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« Même sur les innocents ? » demanda-t-elle. Et elle pensa : Il ne faut pas qu’il commette les fautes que j’ai commises.

« Il n’y a plus d’innocents », dit-il.

« Dis cela à Chani », répondit Jessica, et elle tendit la main vers le couloir qui accédait à l’arrière de la demeure.

Chani arrivait. Elle pénétrait dans le Grand Hall entre les gardes fremen comme si elle ne les voyait pas. Son capuchon était rejeté en arrière et son masque facial abaissé. Sa démarche semblait fragile, incertaine, comme elle s’avançait et s’arrêtait auprès de Jessica.

Paul vit les traces des larmes sur ses joues. Elle donne l’eau aux morts. À nouveau, il sentit le chagrin monter en lui, comme éveillé par la présence de Chani.

« Il est mort, bien-aimé, dit Chani. Notre fils est mort. »

Paul se leva. Il maintenait un contrôle absolu sur lui-même. Il tendit la main, toucha la joue de Chani, l’humidité sur sa peau.

« On ne peut le remplacer, dit-il, mais il y aura d’autres fils. Usul te le promet. » Doucement, il l’éloigna, puis fit signe à Stilgar.

« Muad’Dib », dit Stilgar.

« Ils arrivent du vaisseau, l’Empereur et tous les siens. Je vais les attendre ici. Rassemble tous les prisonniers au centre de la salle. Qu’ils demeurent à dix mètres de moi sauf ordre contraire. »

« À tes ordres, Muad’Dib. »

Comme Stilgar s’éloignait, Paul perçut les murmures des gardes fremen. « Vous voyez ? Il sait ! Personne ne lui a rien dit, mais il sait ! »

Et maintenant, on pouvait entendre approcher les Sardaukars. Ils fredonnaient une chanson de marche. Puis il y eut un vaste murmure de voix dans l’entrée et Gurney Halleck surgit, s’approcha d’abord de Stilgar, puis vint vers Paul. Il avait un regard étrange.

Vais-je perdre Gurney aussi ? se demanda Paul. Tout comme j’ai perdu Stilgar… Je vais perdre encore un ami pour gagner une créature ?

« Ils n’ont aucune arme de jet, dit Gurney. Je m’en suis assuré moi-même. (Il promena les yeux sur la salle, observant les préparatifs ordonnés par Paul.) Feyd-Rautha Harkonnen est avec eux. Faut-il que je l’isole ? »

« Laisse-le. »

« Il y a aussi des gens de la Guilde. Ils demandent des privilèges spéciaux et menacent de déclencher l’embargo sur Arrakis. Je leur ai dit que je transmettrais leur message. »

« Qu’ils menacent donc. »

« Paul ! souffla Jessica. C’est de la Guilde qu’il s’agit ! »

« Je vais lui ôter ses crocs », dit-il.

Il songea alors à la Guilde, à cette puissance qui s’était spécialisée depuis si longtemps qu’elle était devenue un parasite, incapable d’exister indépendamment de cette vie dont elle se nourrissait. Jamais la Guilde n’avait osé brandir l’épée… et maintenant elle ne le pouvait plus.

Ses navigateurs dépendent exclusivement du Mélange. Quand elle a compris l’erreur que cela signifiait, elle aurait dû s’emparer d’Arrakis. Elle aurait pu réussir, connaître son jour de gloire et mourir. Au lieu de cela, elle prolonge son existence d’instant en instant, espérant que les mers qu’elle parcourt pourront produire un hôte nouveau quand l’ancien mourra.

Les navigateurs de la Guilde, avec leur prescience limitée, avaient fait un choix fatal : ils s’étaient engagés sur le chemin le plus facile, le plus sûr, celui qui conduit à la stagnation.

Qu’ils regardent attentivement ce nouvel hôte, pensa Paul.

« Il y a aussi une Révérende Mère Bene Gesserit qui déclare être une amie de votre mère », dit Gurney.

« Ma mère n’a pas d’amies parmi les Bene Gesserit. »

À nouveau, Gurney examina le Grand Hall, puis se pencha à l’oreille de Paul. « Thufir Hawat est avec eux, Mon Seigneur. Je n’ai pu le voir seul, mais il m’a expliqué avec nos anciens signes de code qu’il avait travaillé pour les Harkonnen et qu’il vous avait cru mort. Il dit qu’il doit rester avec eux. »

« Tu as laissé Thufir avec ces… »

« C’est ce qu’il voulait… et j’ai pensé que c’était mieux ainsi. S’il… si quelque chose n’allait pas, il est dans une position où il peut nous rendre service. »

Paul se souvint alors de brèves visions prescientes des avenirs possibles. Dans l’une, en particulier, Thufir Hawat portait une aiguille empoisonnée que l’Empereur lui avait ordonné d’utiliser contre « ce Duc révolté ».

Les gardes postés à l’entrée s’écartèrent et formèrent un étroit couloir de lances. Il y eut un bruit confus fait du froissement des étoffes, des pieds crissant dans le sable.

L’Empereur Padishah Shaddam IV apparut à la tête de ses gens. Il n’avait plus son casque de Burseg et sa chevelure rousse était en désordre. La manche gauche de son uniforme avait été déchirée tout au long de la couture intérieure. Il était sans ceinture, sans armes mais, par sa seule personnalité, il semblait créer un bouclier autour de lui.

Une lance fremen s’abaissa devant lui, l’arrêtant à la distance indiquée par Paul. Les gens de sa suite se groupèrent derrière lui, visages confondus, étoffes multicolores et mêlées.

Paul leva son regard sur eux. Il vit des femmes qui essayaient de dissimuler leurs larmes, il vit des valets qui n’étaient venus sur Arrakis que pour assister à une nouvelle victoire des Sardaukars et que la défaite avait rendus muets. Il vit les yeux d’oiseau brillants de la Révérende Mère Gaius Helen Mohiam qui l’épiaient sous le capuchon noir et, auprès d’elle, la silhouette étroite, effacée, de Feyd-Rautha Harkonnen.

Puis, derrière Feyd-Rautha, son regard fut attiré par un mouvement. Il découvrit un visage mince, des traits de fouine qu’il n’avait encore jamais vus. Pourtant, c’était comme s’il devait connaître ce visage.

Le temps me l’a caché, se dit-il.

Cette pensée était teintée de peur.

Pourquoi devrais-je avoir peur de cet homme ?

Il se pencha vers sa mère et murmura : « Cet homme, là-bas, à gauche de la Révérende Mère ?… Qui est-ce ? »

Jessica reconnut le visage pour l’avoir vu dans les dossiers de son Duc. « Le Comte Fenring, dit-elle. Celui qui nous a précédés sur Arrakis. Un eunuque-génétique… un tueur. »

Le commis de l’Empereur, songea Paul. Et il éprouva comme un choc au plus profond de sa conscience car s’il avait eu la vision d’innombrables avenirs possibles où l’Empereur était présent, jamais il n’avait vu le Comte Fenring.

Il avait également vu son propre cadavre en de multiples points de la trame du temps, mais il n’avait jamais assisté à sa mort.

Cet homme m’est-il demeuré caché parce qu’il est précisément celui qui doit me tuer ? se demanda-t-il.

Cette pensée lui amena un sentiment d’appréhension. Il détacha son attention de Fenring et observa les Sardaukars, leurs visages amers, désespérés. Parmi eux, certains étaient vigilants. Ils examinaient et sondaient la salle en quête d’un moyen qui leur permettrait de changer la défaite en victoire.

Finalement, le regard de Paul se posa sur une grande femme blonde aux yeux verts, d’une beauté patricienne. Son visage plein de dignité ne portait aucune trace de larmes. Paul sut aussitôt qui elle était : la Princesse Royale Bene Gesserit Irulan dont le visage lui était apparu dans bien des situations.

La clé du trône, se dit-il.

Puis il se produisit un mouvement au sein de la suite impériale et un homme en émergea : Thufir Hawat. Ses lèvres étaient toujours aussi noires dans son visage ancien, ses épaules toujours aussi voûtées, son apparence aussi fragile.

« Voici Thufir, dit Paul. Qu’il aille librement, Gurney. »

« Mon Seigneur ! »