Ils tournèrent en s’observant, guettant la plus petite ouverture, leurs pieds nus crissant parfois sur le sol.
« Tu danses bien », dit Feyd-Rautha.
Un bavard, songea Paul. Autre faiblesse. Le silence le met mal à l’aise.
« As-tu reçu l’absolution ? » demanda Feyd-Rautha.
Paul continua de se déplacer en silence.
Au premier rang, la vieille Révérende Mère se mit à trembler. Le jeune Atréides avait appelé « cousin » l’Harkonnen. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : il connaissait son ascendance, et cela était facile à comprendre puisqu’il était le Kwisatz Haderach. Mais ce simple mot prononcé par Paul lui faisait prendre conscience de la seule chose qui importait pour elle. Ce qui se passait ici pouvait être une catastrophe pour le plan de sélection bene gesserit.
Elle avait entrevu ce que Paul avait compris, que Feyd-Rautha pouvait le tuer mais sans être victorieux. Et une autre pensée lui vint, qui submergea presque son esprit. Là, devant elle, deux produits de ce long et coûteux programme de sélection étaient engagés dans un combat où ils pouvaient laisser la vie, l’un comme l’autre. Si tous deux mouraient ici, il ne resterait plus qu’une fille bâtarde de Feyd-Rautha, un bébé, un facteur inconnu, et Alia, cette abomination.
« Peut-être que vous ne connaissez que les rites païens, ici, dit Feyd-Rautha. Veux-tu que la Diseuse de Vérité de l’Empereur prépare ton âme au voyage ? »
Paul sourit tout en se portant sur la droite, les muscles tendus, ses sombres pensées repoussées par les impératifs de l’instant.
Feyd-Rautha bondit, feinta de la main droite mais, en un éclair, passa la lame dans sa main gauche.
Paul se déroba facilement et nota la brève hésitation de Feyd-Rautha, due à l’habitude du bouclier. Brève hésitation qui indiquait que Feyd-Rautha, pourtant, n’avait pas toujours combattu avec le bouclier, qu’il avait dû affronter, du moins, des adversaires qui n’en avaient pas.
« Est-ce qu’un Atréides court au lieu de combattre ? » demanda Feyd-Rautha.
Paul s’était remis à tourner en silence. Les paroles d’Idaho lui revinrent : « Durant les premiers instants, étudie. Bien sûr, tu perds ainsi la possibilité d’une victoire rapide, mais l’étude de l’adversaire est une assurance de succès. Prends ton temps. »
« Peut-être crois-tu que cette danse prolonge ta vie de quelques instants, dit Feyd-Rautha. Très bien. » Il s’arrêta, se redressa.
Paul en avait assez vu pour avoir une première approximation. Feyd-Rautha se portait maintenant sur la gauche, offrant sa hanche droite comme si la cotte de maille pouvait protéger tout son flanc. C’était l’attitude d’un homme habitué à combattre avec un bouclier et deux couteaux.
Ou… Paul hésita… ou bien la cotte de mailles était plus que ce qu’elle semblait être.
L’Harkonnen semblait trop confiant face à un homme dont les troupes, ce même jour, avaient triomphé des Sardaukars.
Feyd-Rautha s’aperçut de l’hésitation de son adversaire et lança : « Pourquoi retarder l’inévitable ? Tu ne fais que m’empêcher de faire valoir mes droits sur cette boule pouilleuse. »
Une aiguille, pensa Paul. Elle est bien dissimulée. Aucune trace sur le corset.
« Pourquoi ne dis-tu rien ? » lança Feyd-Rautha.
Paul se remit en marche. Le silence faisait son effet sur Feyd-Rautha. Il eut un sourire glacé.
« Tu souris, hein », dit Feyd-Rautha, et il bondit avant d’avoir achevé.
Paul s’était attendu à une hésitation et il faillit ne pas se dérober à temps devant le coup. La lame écorcha son bras gauche. Il repoussa la douleur qui jaillit en lui et comprit que la première hésitation qu’il avait notée n’avait été qu’une feinte habile. Son adversaire était plus rusé qu’il ne l’avait cru d’abord. Dans chacune de ses feintes, il devait dissimuler une autre feinte.
« C’est ton Thufir Hawat qui m’a enseigné certains de mes coups, dit Feyd-Rautha. Dommage que ce vieux fou n’ait pas vécu assez longtemps pour me voir. »
Et Paul se souvint alors de ce qu’Idaho lui avait dit une fois : « Ne t’attends qu’à ce qui se passe dans le combat. Ainsi, tu ne seras jamais surpris. »
À nouveau, ils tournaient l’un autour de l’autre, attentifs, le corps ployé.
Paul regarda le visage de son adversaire et y lut, une fois encore, la satisfaction. Feyd-Rautha pouvait-il donc attacher autant d’importance à une simple égratignure ? À moins qu’il n’y ait eu du poison sur la lame ! Mais comment était-ce possible ? Ses propres hommes avaient eu la lame entre les mains et l’avaient testée avant de la lui rendre. Ils avaient trop d’expérience pour que ce genre de chose leur échappe.
« Cette femme à qui tu parlais, dit Feyd-Rautha. Est-elle quelque chose pour toi ? Ton petit animal favori ? Faut-il que je lui réserve des attentions particulières ? »
Paul ne répondit pas. Ses sens internes examinaient le sang qui s’écoulait de l’estafilade sur son bras et découvrirent une trace de soporifique. Paul ajusta son métabolisme afin de repousser la menace et modifia la structure moléculaire du soporifique. Mais il ressentait encore un doute. Ils avaient enduit la lame de soporifique. Un soporifique qui pouvait tromper le goûte-poison mais qui était assez puissant, pourtant, pour ralentir les muscles. L’ennemi avait ses propres plans-gigognes, ses stratagèmes à tiroirs.
À nouveau, Feyd-Rautha bondit et frappa.
Paul, un sourire figé sur ses lèvres, feinta avec une lenteur calculée, comme s’il était sous l’effet de la drogue. À la dernière fraction de seconde, il frappa et la pointe du krys rencontra le bras de Feyd-Rautha.
Celui-ci se déroba et rompit, le couteau dans la main gauche, maintenant, le visage pâle. L’acide mordait la blessure.
Offrons-lui un moment de doute, se dit Paul. Laissons-le croire au poison.
« Traîtrise ! cria Feyd-Rautha. Il m’a empoisonné ! Je sens le poison dans mon bras ! »
Et Paul parla pour la première fois : « Ce n’est rien qu’un peu d’acide pour répondre au soporifique sur la lame de l’Empereur. »
Feyd-Rautha, le regard brillant de rage, leva son couteau en une dérision de salut.
Paul prit son krys dans la main gauche et se remit à tourner en silence.
Feyd-Rautha se rapprocha, brandissant haut la lame de l’Empereur. La colère se lisait dans ses yeux à demi fermés et la ligne de sa mâchoire. Il feinta sur la droite, un peu en dessous, et ils se retrouvèrent l’un contre l’autre, leurs lames liées.
Paul obligea son adversaire à pivoter. Il se méfiait de la hanche droite où devait se dissimuler une aiguille empoisonnée. À l’instant où elle pointa, il faillit ne pas la voir. Il fut alerté par un mouvement de Feyd-Rautha, un relâchement de ses muscles et l’aiguille ne le manqua que d’une infime fraction de centimètre.
Elle était sur la hanche gauche !
Piège sur piège, se dit Paul. Il utilisa le contrôle bene gesserit pour relâcher ses muscles afin de provoquer un réflexe de Feyd-Rautha mais, essayant d’échapper à la menaçante pointe, il trébucha, tomba sur le sol et Feyd-Rautha s’abattit sur lui.
« Tu la vois hein, là, sur ma hanche ? murmura-t-il. C’est ta mort, fou. (Il roula sur lui-même et l’aiguille se rapprocha du flanc de Paul.) Je vais d’abord paralyser tes muscles, puis mon couteau t’achèvera. Et il ne restera pas la moindre trace ! »
Tous les muscles de Paul luttaient tandis que, au fond de son esprit, s’élevaient les cris silencieux de ses ancêtres qui exigeaient qu’il prononce le mot-clé qui freinerait Feyd-Rautha et le sauverait, lui.