« Mais dans combien de temps ? » demandèrent les Fremen.
« Oh… Trois cent cinquante ans », dit Kynes.
Ainsi, cet Umma avait dit vrai dès le début : cette chose ne connaîtrait pas son terme avant que se soit écoulée une vie d’homme, avant huit générations… Mais cela viendrait un jour.
Le travail se poursuivit. On construisit, on planta, on creusa, on éduqua les enfants.
Et puis, Kynes l’Umma fut tué durant l’excavation du Bassin du Plâtre.
À cette époque, son fils, Liet-Kynes, avait dix-neuf ans. C’était un vrai Fremen, un cavalier des sables qui avait tué plus de cent Harkonnen. Le contrat impérial lui fut transmis normalement. Le système rigide des faufreluches remplissait tout aussi bien son rôle sur Arrakis. Et le fils avait été formé à l’école de son père.
Dès cet instant, le chemin était tracé et les Fremen écologiques y étaient engagés. Il suffisait à Liet-Kynes de les surveiller et de ne pas perdre de vue les Harkonnen… Jusqu’au jour où un Héros échut à cette planète.
APPENDICE IIReligion de Dune
Comme le sait n’importe quel écolier, les Fremen d’Arrakis, avant la venue de Muad’Dib, pratiquaient une religion qui tirait ses origines du Moameth Saari. Depuis, nombreux sont ceux qui ont relevé ses nombreux emprunts à d’autres religions. L’exemple le plus courant est celui de l’Hymne de l’Eau qui appelle sur Arrakis des nuages de pluie que la planète n’a jamais vus et qui est directement repris du Manuel Liturgique Catholique Orange. Mais il existe encore bien d’autres points communs entre le Kitab al-Ibar des Fremen et les enseignements de la Bible, de l’Ilm et du Fiqh.
Toute comparaison portant sur les croyances religieuses qui prédominaient dans l’Imperium jusqu’à l’apparition de Muad’Dib doit s’accompagner d’une liste des forces principales qui étaient à la base de ces croyances :
1. Les adeptes des Quatorze Sages, dont le livre sacré était la Bible Catholique Orange et dont les idées sont exprimées dans les Commentaires et autre littérature issue de la Commission des Interprètes Œcuméniques (C.L.Œ.).
2. Le Bene Gesserit, qui nie être un ordre religieux mais qui opéra toujours derrière un impénétrable écran de rituel mystique et dont les méthodes d’éducation, l’organisation, la symbolique sont essentiellement religieux.
3. La classe dominante et agnostique (y compris la Guilde) pour laquelle la religion n’est qu’un théâtre de marionnettes destiné à amuser la populace et à la rendre docile. Cette classe croit dans l’essentiel que tout phénomène – même religieux – peut être expliqué de façon mécanique.
4. Les soi-disant Enseignements Anciens, qui comprennent ceux qui furent préservés des trois mouvements islamiques par les Vagabonds Zensunni, le Navachristianisme de Chusuk, les Variantes Bouddislamiques de Lankiveil et Sikun, les Livres Mêlés de la Mahayana Lankavatara, le Zen Hekiganshu de Delta Pavonis III, la Taurah et le Zabur Talmudique qui étaient encore en usage sur Salusa Secundus, l’envahissant Rituel Obeah, le Muadh Quran avec l’Ilm et le Fiqh préservés par les planteurs de riz pundi de Caladan, les formes d’Hindouisme que l’on trouvait dans tout l’univers chez les pyons isolés et, enfin, le Jihad Butlérien.
La cinquième force existe, bien sûr. Elle façonne toutes les croyances, mais de façon universelle et profonde, à tel point qu’elle doit être considérée isolément. Il s’agit du voyage spatial que, dans toute discussion religieuse, il convient d’exprimer ainsi :
LE VOYAGE SPATIAL !
Durant les cent dix siècles qui précédèrent le Jihad Butlérien, l’essor de l’humanité dans l’espace marqua la religion d’une empreinte profonde. Le voyage spatial, dans les premiers temps, était lent, incertain et irrégulier, bien que largement répandu. Ceci, avant le monopole de la Guilde qui s’établit par un curieux et complexe concours de méthodes. Les premières expériences spatiales, dont on sut bien peu de choses et qui donnèrent lieu à toutes sortes de déformations, ouvrirent la voie à toutes les spéculations mystiques.
Immédiatement, l’espace donna un sens et un attrait différents au concept de Création. Cette différence est parfaitement visible dans les mouvements religieux les plus importants de cette période. L’essence sacrée de toutes les religions fut atteinte par cette sorte d’anarchie qui émanait de l’espace.
Ce fut alors comme si Jupiter, dans ses nombreux avatars, regagnait les ténèbres maternelles pour être remplacé par une immanence féminine pleine d’ambiguïté et dont le visage reflétait d’innombrables terreurs.
Les formules anciennes se fondirent, s’interpénétrèrent en s’adaptant aux nouvelles conquêtes et aux nouveaux symboles héraldiques. Ce fut une période de lutte entre les démons d’un côté et les vieux prêtres et leurs invocations de l’autre.
Jamais il n’y eut de décision nette.
Durant cette période, on dit que la Genèse fut réinterprétée et les paroles de Dieu devinrent :
« Croissez et multipliez, et emplissez l’univers ; et soumettez-le, et régnez sur toutes les espèces de bêtes étranges et de créatures vivantes dans les cieux infinis, sur les terres infinies et sous elles. »
Ce fut une époque de sorciers dont les pouvoirs étaient réels. Jamais ils ne révélèrent comment ils prenaient les tisons à main nue.
Puis vint le Jihad Butlérien. Deux générations de chaos. Le dieu de la logique mécanique fut alors renversé dans les masses et un nouveau concept se fit jour :
« L’homme ne peut être remplacé. »
Ces deux générations de violence constituèrent une pause thalamique pour toute l’humanité. Les regards des hommes se portèrent sur leurs dieux et leurs rites et ils y lurent la plus terrible des équations : la peur dépassant l’ambition.
Les chefs des diverses religions dont les fidèles avaient répandu le sang de millions de leurs semblables, hésitants, se réunirent pour échanger leurs points de vue. Ils y étaient encouragés par la Guilde Spatiale qui commençait à prendre le monopole des voyages interstellaires et par le Bene Gesserit, qui rappelait à lui les sorcières.
Les premières réunions œcuméniques eurent deux résultats majeurs :
1. On comprit que toutes les religions ont au moins un commandement en commun : « Point ne déformeras l’âme. »
2. La Commission des Interprètes Œcuméniques.
La C.I.Œ. se réunit sur une île neutre de la Vieille Terre, berceau des religions-mères. Le principe de la réunion était « la croyance commune en l’existence d’une Essence Divine dans l’univers ». Toute confession ayant au moins un million de fidèles était représentée et, de façon surprenante, un accord intervint très vite quant au but commun.
« Nous sommes ici pour ôter une arme essentielle des mains des croyants en conflit. Cette arme est la prétention à une seule et unique révélation. »
La joie qui éclata aussitôt devant ce « signe d’un profond accord » se révéla prématurée. Durant plus d’une année standard, la C.I.Œ. se limita à cette seule déclaration. On se mit à parler avec amertume du temps qui passait sans rien apporter. Les troubadours composèrent des chansons spirituelles et mordantes sur les 121 délégués de la C.I.Œ., les vieux « Chiens Ignobles » comme on les appelait depuis que courait un refrain de corps de garde à leur propos. L’une de ces chansons, « En terre molle », est venue jusqu’à nos jours :
« En terre molle ils dorment,
Tous ces vieux chiens ignobles.
Abrutis, sales et sourds,