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Ils ne voient plus le jour.

Et passe, passe le temps,

Rien n’y fera plus,

Rien ni personne.

Foutez-leur la paix :

Ils dorment ! »

Des rumeurs filtraient parfois des réunions de la C.I.Œ. On disait que les délégués comparaient leurs textes et, inévitablement, on nommait ces textes. Ce genre de rumeurs finit par provoquer des troubles anti-œcuméniques et par susciter de nouvelles campagnes d’hostilité.

Deux années passèrent… puis trois.

Des Commissaires, neuf moururent et furent remplacés. On annonça alors la création d’un livre unique qui devait faire état de « tous les symptômes pathologiques » des religions du passé.

« Nous façonnons un instrument d’Amour qui sera utilisable de toutes les façons », dirent les Commissaires.

Certains considèrent qu’il est étrange que cette déclaration ait provoqué les pires explosions de violence que l’on eût jamais connues à propos d’œcuménisme. Vingt délégués furent rappelés par leur congrégation. L’un d’eux se suicida en volant une frégate spatiale pour aller plonger dans le soleil.

Selon les historiens, les troubles firent alors quatre-vingts millions de morts. Cela correspond à environ six mille morts pour chaque monde de la Ligue du Landsraad. Compte tenu de l’époque, cette estimation ne semble pas excessive. Mais il faut bien se garder de vouloir fournir des chiffres précis car les communications intermondes étaient alors à leur plus bas niveau.

Tout naturellement, les troubadours se déchaînaient. Une comédie musicale à succès montrait un délégué de la C.I.Œ. assis sur une plage de sable blanc au pied d’un palmier et chantant :

« Pour Dieu, la femme et la splendeur de l’amour,

Nous voici ici sans peurs ni soucis.

Ah troubadour, chante-moi une autre mélodie

Pour Dieu, la femme et la splendeur de l’amour ! »

Troubles et comédies sont des symptômes profondément révélateurs, à toute époque. Ils traduisent le climat psychologique, les incertitudes profondes… et l’espoir en quelque chose de meilleur, espoir mêlé de la crainte de ne rien voir venir, jamais.

Les barrages les plus sûrs contre l’anarchie étaient alors la Guilde (à l’état embryonnaire), le Bene Gesserit et le Landsraad, qui atteignait ses 2 000 années d’existence malgré les obstacles les plus sérieux. Le rôle de la Guilde semblait clair : elle offrait le transport au Landsraad et à la C.I.Œ. Le rôle du Bene Gesserit est moins évident. Il est certain qu’à cette époque, il consolidait son emprise sur les sorcières, explorait le domaine des narcotiques les plus subtils, développait l’entraînement prana-bindu et mettait sur pied la Missionaria Protectiva, cette arme noire de la superstition. Mais cette période vit aussi la création de la Litanie contre la Peur et la réunion du Livre d’Azhar, cette merveille bibliographique qui recèle les grands secrets des fois les plus anciennes.

Le commentaire d’Ingsley est sans doute le seul admissible : « Une époque de profonds paradoxes. »

Pendant presque sept ans, la C.I.Œ. continua son travail. Aux approches du septième anniversaire de l’assemblée, l’univers humain se prépara à une annonce historique. Quand le jour vint, la Bible Catholique Orange était née.

« Une œuvre pleine de dignité et de signification, dit-on. Un moyen pour l’humanité de prendre conscience d’elle-même en tant que création totale de Dieu. »

Les hommes de la C.I.Œ. étaient comme des archéologues des idées, inspirés par Dieu dans la grandeur de cette redécouverte. On prétendit qu’ils avaient mis en lumière « la vitalité des grands idéaux enrichis par les siècles », qu’ils avaient « renforcé les impératifs moraux de la conscience religieuse ».

En même temps que la Bible Catholique Orange, la C.I.Œ. présenta le Manuel Liturgique et les Commentaires qui sont par bien des aspects des œuvres remarquables, non seulement à cause de leur brièveté (moins de la moitié de la Bible C.O.), mais aussi par leur naïveté et leur mélange d’apitoiement et de pharisaïsme.

Le début constitue un appel évident aux dirigeants agnostiques.

« Les hommes, ne trouvant aucune réponse au sunnah (les dix mille questions religieuses du Shari-a) appliquent maintenant leur propre raisonnement. Tous les hommes cherchent la lumière. La Religion n’est que la façon la plus ancienne et la plus vénérable de trouver un sens à l’univers créé par Dieu. Les savants cherchent les lois des événements. Le rôle de la Religion est de découvrir la place de l’homme dans cette légalité. »

Dans leur conclusion, cependant, les Commentaires ont un ton dur qui, très certainement, annonçait déjà quel serait leur destin.

« En grande partie, ce que l’on appelle religion a toujours eu une attitude inconsciemment hostile envers la vie. La véritable religion doit enseigner que la vie est pleine de joies plaisantes à l’œil de Dieu, que la connaissance sans action est vide. Tous les hommes doivent comprendre que l’enseignement de la religion par des règles est une duperie. Le seul enseignement qui soit valable est celui que l’on accepte dans le plaisir. Il est impossible de ne pas le reconnaître car il éveille en vous la certitude d’avoir toujours su ce qu’il vous enseigne. »

Comme les presses et les imprégnateurs de shigavrilles se mettaient au travail pour répandre les paroles de la Bible Catholique Orange, une impression de calme se répandit sur les mondes. Certains interprétèrent cela comme un signe de Dieu, un présage d’unité.

Mais les délégués de la C.I.Œ. eux-mêmes démentirent ce calme en regagnant leurs congrégations respectives. Dix-huit d’entre eux furent lynchés dans les deux mois qui suivirent et cinquante-trois se désavouèrent dans l’année.

La Bible C.O. fut dénoncée comme une œuvre produite par « l’hubris de la raison ». On déclara que ses pages étaient imprégnées d’un intérêt pour la logique très racoleur et des révisions commencèrent d’apparaître, qui avaient leur origine dans la bigoterie populaire. Elles s’appuyaient surtout sur les symboles acceptés depuis longtemps (la Croix, le Croissant, la Plume, les Douze Saints, le Bouddha d’ascèse…) et il devint vite évident que les superstitions anciennes n’avaient pas du tout été absorbées par le nouvel œcuménisme.

Halloway avait qualifié les sept années de travail de la C.I.Œ. de « Galactophase Déterministe ». Pour des milliards de personnes, les initiales G.D. prirent le sens de « gare à Dieu ! ».

Le Président de la C.I.Œ., Toure Bomoko, Ulema des Zensunnis qui faisait partie des quatorze délégués qui ne s’étaient encore jamais désavoués (« Les Quatorze Sages », selon la tradition populaire) admit finalement, que la C.I.Œ. avait été une erreur.

« Nous n’aurions pas dû essayer de créer de nouveaux symboles, dit-il. Nous aurions dû comprendre que notre rôle n’était pas d’introduire des incertitudes dans la croyance acceptée, d’éveiller la curiosité à l’égard de Dieu. Chaque jour nous sommes témoins de la terrifiante instabilité des choses humaines, et pourtant nous laissons nos religions devenir de plus en plus rigides et contrôlées, de plus en plus conformistes et oppressantes. Quelle est cette ombre sur le chemin du Commandement Divin ? C’est l’avertissement que portent les institutions puis les symboles quand le sens des institutions s’est perdu, un avertissement qui dit que la Somme de toutes les connaissances n’existe pas. »

Le double sens amer de cet « aveu » n’échappa point aux adversaires de Bomoko et, peu après, il fut obligé de fuir en exil, ne devant la vie sauve qu’au serment de silence de la Guilde. On dit plus tard qu’il avait trouvé la mort sur Tupile, honoré et adoré, et que ses dernières paroles avaient été : « La religion doit demeurer un moyen qui permette aux gens de se dire : Je ne suis pas tel que je voudrais être. En aucun cas, elle ne doit conduire à l’union des autosatisfactions. »