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— Non, non, il faut me croire… J’avoue que tout ce que tu… tout ce que vous venez de dire, dans l’ensemble c’est vrai. Et c’est vrai aussi que je devais tirer une balle dans l’oreille du Grec, c’est vrai que j’étais dans son bureau… Mais je ne m’en suis pas senti le courage. Au dernier moment, c’est-à-dire quand j’ai mis la main sur la crosse du revolver qui était dans ma poche, j’ai compris que c’était au-dessus de mes forces et je me suis sauvée sans un mot d’explication. J’ignore ce qu’a pensé Nikos… Il n’avait même pas paru surpris de me voir arriver dans son bureau. Je lui avais dit que son secrétaire venait de me téléphoner la nouvelle. Il n’y avait pas prêté attention. il était amorphe, prostré… Donc, je me suis sauvée et à peine étais-je dans le parc que j’ai entendu la détonation. Il s’est suicidé, comprenez-vous ? SUICIDÉ pour de bon !

J’écoute Julia. Je regarde Julia… Je suis incertain. Je comprends qu’elle ne ment peut-être pas ; mais je me dis qu’une garce pareille peut très bien me berlurer… Tout est possible avec cette fille. Aussi ne me mouillé-je point.

— Il ne m’appartient pas de trancher cette question épineuse, ma poupée. Le juge d’instruction qui instruira ton affaire s’en dépatouillera. Tu lui feras du charme pour mieux le blouser.

Elle n’insiste pas et se met à verser des larmes de crocodile, lesquelles me laissent aussi froid qu’un nez de chien bien portant.

— Elucidons certains autres points, belle Andalouse aux seins brunis.

— Qu’est-ce que vous voulez savoir ?

— Des tas d’autres choses. Par exemple, ce que vient faire le pianiste Gueulasse dans cette galère ?

Elle secoue la tête.

— Ç’a été le détail qui a fait tout craquer…

— Mais encore ?

— Eh bien, Hubert avait besoin d’un complice…

— Dubois ?

— Oui, vous l’avez dit ; c’était nécessaire pour la découverte du corps qui devait avoir lieu à une heure déterminée.

— Alors ?

— Le matin, après le… après la mort d’Edith Bitakis, Hubert s’est aperçu que l’accident avait détérioré l’hélice du bateau… Il paraît que c’est fragile, une hélice…

« Il a eu beaucoup de peine à revenir des îles car elle était faussée… Il s’agissait d’un bateau de louage. S’il le rendait dans cet état, par la suite on ferait un rapprochement entre l’accident et cette avarie, n’est-ce pas ?

— Et comment !

— Il fallait donc réparer… Mais Hubert ne connaissait rien en mécanique. Il a prévenu Dubois qui, lui non plus…

Je fais claquer mes doigts.

— Et Dubois a demandé à Gueulasse parce qu’il savait que Gueulasse avait des dons en la matière ?

— Voilà !

— Ce Gueulasse a acheté une nouvelle hélice et l’a mise à la place de l’autre. Mais au cours du travail, il a découvert des cheveux et des lambeaux de chair enroulés à l’arbre de l’hélice… Il a demandé des explications à Dubois. Dubois comprenant qu’il ne pouvait nier l’évidence lui a raconté qu’un de ses amis avait eu un accident et qu’il ne voulait pas que cela se sache… Alors Gueulasse a demandé une forte somme pour se taire. Et il a emporté l’hélice compromettante comme pièce à conviction… Hubert et Dubois ont alors décidé de le supprimer…

— Vu. Et le mot qu’il m’a écrit au vu et au su de ses collègues a précipité son trépas. Je suppose qu’il était temps. En m’apercevant, Amédée qui n’était pas une vraie crapule a eu envie de se confier à la police…

— Oui, c’est cela…

— Et dans la soirée, Dubois est allé à l’hôtel de Gueulasse sous un prétexte fallacieux pour récupérer l’hélice ?

— Oui…

Tout s’enchaîne divinement.

— Parlons maintenant du pauvre Alonzo…

Elle soupire.

— Vous avez voulu lui faire endosser le meurtre de Gueulasse, n’est-ce pas ? Vous aviez peur que j’arrive à découvrir la vérité ? Alors sa mort a été décidée ?

— Oui, c’est affreux.

— Un drôle de gars, ton Hubert. Il a une conscience en fer-blanc ou quoi ?

Elle baisse la tête.

— Vous avez entendu parler de l’affaire Drivet ?

— Parbleu, c’était en 52. Le clerc de notaire surpris en flagrant délit d’adultère avec la femme de son patron et qui avait tué celui-ci ?

— C’est bien ça !

Ma parole, je pourrais faire une fortune dans un jeu radiophonique en choisissant la branche « Annales judiciaires ».

— Et alors ?

— Alors, Drivet, c’est Hubert…

Je bondis.

— Nom de Dieu !

— Si ! Il avait eu une remise de peine pour bonne conduite. Il s’est procuré une fausse identité et a trouvé cette place chez Bitakis…

Je reste songeur. Décidément, j’ai mis le nez dans une sacrée affaire ! On n’a pas fini d’en parler dans les chaumières et à la une des journaux. Vous parlez de vacances reposantes !

Sur ces entrefaites, le Gros montre son physique avenant surmonté d’un chapeau limoneux.

— San-Antonio ! On va faire une pétanque avec Pistouflet… Si t’as besoin de nous, tu nous trouveras sur la petite place à côté.

Je n’ai même pas la force de sourire…

Un silence sirupeux s’établit à son compte dans la petite pièce qui pue l’administration et le pastis.

— Abordons maintenant le dernier chapitre, ma douce enfant…

Elle hausse son sourcil gauche en signe d’interrogation.

— Le mobile, dis-je, car m’est avis que celui-ci doit être carabiné. Voyons : tu as la chance d’être la maîtresse enviée d’un des hommes les plus riches d’Europe et tu participes à son assassinat ! En somme, tu butes la poule aux œufs d’or, non ?

Elle détourne la tête. Jolie gosse, décidément. Que n’est-elle restée dans son emploi de petite fille à embellir la vie ! Les jurés seront sûrement troublés et pour peu qu’elle leur fasse une petite séance de ramasse-miettes, c’est la truffe meurtrière d’Hubert (alias Drivet) qui trinquera.

Cézigue est aussi certain d’y aller du cigarillo que moi de me cogner une faramineuse bouillabaisse ce soir pour célébrer mon triomphe.

— Bitakis se détachait de moi, fait-elle.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Dès qu’il avait un moment, c’était pour venir te cajoler…

— Il venait, mais il ne cajolait rien du tout. En vieillissant, il changeait de caractère. Il me disait que le moment était venu pour lui de se consacrer à sa fille… Bref, il faisait un ramollissement du cerveau.

— Je vois… Mais en quoi sa mort offrait-elle pour toi un intérêt quelconque ? Et pour Hubert ? Là, je nage.

— Je ne peux rien dire, fait Julia qui me semble avoir récupéré un chouïa.

— Ah ! tu ne peux rien dire, Belle de Nuit !

Et zoum ! C’est parti ! Ça arrive ! Elle enregistre une mornifle pour adulte qui lui fait voir la lune sans télescope. Alors, qu’est-ce que vous voulez… Devant des arguments aussi convaincants, mademoiselle se met à table. Du reste, il est l’heure ! Et pendant qu’elle s’affale, je pense que, pour la première fois de ma vie, les gars, j’ai été commotionné par un homme. Car c’est Hubert qui, avec sa combinaison de caoutchouc et ses roploplos en jus d’hévéas, m’a percuté la moelle, l’autre matin, sur la plage.

Faudrait peut-être que je me fasse psychanalyser, non ? Vous ne voyez pas, mesdames, que votre San-Antonio change de sexe ?

CHAPITRE XIV

QUI VA NOUS PERMETTRE D’EN RESTER LÀ ?

Sur la petite place jouxtant le commissariat, la pétanque fait rage. Bérurier vocifère comme un congrès politique en affirmant bien haut que Pistouflet est un arnaqueur.