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Le tout était le spectre des possibilités du plus lointain passé au plus lointain avenir, du plus probable au plus improbable. Il voyait sa propre mort en d’innombrables versions. Il voyait de nouveaux mondes, de nouvelles civilisations.

Des êtres.

Des êtres.

Des multiples d’êtres qu’il ne pouvait dénombrer mais dont il percevait l’existence.

Des gens de la Guilde.

La Guilde… Pour nous, ce pourrait être l’issue. Faire accepter mon étrangeté comme une chose familière mais précieuse. L’épice, à présent nécessaire, nous serait assurée.

Mais il était effrayé à l’idée de devoir vivre le reste de son existence avec ce même esprit tâtonnant entre les avenirs possibles qui guidait les astronefs. Pourtant, c’était une voie ouverte. Et, en affrontant cet avenir possible qui recelait les gens de la Guilde, il reconnaissait sa propre étrangeté.

J’ai une autre vision. Je vois un autre paysage : tous les chemins offerts.

C’était là une pensée qui rassurait et inquiétait. Tant de ces chemins disparaissaient, se perdaient hors de vue.

Aussi vite qu’elle était venue, la sensation disparut et il comprit que cet instant n’avait duré que le temps d’un battement de cœur.

Pourtant, sa conscience avait été retournée, éclairée de terrifiante façon. Il regarda autour de lui.

La nuit recouvrait toujours l’abri-distille et les rochers protecteurs. Et sa mère pleurait toujours.

En lui, il ne ressentait toujours aucun chagrin. Séparé de son esprit, quelque part, il y avait toujours cet endroit creux qui poursuivait sa fonction, qui assimilait les informations, évaluait, déduisait, proposait des réponses à la façon d’un esprit Mentat.

Mais peu d’esprits avaient jamais accumulé autant d’informations. Et cela ne rendait pas l’endroit creux plus supportable. Paul avait l’impression que quelque chose devait se briser. C’était comme un mouvement d’horlogerie réglé pour l’explosion d’une bombe. Et le tic-tac continuait sans cesse, contre son gré. Et les plus infimes variations, autour de lui, étaient enregistrées. La plus subtile modification du taux d’humidité, une chute de température d’une fraction de degré, l’avance d’un insecte sur le toit de labri, la lente montée de l’aube dans le fragment de ciel poudré d’étoiles.

Ce vide était insupportable. Et de savoir comment ce mouvement d’horlogerie avait été mis en marche ne faisait aucune différence. Il pouvait contempler tout son passé et il voyait la mise en place du mécanisme : son éducation, l’entraînement, l’affinement de ses talents, les pressions des disciplines sophistiquées, la découverte de la Bible Catholique Orange dans un moment critique… Et puis, l’épice.

Mais aussi, il pouvait regarder devant lui, dans toutes les directions. Et c’était là le plus terrifiant.

Je suis un monstre ! pensa-t-il. Une anomalie !

Puis : Non ! Non ! Non ! NON !

Ses poings frappaient le sol de la tente. Et, implacable, cette fraction de son être qui poursuivait ses fonctions, enregistra sa réaction comme un intéressant phénomène émotionnel et l’intégra aux autres facteurs.

« Paul ! »

Sa mère était près de lui, elle lui avait pris les mains. Son visage était une tache grise dans l’ombre. « Paul, qu’y a-t-il ? »

« Vous ! »

« Je suis là, Paul. Tout va bien. »

« Que m’avez-vous fait, » demanda-t-il.

En un éclair de compréhension, elle devina les racines lointaines de la question : « Je t’ai mis au monde », dit-elle.

Son insctint comme ses connaissances les plus subtiles lui disaient que c’était la réponse qi le calmerait.

Il sentait les mains de sa mère, essayait de distinguer ses traits. Certains signes génétiques dans la forme de son visage furent ajoutés aux autres informations, assimilés. La réponse vint.

« Laissez-moi », dit-il.

Un ton de fer. Elle obéit.

« Paul, veux-tu me dire ce qui se passe ? »

« Saviez-vous ce que vous faisiez en m’éduquant ? »

Il n’y a plus trace de l’enfant dans sa voix, pensa-t-elle.

« J’espérais ce qu’espèrent tous les parents. Que tu serais… supérieur, différent. »

« Différent ? »

Cette amertume dans sa voix. « Paul, je… »

« Vous ne désiriez pas un fils ! Vous désiriez un Kwisatz Haderach ! Vous couliez un mâle Bene Gesserit ! »

« Mais, Paul… »

« Avez-vous jamais pris le conseil de mon père ? »

La voix de Jessica était douce, dans son chagrin. « Quoi que tu sois, Paul, ton hérédité est partagée entre ton père et moi. »

« Mais pas mon éducation. Pas les choses qui ont… éveillé… ce qui dormait. »

« Ce qui dormait ? »

« C’est là, dit-il, et il posa la main sur son front, puis sur sa poitrine. C’est là, dans moi. Et jamais ça ne s’arrête, jamais, jamais… »

« Paul ! »

Elle le sentait au bord de l’hystérie.

« Ecoutez-moi, reprit-il. Vous vouliez que je parle de mes rêves à la Révérende Mère ? Alors écoutez à sa place, maintenant. Je viens d’avoir un rêve éveillé. Savez-vous pourquoi ? »

« Il faut te calmer. S’il y a… »

« L’épice. Il y en a partout. Dans l’air, dans le sol, la nourriture. L’épice gériatrique. Le Mélange. C’est comme la drogue des Diseuses de Vérité. Un poison ! »

Elle se raidit.

La voix de Paul se fit plus basse comme il répétait : « Un poison… subtil, insidieux… sans antidote. Il ne tue pas si l’on ne cesse pas de le prendre. On ne peut quitter Arrakis sans emporter une partie d’Arrakis avec soi. »

La présence terrifiante de sa voix ne souffrait aucune réplique.

« Vous et l’épice, reprit-il. L’épice transforme quiconque en absorbe autant mais, grâce à vous, cette transformation a touché ma conscience. Je peux la voir. Elle n’est pas reléguée dans mon subconscient, là où je pourrais l’ignorer. »

« Paul, tu… »

« Je la vois ! »

Elle percevait la folie dans la voix de son fils et ne savait plus quoi faire.

Mais il se remit à parler et la dureté de fer était de nouveau dans sa voix. « Nous sommes pris au piège. »

Nous sommes pris au piège, répéta-t-elle. Elle acceptait cette varité. Nul effort Bene Gesserit, nulle astuce ou artifice ne les libérerait jamais complètement d’Arrakis. L’épice créait une accoutumance, un besoin. Son corps l’avait su bien longtemps avant que son esprit l’admette.

Nous vivrons donc le temps de nos vies sur cette planète infernale, songea-t-elle. Si nous parvenons à échapper aux Harkonnens, ce monde est prêt pour nous. Et mon destin ne fait plus de doute : je ne suis là que pour préserver une lignée qui entre dans le Plan Bene Gesserit.

« Je dois vous révéler ce qu’était mon rêve éveillé, reprit Paul et il y avait maintenant de la fureur dans sa voix. Pour être certain que vous accepterez mes paroles, je vous dirai d’abord que vous portez une fille, ma sœur, qui naîtra ici, sur Arrakis. »

Et Jessica posa les mains sur la paroi de la tente et appuya pour repousser la vague de peur. Elle savait que son état n’était pas encore visible. Seule son éducation Bene Gesserit lui avait permis de percevoir les tout premiers signaux de son corps, de savoir qu’elle portait un embryon de quelques semaines.