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— En route !

Toujours en route ! Comme des soldats en campagne. D’ailleurs ne sommes-nous pas des troufions, dans notre genre ? De pauvres bougres de guerriers harassés qui se déplacent lamentablement !

Ventru balbutie :

— Qu’est-ce que je fais du chose… dans mon Frigidaire ?

— Ah oui, le pied, c’est vrai. Faites-le paner, conseillé-je.

Et nous le laissons à son ahurissement.

* * *

C’est la môme Marthe qui rouscaille lorsqu’elle est de nouveau tirée des toiles par un coup de sonnette maison. Seulement, quand elle voit qu’il s’agit de son poulardin adoré, elle frémit du valseur, je vous le garantis !

— Je vous ai préparé le 4, me dit-elle…

— Merci, beauté !

Mes hotus grimpent l’escadrin misérablement. Ils ne peuvent quasiment plus se tenir droits.

— Tu sais pas, bredouille Béru… Tu sais pas ?

— Vas-y, je t’écoute.

— Si t’étais un chef digne de ce nom, San-A., tu nous ferais grimper une bouteille de champagne en guise de biberon… C’est un reconstituant. Ça fait longtemps que j’en ai pas liché et…

— Entendu, Béru !

Comme vous devez le prévoir, dix minutes plus tard y a une charmante personne du sexe féminin qui vient faire un solo de mandoline sur ma porte.

— Entrez !

Elle s’est parfumée à neuf, Marthe. Et elle a rechargé son rouge à lèvres. De plus, elle a enfilé une chemise de nuit au décolleté fantastique qui doit lui servir dans les grandes occases, pour les réceptions officielles, je suppose.

Je réprime un soupir. Très entre nous, je préférerais ronfler un peu ; seulement, quand une dame vient, dans cette tenue, vous demander si vous n’avez besoin de rien, on ne peut pas l’envoyer chez Plumeau se faire cuire deux œufs…

Alors quoi, je rouvre le magasin ; et on fait l’inventaire ! Elle me prend en solde un dénoyauteur de prunes à changement de vitesse ainsi qu’un gentil appareil à déboucher les éviers. Et moi, bon cœur, je lui montre la façon de s’en servir, bien qu’elle ait déjà certaines notions de la chose.

* * *

Je roupille comme un brave petit bonhomme et je rêve à la décollation de Louis XVI lorsque Marthe me secoue en riant.

Elle est déjà fringuée en soubrette, il fait jour, elle rit et je me sens parfaitement reposé.

Ayant pris conscience de tout ça, je me mets sur un coude.

— Qu’est-ce que c’est ? fais-je.

— On vous appelle au téléphone.

— Qui ça ?

— M’sieur Ventru.

— Bon, j’y vais. Quelle heure est-il ?

— Neuf heures, petit paresseux !

Grande couenne ! La voilà qui se croit obligée de faire des simagrées parce qu’elle a eu droit à ma bénédiction urbi et orbi !

Je saute de mon lit dans mon falzar et je descends à tombereau ouvert jusqu’à la caisse où le patron commence à souiller du papier blanc avec des chiffres.

— Allô !

— Monsieur le commissaire ?

— Oui.

— Pouvez-vous venir tout de suite à l’usine, la gendarmerie est ici…

— La gendarmerie ?

— Oui. Il y a du nouveau. On vient de retrouver M. Réveillon.

J’ai une sorte de vertige. Tout bascule.

— Comment, on vient de le retrouver…

— Il n’est pas mort ; mais il est très affaibli… Il se trouvait dans un des anciens blockhaus de la côte… Vous voyez, ça n’est donc pas lui qui…

— J’arrive.

Jamais un type, fût-il Frégoli, ne s’est loqué aussi vite que moi.

Vingt minutes plus tard, je fais dans le bureau du Ventru une entrée des plus remarquées.

Il y a là un lieutenant de gendarmerie. Pas du tout le genre moustachu-scrongneugneu, mais un fort beau garçon casqué de blanc, avec un manteau de cuir, des pantalons bleus et des lunettes de motocycliste en bandoulière. Il rectifie la position.

— Cher commissaire.

On se serre un tas de phalanges et il explique :

— Cette nuit des amoureux se promenaient le long de la côte du côté du Touquet… Ils ont voulu rechercher un petit peu d’intimité — vous voyez ce que je veux dire ? (je vois très bien, merci, et vous ?) — dans un des anciens fortins qui jalonnent le littoral… Ils ont perçu des gémissements et ont découvert un homme ligoté… Il s’agit de M. Noël Réveillon, le propriétaire de la fabrique…

Je m’assieds et j’allume une cigarette destinée à suppléer au petit déjeuner que je n’ai pas pris.

— Ensuite ? dis-je sèchement.

L’officier de gendarmerie hausse les épaules.

— Les amoureux nous ont prévenus. J’ai noté d’ailleurs leur identité. Nous sommes allés récupérer M. Réveillon, lequel se trouve dans un état d’inanition effrayant… Je l’ai fait conduire à l’hôpital de Montreuil… Je n’ai guère pu le questionner, car il peut à peine parler… Pourtant il a balbutié : « Lathuil, Boulogne », avant de sombrer dans le coma…

Je me dresse.

— Conduisez-moi à l’hôpital, lieutenant…

Ventru m’implore des yeux.

— Je… Je n’ai pas encore parlé du…

Je lui adresse un geste agacé.

— Je m’en occupe !

À cet instant, le téléphone sonne. C’est l’Hôtel de la Manche qui m’appelle. Magnin a essayé de m’y téléphoner, il fait dire que je le sonne au plus vite.

Je demande Paris. Le lieutenant de gendarmerie joue un petit air de musette sur la vitre du bureau. Ventru, plus vert qu’un wagon de deuxième classe, est affalé à son bureau, brisé par l’émotion et l’angoisse. Il fait peine à regarder.

— Allô, Magnin ?

— Ah ! c’est vous, patron… J’ai du nouveau…

— Moi aussi… Commence !

— J’ai retrouvé Mme Réveillon.

— Et moi, j’ai retrouvé son mari… Ça compense.

— Pas possible !

— Si !

— Vivant ?

— Encore un peu, à ce qu’on raconte, et elle, où était-elle ?

— À son domicile !

— Sans blague ?

— Oui. Je m’y suis rendu hier soir… Elle était rentrée. Je l’ai amenée au bureau pour la questionner, mais elle jure qu’elle n’a rien à dire. Tout ce qu’elle sait faire, c’est croiser ses jambes pour me faire voir jusqu’où montent ses bas, ça devient intenable, je suis pas en bois, mais en acier !

Je rigole.

— Bon, retiens-la encore et ne succombe pas à la tentation. Un bon flic doit savoir contrôler ses bas instincts.

Il rigole, ce qui en dit long sur ce qu’il pense de moi. Là-dessus, je raccroche.

— Je suis à vous, lieutenant.

* * *

Si on se met à récupérer tous les manquants, maintenant, ça va boomer. Seulement, une grave question se pose et se repose à moi.

Si Réveillon est vivant, qui donc figure dans les boîtes de conserve ? J’ai été stupide de ne pas ouvrir toutes boîtes. On aurait déniché la tronche du gars et ainsi connu son identité. Mais j’étais tellement certain d’avoir affaire à l’industriel ! J’aurais pu, également, explorer les autres blockhaus. Ce qui prouve que dans ma profession, il ne faut jamais rien laisser au hasard.

Un Japonais se ferait le rat qui rit (comme répète toujours l’éminent Bérurier).

Nous pénétrons dans la chambre du malade. Je fais alors connaissance avec celui que je croyais défunté. Réveillon est prostré sur son lit. Un tube de caoutchouc le fait communiquer avec une énorme ampoule de sérum. Il a les yeux clos, les joues caves, le regard enfoncé… Il respire lentement…