquiétude dans le giron de sa maîtresse et annoncer sa mort dans le cas où…

« Comédie impec, je me complais à le répéter. J’ai mordu dans le vanne de mes trente-deux chailles… »

Elle réussit un pauvre sourire plein de détresse.

— Si, si, renchéris-je. Ce fut parfait. On sent que le gars Hubert avait bien observé son chnok de patron. Il avait une voix de vieillard et des expressions de vieux pigeon… J’ai marché. Et tu sais, pour faire marcher San-Antonio dans ce genre de comédie, faut se lever de bonne heure ou être Gabin et Morgan. Pendant qu’elle se déroulait, le vrai Bitakis ronflait chez lui. Taugranpier est rentré.

« Sur le matin, Dubois, le flûtiste qui était dans le coup, est allé chercher le cadavre dans le canot et l’a transporté sur la plage. Il a prétendu l’y avoir découvert…

« On prévient Bitakis. Celui-ci est un homme d’affaires impitoyable, avec une âme d’acier trempé. Il a du chagrin, mais il sait surmonter sa douleur… Il donne les instructions, et rentre chez lui… Toi, tu te trouves dans son burlingue.

« Lorsque le secrétaire monte réveiller Auguste, le chauffeur, tu comptes jusqu’à dix et tu tires brusquement une olive dans le caberlot du Grec… »

— C’est pas vrai ! hurle Julia.

Je passe outre, comme disent les caravaniers.

Et je poursuis, véhément, superbe dans mon numéro de C.Q.F.D. :

— Si, ma belle… L’armateur largue les amarres. Il pique du naze sur son burlingue. Toi, tu passes en souplesse dans la pièce attenante et, pendant que Taugranpier et Auguste le chauffeur s’affairent autour du cadavre, tu as tout le temps de quitter la cabane sur la pointe des pieds et de rentrer à ton hôtel…

Elle secoue le caberlot à la désespérée.

— Non, non !

Alors c’est là que le célèbre San-Antonio, le roi de la sourde, l’empereur de la déduction, le souverain poncif de l’enquête, sort ce que les chaussures André appellent « une botte secrète ».

— Ecoute-moi, trognon, je suis à même de te confondre. Parce que depuis hier je sais que tu as trempé dans l’histoire. Je l’ai su lorsque j’ai déniché la combinaison de pêche sous-marine. Il n’y a pas besoin de posséder un œil à lentille télescopique pour s’apercevoir qu’elle était bien trop grande pour toi. Et pourtant tu n’as pas tiqué alors que pour toi ça devait être plus évident encore que pour moi. J’ai pigé ce que le pilleur de cabine était venu maquiller sur la plage… Il venait récupérer la combinaison que vous y aviez laissée afin de la faire disparaître, car ce vêtement de caoutchouc pouvait m’amener à réfléchir… Le gars en question, c’était Taugranpier. Vous sentiez tous les deux qu’avec mon grand naze fouineur je pouvais devenir dangereux…

« Bref, ce matin, en passant à ton hôtel, j’en ai profité pour me rencarder auprès de la direction. J’ai appris que la nuit du suicide de Nikos, tu avais quitté l’hôtel sur mes talons et que tu n’y étais revenue que dans la matinée… Exact ? »

— Je n’ai pas tué Bitakis !

— Si ce n’est toi, c’est donc ton frère… Qui a fait le coup, alors ?

Elle est au bord de la crise de nerfs… Sa pâleur est effrayante.

— Bouge pas, fais-je, je vais t’offrir un remontant.

J’interpelle le Gros qui palabre à côté :

— Apporte une fine en vitesse, Goret !

Il tourne vers moi sa trogne fluorescente.

— Un peu de respect ! proteste-t-il. Je suis ton inférieur, peut-être, mais la politesse…

Je n’écoute pas la suite et je reviens à ma brebis. Un peu galeuse, l’ovidée, malgré son adorable frimousse. Elle est à manipuler avec des pincettes.

Le Gros s’amène avec le coup de tord-tripes et ça redonne des couleurs à Julia. Galantin, Béru s’informe :

— Mademoiselle a eu un malaise ?

Comme on ne lui répond pas, il explique que Berthe Bérurier, sa camarade de lit, a eu les mêmes symptômes jadis. On croyait que c’était la vésicule mais, affirme le Poussah, « s’agissait de coliques effrénées ».

Il fronce les sourcils.

— Pas effrénées, frénétiques… ou hermétiques… Enfin, vous voyez ce que je veux dire ?

Moi je lui demande s’il ne voit pas mon 42 fillette qui convoite la partie charnue de son individu. Il s’en va avec hauteur.

— Alors, Julia, poursuis-je, après ce délicat intermède, tu disais donc ?

— Je n’ai pas tué Nikos…

Elle baisse la tête.

— Je n’en ai pas eu le temps. Il s’est réellement suicidé…

— Tu débloques ! C’est une histoire que tu as bouquinée dans « La Veillée des Chaudières », le journal de Landru ?