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Elle se tut en entendant la voix qui murmurait derrière elle.

Gurney !

Elle suivit le regard de Paul, se retourna.

Gurney n’avait pas bougé, mais il avait remis son couteau dans son étui, et ouvert sa robe pour révéler sa poitrine revêtue du distille gris des contrebandiers.

« Plongez votre couteau là, dans ma poitrine, dit-il. Tuez-moi, je vous dis, et que tout soit terminé ainsi. J’ai trahi mon nom ! J’ai trahi mon Duc ! Le meilleur… »

« Silence ! » lança Paul.

Gurney se tut et le regarda.

« Ferme cette robe et cesse de te comporter comme un fou. C’est assez de folie pour aujourd’hui. »

« Tuez-moi, vous dis-je ! »

« Tu ne me connais pas. Pour quel idiot me prends-tu ? Faut-il donc qu’il en soit ainsi avec chacun des hommes dont j’ai besoin ? »

Gurney se tourna alors vers Jessica et sa voix prit un ton lointain, une note suppliante qui ne lui ressemblaient guère.

« Alors, vous, Ma Dame… Tuez-moi, je vous en prie. »

Jessica alla jusqu’à lui, mit les mains sur ses épaules et dit : « Gurney, pourquoi voulez-vous que les Atréides tuent ceux qu’ils aiment ? » Et, lentement, elle referma la robe de Gurney.

« Mais… je… »

« Vous pensiez agir pour Leto, dit-elle, et pour ceci je vous honore. »

« Ma Dame », dit Gurney. Et il baissa la tête et ferma les paupières pour retenir ses larmes.

« Considérons ceci comme un malentendu entre de vieux amis, dit encore Jessica. (Et Paul perçut les notes apaisantes de sa voix.) C’est fini et nous pouvons nous réjouir de savoir que jamais plus nous ne connaîtrons un tel malentendu entre nous. »

Gurney ouvrit les yeux et la regarda.

« Le Gurney Halleck que je connaissais était habile tant à la lame qu’à la balisette. C’est l’homme de la balisette que j’admirais le plus. Ce Gurney Halleck-là se souvient-il combien j’aimais l’entendre quand il jouait pour moi ? Avez-vous encore une balisette, Gurney ? »

« J’en ai une nouvelle, dit Gurney. Elle vient de Chusuk. Elle joue comme une véritable Varota, bien qu’elle ne soit pas signée. Je pense qu’elle a été fabriquée par un élève de Varota qui… (Il s’interrompit.) Mais que puis-je vous dire, Ma Dame ? Nous voilà en train de bavarder de… »

« Nous ne bavardons pas, Gurney, dit Paul. (Il vint auprès de sa mère.) Nous ne bavardons pas, nous parlons d’une chose qui ramène la joie entre les amis. J’aimerais que tu joues pour elle maintenant. Les plans de bataille peuvent attendre un instant. De toute façon, nous n’irons pas au combat avant demain. »

« Je… je vais chercher ma balisette, dit Gurney. Elle est dans le couloir. » Il franchit les tentures.

Paul posa une main sur le bras de sa mère et sentit qu’elle tremblait.

« C’est fini, Mère », dit-il.

Sans tourner la tête, elle lui jeta un regard oblique.

« Fini ? »

« Bien sûr, Gurney a… »

« Gurney ? Ah… oui. » Elle baissa les yeux.

Dans le bruissement des tentures, Gurney réapparut avec sa balisette. Il entreprit de l’accorder, tout en évitant leurs regards. Les tapis, les draperies et les tentures absorbaient l’écho et la balisette, dans cette chambre, produisait des sons intimes.

Paul conduisit sa mère jusqu’à un coussin. Il était soudain frappé par l’âge qu’il lisait sur son visage où le désert avait laissé déjà ses premières rides, ses premières traces aux coins des yeux emplis de bleu.

Elle est fatiguée, se dit-il. Il faut que nous trouvions un moyen de supprimer une partie de ses charges.

Gurney joua un accord.

Paul le regarda et dit : « Certaines… choses requièrent mon attention. Attends-moi ici. »

Gurney acquiesça. Son esprit était lointain, peut-être sur Caladan, sous les cieux ouverts où roulaient des nuages annonciateurs de pluie.

Paul s’éloigna à regret. Tandis qu’il avançait dans le couloir, il entendit un nouvel accord de balisette et s’arrêta une seconde pour prêter l’oreille à la musique étouffée.

Des vignes et des vergers,

Des filles rondes et jolies,

Et un verre plein dans ma main.

Pourquoi songer aux batailles,

Au tonnerre sur les montagnes ?

Pourquoi ces larmes dans mes yeux ?

Les cieux grands ouverts

M’offrent tous leurs trésors,

Tout près de ma main tendue…

Pourquoi redouter l’embuscade.

Et le poison caché ?

Pourquoi me pèsent les années ?

Des bras amoureux m’appellent

Nus, vers leurs caprices

Et l’Éden me promet ses délices…

Pourquoi me rappeler les blessures

Et les fautes anciennes ?

Pourquoi cette peur dans mon sommeil ?

Devant Paul, à l’angle du couloir, un messager fedaykin apparut. L’homme avait rejeté son capuchon en arrière et les attaches de son distille pendaient autour de son cou, révélant qu’il arrivait du désert.

Paul lui fit signe de s’arrêter et s’avança vers lui.

L’homme s’inclina, les mains jointes, ainsi qu’il devait saluer la Révérende Mère ou la Sayyadina lors des rites.

« Muad’Dib, dit-il, les chefs commencent à arriver pour le Conseil. »

« Déjà ? »

« Ce sont ceux que Stilgar a convoqués en premier lorsque l’on croyait que… » Il s’interrompit, haussa les épaules.

« Je vois », dit Paul.

Il se retourna vers la chambre d’où filtraient les accords de balisette de cet air ancien que sa mère aimait entre tous, avec son mélange de paroles joyeuses et tristes.

« Stilgar arrivera bientôt avec les autres, dit-il. Tu les guideras jusqu’à ma mère. »

« J’attendrai ici, Muad’Dib », dit le messager.

« Oui… oui, c’est cela. »

Et Paul se mit en marche vers les profondeurs de la grotte, vers ce lieu qui se trouvait dans toutes les grottes, ce lieu proche du bassin d’eau où il y aurait un petit shai-hulud. La créature, qui ne mesurait pas plus de neuf mètres de long, était prise au piège des conduits d’eau qui l’entouraient de toutes parts. Le faiseur, après avoir émergé du vecteur du petit faiseur, évitait l’eau comme un poison. Le faiseur noyé constituait le plus grand des secrets fremen car l’union de l’eau et du faiseur produisait L’Eau de Vie, ce poison que seule une Révérende Mère pouvait transformer.

Paul avait pris sa décision dans l’instant où sa mère affrontait le danger. Aucune des lignes d’avenir qu’il avait entrevues ne comportait ce moment de péril associé avec Gurney Halleck. L’avenir, cet avenir lourd de nuages, où l’univers se précipitait vers le nexus bouillonnant, était comme un monde fantomatique, tout autour de lui.

Je dois le voir, se dit-il.

Lentement, son organisme avait acquis une tolérance à l’épice qui avait eu pour effet de rendre ses visions prescientes de plus en plus rares… de plus en plus floues. Et une solution évidente s’imposait.

Je vais noyer le faiseur. Ainsi, nous verrons bien si je suis le Kwisatz Haderach qui peut survivre à l’épreuve des Révérendes Mères.