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L’inculpé proteste de sa bonne foi et, armé d’une baguette de noisetier, prouve à son collègue parisien que sa boule est bien la plus près du « petit ».

Je décide de ne pas intervenir dans le conflit et je saute au volant de ma charrette fantôme.

Le soleil continue de dispenser ses chauds rayons à la Côte d’Azur. La mer moutonne et les crêtes d’écume, etc. Un scintillement. Des miroitements… Atmosphère capiteuse… Il me reste encore un stock de clichés à écouler, prière de faire offre à la Maison Viens-Poupoule, bureau des échanges culturels.

Je conduis en souplesse comme un type qui doit aller quelque part, mais qui n’est pas pressé d’y parvenir.

Des gosses roulées comme dans un technicolor d’Hollywood me font des signes joyeux. Elles portent des shorts pas plus larges que des pochettes de premier communiant, et des soutiens-loloches format timbres de quittance. Leurs corps bronzés lancent des éclats savoureux qui se reflètent sur les chromes de ma chignole… La vie est belle et j’ai du génie, ce qui est bien réconfortant.

Je retourne chez Bitakis, pour un petit complément d’information. Puisqu’on liquide la lessive, faut pas pleurer sa peine… Après cette corvée, je peux vous annoncer que je m’offrirai quelques bonnes journées de repos. Seulement je changerai de quartier. J’irai à Saint Trop’ et je vous fiche mon bifton que même si la moitié de la population est assassinée sous mes yeux, je ne lèverai pas le petit doigt pour arrêter les coupables. Y en a classe. Moi j’attire l’affaire criminelle comme la merde attire les mouches. C’est quand même formide, un destin pareil, non ?

La femme de chambre m’annonce que Madame prend une collation et qu’on ne peut pas la déranger. Je lui rétorque que même si elle prenait un bain de pieds, je la dérangerais. Vaincue par l’argument, la souris noire et blanche me téléguide jusqu’à la salle à manger.

Ça vaut le spectacle…

La pièce est un tout petit peu plus petite que le palais de Chaillot. Au mitan trône une table de marbre blanc de douze mètres de long. A cette table, la veuve Bitakis prend effectivement la collation dont à laquelle au sujet de quoi la soubrette m’a causé.

Mince de collation, les gars !

Je veux la même lorsque je fêterai mon jubilé !

Un plateau de foie gras… Un pot de caviar, un poulet froid et un ananas. Avec ça elle peut se soutenir le moral, Mme Trois-Mentons. Si ça ne suffit pas, on lui fera cuire des nouilles.

Ce qu’il y a de bath, c’est que la présence des deux cadavres sous son troit ne lui coupe pas l’appétit.

En me voyant entrer, elle a l’air aussi joyce que si on l’opérait de la rate sans l’endormir. Ses sourcils ne font qu’un et ses bajoues se figent comme du saindoux dans un frigidaire.

— Je suis confus de troubler votre repas, madame, assuré-je en prenant une chaise sans qu’elle songe à me le proposer.

— Que signifie votre visite ? éructe-t-elle en s’essuyant la bouche.

— Il faut que je vous tienne au courant de l’évolution de la situation. Nous venons d’arrêter le secrétaire de feu votre mari.

— Qu’est-ce à dire ?

— Il est à dire que ce vilain coco est un dangereux repris de justice. Il est à dire qu’il a assassiné votre belle-fille plus deux autres personnes et que je vais l’envoyer à Deibler avec une totale tranquillité d’âme.

Du coup, elle n’a plus faim, la vioque. Le foie gras, ça sera pour une autre fois et les œufs d’esturgeon, on peut en faire une omelette !

— Arrêté, Hubert !

— Pour les raisons ci-dessus énoncées, oui, madame… De même, nous avons appréhendé également la maîtresse de votre mari, la fille Delange…

Elle pose violemment sa pogne chargée de gold sur la table de marbre, ce qui fait un bruit pareil à celui d’un sac de noix crevé.

— Tenir un tel langage devant moi, monsieur !

Alors vous pouvez amener vos pliants et venir voir San-Antonio au travail, mes chéries.

— Ecoutez, Mémère, je lui susurre à bout portant dans les étagères à lunettes, p’t’être que vous impressionnez des gens avec vos perlouzes et vos accords du subjonctif, laissez-moi en tout cas vous dire que ça me laisse de marbre comme cette table qui ressemble à un caveau pour famille nombreuse.

« Vous allez quitter vos grands airs sinon je vais montrer les dents, d’accord ? »

Elle n’a qu’un geste : l’index braqué vers la lourde.

Qu’un cri : « Sortez ! »

Moi, je rigole.

— D’accord, je vais sortir, mais pas seul. Vous m’accompagnerez, Mémère, et je vous aurai offert auparavant des bracelets supplémentaires. Ceux-ci ne viendront pas de chez Cartier, mais ils feront beaucoup plus d’effet…

Elle manque d’air et ouvre si grandement sa clappeuse qu’on distingue le fond de son slip.

— Vous êtes mêlée à ces meurtres, madame Bitakis.

« Mieux : vous en êtes l’instigatrice. Avec les meilleurs avocats de France et des certificats psychiatres, vous vous en tirerez peut-être avec dix piges, mais il ne faut pas espérer mieux. D’autant plus que le gars Drivet va drôlement vous en coller sur les épaules… »

Les bajoues de la veuve deviennent fiasques comme bouse de vache non constipée. Elle me bigle avec des vasistas immenses comme l’entrée du Grand Palais un jour d’inauguration du Salon de l’Auto. Cette fois, elle ne songe plus à me jouer le troisième acte de « Savez-vous-à-qui-vous-causez ? » Elle se liquéfie comme un sorbet exposé en plein Sahara.

— Ecoutez ça, mémère… Vous êtes la seconde femme de Bitakis. Et ça ne carburait pas fort, le ménage. Mais vous teniez bon, because le paquet d’osier que représentait cette union.

« Un truc vous tracassait : votre bonhomme, dans son testament, laissait tout son artiche à sa tarderie de fifille. Vous n’aviez que des clopinettes cintrées en cas de décès, sauf en cas où la môme Edith viendrait à décéder avant vous… Cette clause a coûté la vie à cinq personnes, quand on y réfléchit.

« Vous avez mis votre main de fer dans un gant de velours pour caresser le projet d’hériter entièrement. Pour cela, une condition essentielle : la mort d’Edith. Plus une sage précaution : liquider le dabe aussi pour le cas où le chagrin aidant, il prendrait la fantaisie de tout léguer à l’œuvre des « Petits Constipés à la Montagne » ou des « Gens de mer et père inconnu ». Oui, mais comment mettre ces funestes projets à… exécution, le terme est juste. C’est alors que le hasard vous a servie. Un jour, une vieille publication vous est tombée sous le face-à-main. Là-dessus il y avait un papier (avec photos) sur l’affaire Drivet et vous avez découvert que Drivet et Hubert Taugranpier étaient une seule et même personne. Quel merveilleux parti vous pouviez tirer de ça ! Un meurtrier sous votre toit, dans l’intimité d’un mari que vous vouliez faire disparaître ! C’était plus qu’inespéré…

« Vous avez mis le marché en main à Hubert. Il se chargeait de liquider le père et la fille avec doigté, tact et célérité ; moyennant quoi vous lui lâchiez le gros paquet. Cent millions, m’a dit la fille Delange… Ça valait ça !

« Drivet qui, très certainement n’attendait qu’une occasion d’arnaquer votre Vieux, a accepté. Il n’avait pas le choix : d’un côté vous le teniez, de l’autre il pouvait ramasser de quoi se retirer à tout jamais des affaires… Il a organisé ces deux opérations scientifiquement, comme une exploration antarctique. Il fallait des alibis pour lui et sa complice… Des morts logiques, pour Edith et son père… Vraiment du grand art. L’œuvre de sa vie !