Выбрать главу

Deux jours plus tard, Kynes se retrouva dans un sietch qui dominait la Passe du Vent. Pour lui, tout cela n’était que très naturel. Il parla de l’eau aux Fremen, des dunes maintenues par l’herbe, des palmeraies où l’on pourrait cultiver des dattiers, de qanats à ciel ouvert sillonnant le désert. Il parlait, parlait, parlait sans cesse.

Et il n’avait pas conscience du débat dont il était l’objet. Que faire de ce fou ? se demandaient les Fremen. Il connaissait maintenant la position d’un sietch important. Que faire ? Et que racontait-il donc ? Qu’est-ce que c’était que cette histoire d’Arrakis transformée en paradis ? Il ne faisait que parler. Il en savait trop. Mais il avait tué des Harkonnen ! Et le fardeau de l’eau ? Depuis quand devons-nous quelque chose à l’Imperium ? Il a tué des Harkonnen, oui, mais n’importe qui peut le faire. Moi aussi, j’ai tué des Harkonnen. Mais que raconte-t-il à propos de la fertilisation d’Arrakis ? Où est l’eau nécessaire ? Il dit qu’elle se trouve ici ! Et il a sauvé trois des nôtres. Trois jeunes idiots qui se sont trouvés sur le chemin des Harkonnen ! Il a vu les krys !

Bien avant qu’elle fût exprimée, on connut la décision. Le tau d’un sietch dicte leur conduite à ses membres, il prescrit les plus brutales obligations.

Un combattant expérimenté fut envoyé avec un couteau consacré, suivi de deux porteurs d’eau qui devaient recueillir l’eau du corps. Brutale obligation.

On peut douter que Kynes se soit rendu compte de l’arrivée de ce bourreau. Il était fort occupé à discourir devant un groupe qui s’était formé à prudente distance. Tout en parlant, il marchait de long en large et gesticulait. De l’eau partout, disait-il. Plus besoin de distille pour marcher dans le désert ! De l’eau dans les lacs ! Des portyguls dans les vergers !

L’homme au couteau s’avança, se trouva face à Kynes.

« Ôtez-vous d’ici ! » dit Kynes, et il continua de parler, évoquant des pièges à vent secrets. Il passa devant l’homme et offrit son dos au coup rituel.

On ne saura jamais ce qui se produisit alors dans l’esprit du bourreau. Écouta-t-il et comprit-il à ce moment les paroles de Kynes ? Qui sait ?… Mais, en tout cas, on sait ce qu’il fit. Il se nommait Uliet, ce qui signifie Liet le Vieux. Uliet, donc, fit trois pas en avant et, délibérément, s’abattit sur son couteau et mourut. Suicide ? Certains prétendent que ce fut Shai-hulud qui guida son geste.

Ainsi naissent les présages.

À partir de cet instant, Kynes n’eut qu’à lever le petit doigt et à dire : « Venez ! » Et ils vinrent. Par tribus entières, de toutes parts. Les femmes, les enfants, les hommes mouraient en chemin, mais ils venaient toujours.

Kynes repartit travailler pour l’Imperium dans les Stations de Biologie Expérimentale. Et des Fremen commencèrent à faire leur apparition au sein du personnel de ces stations. À ce stade, les Fremen se rendirent compte qu’ils étaient en train de s’infiltrer dans le « système » et c’était là une possibilité qu’ils n’avaient jamais envisagée. Certains outils que l’on employait dans les stations apparurent dans les communautés des sietch, et particulièrement les taillerays que l’on utilisait pour agrandir les bassins et creuser les pièges à vent.

L’eau commença de s’accumuler au fond des bassins.

Les Fremen se rendirent compte que Kynes n’était pas totalement fou, mais juste assez pour faire un saint. Il appartenait à l’Umma, la confrérie des prophètes. Et Uliet s’en alla rejoindre les Sadus, les juges divins.

Kynes, homme direct et farouchement obstiné, savait que la recherche organisée au sommet ne produit rien de nouveau. Il créa donc de petites unités d’expérimentation qui échangeaient régulièrement des informations afin d’aboutir rapidement à l’effet de Tansley, chaque groupe suivant sa propre voie. Ils devaient accumuler des millions de faits infimes et Kynes n’organisait que des tests isolés et rapides afin de faire ressortir leurs difficultés.

Des échantillons furent prélevés dans tout le bled. On établit des cartes de ces longs courants de temps appelés climats. Kynes découvrit que dans la large ceinture comprise entre les 70degrés de latitude nord et sud, les températures, depuis des milliers d’années, oscillaient entre 254 et 332 degrés absolus. Cette zone avait de longues saisons de germination au cours desquelles la moyenne de température s’établissait entre 284 et 302o, ce qui laissait une marge confortable pour la vie terraformée… quand serait résolu le problème de l’eau.

Quand sera-t-il résolu ? demandaient les Fremen. Quand connaîtrons-nous le paradis sur Arrakis ?

Et, un peu comme un instituteur répondant à un enfant qui vient de lui demander combien font deux et deux, Kynes disait : « Dans un laps de temps de trois cents à cinq cents ans. »

Un peuple inférieur aurait désespéré. Mais les Fremen avaient appris la patience sous le fouet. Ce délai leur semblait plus long que ce qu’ils avaient espéré mais le jour béni viendrait, c’est tout ce qui comptait. Ils serrèrent leurs ceintures et se remirent au travail. Pour un paradis que la déception rendait plus réel, en quelque sorte.

Le grand problème d’Arrakis n’était pas tant l’eau que l’humidité. Le bétail y était rare, les animaux domestiques inconnus. Certains contrebandiers utilisaient bien l’âne du désert, le kulon, comme animal de bât, mais le prix de l’eau nécessaire était prohibitif, même lorsque l’on réussissait à faire porter à l’animal un distille sur mesure.

Kynes songea à installer des usines pour synthétiser l’eau à partir de l’oxygène et de l’hydrogène présents dans les roches, mais le coût de l’énergie eût été trop élevé. Les calottes polaires qui donnaient aux pyons une fausse impression de richesse en eau n’en contenaient pas assez pour le projet de Kynes… Et il commençait déjà à soupçonner où l’eau devait se trouver. Aux altitudes moyennes et dans certains vents, le taux d’humidité augmentait significativement. Et puis, il y avait ce premier indice qui lui avait été fourni par la composition de l’air : 23 % d’oxygène, 75,4 % d’azote et 0,023 % de gaz carbonique, les gaz rares formant le reste.

Il existait une plante locale à racine, très rare, qui poussait dans la zone tempérée nord au-dessus de 2 500 mètres. Sa racine tubéreuse de deux mètres contenait près d’un demi-litre d’eau. Il y avait aussi les plantes désertiques terraformées dont certaines, dans les dépressions où l’on avait installé des précipitateurs de rosée, croissaient mieux que les autres.

C’est alors que Kynes découvrit la cuvette de sel.

Il se rendait d’une station à une autre en orni quand une tempête l’obligea à dévier de son cap. C’est ainsi qu’il découvrit la grande cuvette de sel, une immense dépression ovale de quelque trois cents kilomètres de long qui brillait d’un éclat aveuglant en plein désert.

Kynes atterrit, toucha la surface lisse et blanche et porta son doigt à ses lèvres.

Du sel.

Maintenant, il avait une certitude.

Autrefois, il y avait eu de l’eau sur Arrakis. Il repensa alors à ces puits asséchés où un filet d’eau était apparu, une fois, pour s’évanouir ensuite et ne plus revenir.

Kynes mit au travail sur la question ses limnologistes fremen nouvellement formés. Leur indice principal : des traces d’une matière semblable à du cuir que l’on retrouvait dans la masse d’épice après son explosion. Dans les contes folkloriques fremen, on attribuait cela à une mythique « truite des sables ». Les faits, en s’accumulant, dessinaient le portrait d’une créature qui pouvait effectivement être à l’origine de cette matière pareille à du cuir, une créature qui « nageait » dans le sable et qui isolait l’eau dans des poches fertiles, à l’intérieur de la couche poreuse inférieure, en dessous de la limite des 280o (absolus) :