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« Que pour servir, souffla-t-elle, s’accrochant à la devise Bene Gesserit. Nous n’existons que pour servir. »

« Nous trouverons refuge parmi les Fremens. C’est là que votre Missionanria Protectiva nous a préparé un abri. »

Notre fuite dans le désert était organisée, songea Jessica. Mais comment peut-il connaître la Missionaria Protectiva ? Elle avait peine, maintenant, à repousser la frayeur que faisait naître en elle l’étrangeté de son fils.

Paul examinait l’image sombre de sa mère, il lisait en elle la peur, clairement, comme si elle se dessinait en traits de lumière sur l’ombre. Et il ressentit un début de compassion à son égard.

« Je ne puis encore vous dire les choses qui peuvent advenir, dit-il. Je ne puis même me les dire, quoique je les aie vues. Cette sensation de l’avenir… Il semble que je n’aie aucun contrôle sur elle. C’est comme cela, c’est tout. L’avenir proche… un an peut-être… je peux le voir en partie… C’est une route aussi large que notre Avenue Centrale, sur Caladan. Il y a des choses que je ne distingue pas… des endroits pleins d’ombre… Comme si la route passait derrière une colline et… (L’image d’un mouchoir flottant au vent lui revint)… il y a des embranchements… »

Il demeura silencieux comme le souvenir de cette vision l’envahissait. Nul rêve prescient, nulle expérience dans son existence préalable ne l’avait préparé à ela, à cette révélation du temps mis à nu.

En se souvenant de l’expérience qu’il venait de vivre, il reconnaissait le but terrible qui était le sien. Sa vie se dilatait comme une bulle toujours plus immense et le temps lui-même battait en retraite…

Jessica découvrit le contrôle du brilleur de l’abri et une faible clarté verte repoussa les ombres et sa frayeur. Elle regarda le visage de son fils, ses yeux… tournés vers l’intérieur. Et elle sut où elle avait déjà rencontré un tel regard : dans des images anciennes de désastes passés, des visages d’enfants affamés ou blessés. Les yeux comme des puits noirs, la bouche réduite à un trait, les joues creuses, tendues.

L’expression de quelqu’un qui voit des choses terribles, songea-t-elle. Qui affronte la certitude de sa mortalité.

Ce n’était plus un enfant.

Puis le sens sous-jacent des paroles de Paul se dessina dans son esprit, balaya tout. Paul pouvait, en regardant au-devant de leur route, discerner une issue possible.

« Il existe un moyen d’échapper aux Harkonnens », dit-elle.

« Les Harkonnens ! Chassez ces caricatures d’humains de votre esprit ! » Il avait les yeux fixés sur sa mère, dans la faible lumière du brilleur, sur son visage qui la trahissait.

« Tu ne devrais pas parler d’humains sans… »

« Ne soyez pas aussi assurée quant aux démarcations. Nous portons notre passé avec nous. Et, ma mère, il est une chose que vous ignorez et que vous devriez savoir… Nous sommes des Harkonnens. »

L’esprit de Jessica fit alors une chose terrifiante : il se ferma totalement, comme s’il voulait se couper de toute sensation. Pourtant, la voix de Paul lui parvenait toujours, l’entraînait.

« Lorsque vous serez devant un miroir, examinez votre visage. Examinez le mien, maintenant. Les signes sont là, lisibles, si vous ne tentez pas de vous aveugler vous-même. Regardez mes mains, l’aspect de mon ossature. Et si rien de cela ne vous convainc, alors croyez-moi quand même sur parole. J’ai cheminé dans l’avenir, j’ai vu un document, dans un lieu. J’ai tous les détails. Nous sommes des Harkonnens. »

« Une… branche renégate de la famille, dit-elle. C’est cela, n’est-ce pas ? Quelque cousin harkonnen qui… »

« Vous êtes la propre fille du Baron », dit Paul, et il la regarda porter les mains à sa bouche avant de poursuivre : « Le Baron s’est adonné à bien des plaisirs dans sa jeunesse et il s’est laissé séduire, une fois. Mais c’était pour les besoins génétiques du Bene Gesserit. C’était par l’une d’entre vous. »

Vous. C’était comme une gifle. Mais son esprit se remit à fonctionner et elle ne pouvait nier ses paroles. Tant de suppositions passées reparaissaient maintenant et se rejoignaient. La fille que désirait le Bene Gesserit… Non pas pour mettre un terme à la vieille haine Atréides-Harkonnens mais pour fixer un facteur génétique. Lequel ? Elle cherchait la réponse, confusément.

Comme s’il lisait en elle, Paul dit : « Ils croyaient que c’était moi. Mais je ne suis pas ce qu’ils attendaient. Je suis venu avant mon temps. Et ils l’ignorent. »

Les mains de Jessica étaient rivées à sa bouche.

Grande Mère ! Le Kwisatz Haderach.

Elle comprenait maintenant que peu de choses échappaient à son regard. Elle était nue devant lui. Complètement ouverte. Et elle savait que c’était là la base même de sa peur.

« Vous pensez que je suis le Kwisatz Haderach. Mais ôtez cette idée de votre esprit. Je suis quelque chose d’inattendu. »

Il faut que j’avertisse l’une de nos Ecoles, se dit-elle. L’index des accouplements révélera ce qui s’est produit.

« Il sera trop tard lorsqu’ils apprendront mon existence », dit Paul.

Elle tenta une diversion, baissa les mains et demanda : « Nous trouverons refude parmi les Fremens ? »

« Les Fremens ont une maxime qu’ils attribuent à Shai-hulud, le Vieux Père Eternité, et qui dit : « Sois prêt à apprécier ce que tu rencontres. »

Il pensa : Oui, ma mère… parmi les Fremens. Vous aurez les yeux bleus et une callosité sous votre joli nez, là où sera fixé le tube de votre distille… et vous porterez ma sœur : Sainte Alia du Couteau.

« Si tu n’es pas le Kwisatz Haderach, dit Jessica, qui… »

« Il n’est pas possible que vous le sachiez. Vous ne le croirez que lorsque vous le verrez. »

Et il pensa : Je suis une graine.

Et il vit soudainement combien fertile était le terrain où il était tombé. Dans le même temps, cette sensation d’un but terrible revenait, l’envahissait, remplissait cette région vide, quelque part en lui. Le chagrin l’étouffa.

Sur le chemin qui les attendait, i avait vu deux embranchements importants. Le premier conduisait à un vieux Baron empli de mal auquel il disait : « Bonjour, grand-père. » Il détestait cet embranchement, vomissait ce à quoi il conduisait.

Le second sentier, lui, était plein de zones grisâtres et d’éminences violentes. Il portait une religion guerrière, un feu qui se répandait dans l’univers, la bannière verte et noire des Atréides flottant à la tête de légions de fanatiques abreuvés de liqueur d’épice. Il y avait là Gurney Halleck et quelques autres hommes de son père, mais si peu, tous arborant le signe du faucon, inspiré de la châsse du crâne de son père.

« Je ne peux pas le prendre, murmura Paul. C’est ce que voudraient les vieilles sorcières de vos Ecoles. »

« Paul, je ne te comprends pas », dit Jessica.

Il demeura silencieux. Graine, il pensait avec cette conscience raciale qu’il avait d’abord ressentie comme un but terrible. Il comprenait qu’il ne pouvait plus haïr le Bene Gesserit, l’Empereur ou même les Harkonnens. Tous, ils obéissaient au besoin de leur race de renouveler son héritage dispersé, de croiser, de mêler les lignées en un immense et nouveau bouillon de gènes. Pour cela, la race ne connaissait qu’une manière, l’ancienne manière, celle qui avait été éprouvée, qui était sûre et qui écrasait tout sur son chemin : le jihad.