On se plaît à penser que Bomoko comprenait le sens prophétique des mots : « Que portent les institutions. » Quatre-vingt-dix générations plus tard, la Bible C.O. et les Commentaires s’étaient répandus dans tout l’univers religieux.
Lorsque Paul-Muad’Dib posa la main droite sur le mausolée de pierre abritant le crâne de son père (la main droite de celui qui est béni et non la main gauche du damné) les paroles qu’il prononça provenaient directement du « Legs de Bomoko » :
« Vous qui nous avez défaits, dites-vous que Babylone fut abattue et ses œuvres dispersées. Pourtant, je vous le dis : l’homme est encore en jugement, chaque homme est une petite guerre. »
Les Fremen disaient de Muad’Dib qu’il était pareil à Abu Zide dont la frégate défiait la Guilde et pouvait aller là-bas puis revenir. Là-bas, dans la mythologie fremen, est le pays de l’esprit-ruh, l’alam al-mithal où toute limitation disparaît.
On voit évidemment le rapport avec le Kwisatz Haderach. Le Kwisatz Haderach qui était l’aboutissement du programme de sélection de la Communauté Bene Gesserit représentait « le raccourcissement du chemin » ou « celui qui peut être en deux endroits simultanément ».
Mais ces deux interprétations sont directement issues des Commentaires : « Quand la loi et le devoir religieux ne font qu’un, le moi enferme l’univers. »
De lui-même, Muad’Dib disait : « Je suis un filet dans la mer du temps, entre le passé et l’avenir. Je suis une membrane mobile à laquelle aucune possibilité ne peut échapper. »
Ces pensées n’expriment qu’une seule et même chose que l’on retrouve dans le kalima 22 de la Bible C.O. qui dit : « Qu’une pensée soit ou non exprimée, elle demeure une chose réelle et elle en a les pouvoirs. »
Mais ce sont les propres commentaires de Muad’Dib, dans « Les Piliers de l’Univers » tels qu’ils furent interprétés par ses fidèles du Qizara Tafwid qui révèlent ses dettes à l’endroit de la C.I.Œ. et des Fremen-Zensunni.
Muad’Dib : « La loi et le devoir ne font qu’un ; qu’il en soit donc ainsi. Mais souvenez-vous de ces limitations – car vous n’êtes jamais pleinement conscients. Car vous demeurez immergés dans le tau commun. Car vous êtes toujours moins qu’un individu. »
Bible C.O. Formulation identique (Révélations 61.)
Muad’Dib : « La religion participe souvent du mythe du progrès qui nous protège des terreurs de l’avenir incertain. »
Commentaires de la C.I.Œ. : Formulation identique. (Le Livre d’Azhar attribue cette sentence à l’écrivain du Ier siècle, Neshou.)
Muad’Dib : « Si un enfant, une personne non éduquée, ignorante ou folle provoque des troubles, la faute en incombe à l’autorité qui n’a pas su prévoir et prévenir ces troubles. »
Bible C.O. : « Tout péché peut être expliqué, au moins en partie, par une mauvaise tendance naturelle qui est une circonstance atténuante acceptable par Dieu. » (Le Livre d’Azhar fait remonter l’origine de cette sentence à l’ancienne Taurah.)
Muad’Dib : « Tends ta main et prends ce que Dieu te donne ; et quand tu seras rassasié, remercie le Seigneur. »
Bible C.O. : Paraphrase de sens identique. (Attribuée sous une forme légèrement différente au Premier Islam par le Livre d’Azhar.)
Muad’Dib : « La tendresse est le début de la cruauté. »
Kitab al-Ibar des Fremen : « Le poids d’un Dieu de douceur est effrayant. Dieu ne nous a-t-il pas donné le soleil brûlant ? (Al-Lat) Dieu ne nous a-t-il pas donné les Mères d’Humidité ? (les Révérendes Mères) Dieu ne nous a-t-il pas donné Shaitan ? (Satan, Iblis) Et, de Shaitan, n’avons-nous point reçu la souffrance de la vitesse ? »
(Cela est à l’origine de la maxime fremen : « De Shaitan vient la vitesse. » En effet : Pour chaque centaine de calories produites par l’exercice [la vitesse] le corps dégage six onces de sueur. Le mot fremen pour la sueur est bakka, assimilé à larmes, et se définit par : « L’essence de vie que Shaitan extrait de votre âme. »)
L’arrivée de Muad’Dib est qualifiée de « religieusement opportune » par Koneywell. Comme Muad’Dib le dit lui-même : « Je suis ici ; donc… »
Cependant, pour comprendre l’impact religieux de Muad’Dib, il est absolument nécessaire de ne jamais perdre de vue un fait : les Fremen étaient un peuple qui habitait le désert et qui, depuis longtemps, s’était habitué à un site hostile. Le mysticisme apparaît facilement lorsque chaque seconde de vie est gagnée en luttant. « Vous êtes là ; donc… »
Avec une telle tradition, la souffrance est acceptée, peut-être comme un châtiment inconscient, mais acceptée tout de même. Et il faut noter que les rites fremen libèrent presque complètement des sentiments de culpabilité. Ce n’était pas seulement parce que la loi et la religion ne faisaient qu’un, confondant désobéissance et péché. Il serait plus vrai de dire que les Fremen se purifiaient eux-mêmes de toute culpabilité parce que leur existence quotidienne nécessitait des jugements brutaux, voire radicaux qui, dans un milieu plus favorable, auraient chargé ceux qui les appliquaient d’un sentiment de culpabilité intolérable.
Et cela, sans doute, contribua en grande partie au développement de la superstition, si importante chez les Fremen (même sans tenir compte des implantations de la Missionaria Protectiva). Quelle importance cela a-t-il que vous deviez lire un présage dans le sifflement du sable ? Faire le signe du poing au lever de la Première Lune ? La chair d’un homme lui appartient et son eau appartient à la tribu. Le mystère de la vie n’est pas un problème à résoudre mais une réalité à vivre. Les signes et les présages vous aident à ne jamais l’oublier. Et parce que vous êtes ici, parce que vous avez la religion, la victoire ne saurait vous échapper.
Ainsi que le Bene Gesserit l’enseigna durant des siècles avant de se heurter aux Fremen :
« Quand la religion et la politique voyagent dans le même équipage et que cet équipage est conduit par un homme saint (baraka), rien ne peut l’arrêter. »
APPENDICE IIIRapport sur les buts et motivations du Bene Gesserit
Ce qui suit est extrait de la Somme préparée par les agents de Dame Jessica à sa requête à la suite de l’Affaire d’Arrakis. La sincérité de ce rapport lui confère une valeur qui transcende largement l’ordinaire.
Durant des siècles, le Bene Gesserit agit sous le masque d’une école semi-mystique tout en poursuivant un programme de sélection parmi les humains. Pour cette raison, nous tendons à lui accorder plus d’importance qu’il n’en mérite apparemment. L’analyse de son « jugement de fait » sur l’Affaire d’Arrakis révèle l’ignorance profonde de l’école quant à son propre rôle.
On peut certes faire valoir que le Bene Gesserit ne pouvait examiner que les faits dont il disposait et n’eut jamais directement accès à la personne du Prophète Muad’Dib. Mais l’école avait surmonté des obstacles bien plus importants et son erreur n’en apparaît que plus grave.
L’objectif du programme bene gesserit était l’apparition d’un être appelé le « Kwisatz Haderach », ce qui signifie : « Celui qui peut être en plusieurs endroits à la fois. » En termes plus simples, ce que désirait le Bene Gesserit, c’était un humain dont les pouvoirs mentaux lui permettraient de comprendre et d’utiliser des dimensions d’ordre supérieur.