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— Merci, cher commissaire, murmure-t-elle. Je suis tellement désemparée lorsqu’il n’est pas là… Si vous saviez…

La v’là qui se met à me convoiter d’un œil libidineux. J’en ai des frissons dans l’épine dorsale. Je m’imagine étreignant ce tas ! L’Annapurna ! Comment qu’il pratique, le coiffeur ? Il doit s’encorder, c’est pas possible autrement. Ou alors il fait l’amour à la fusée téléguidée !

— Il reviendra, promets-je.

— Je suis si seule…

Elle fait un pas vers moi. Je jette un regard de détresse en direction de la fenêtre. Dieu soit loué, elle est ouverte ! Le cas échéant, je pourrais escalader la barre d’appui. Je sais bien que nous sommes au troisième étage, mais entre deux périls il faut choisir le moindre, pas vrai !

Je mate ma tocante.

— Il n’y a pas une minute à perdre…, dis-je. Je vais immédiatement prendre les dispositions qui s’imposent…

C’est cassant comme du verre filé. Elle file également[5].

Lorsqu’elle a évacué son mauvais lard, j’allume une cigarette, manière de chasser les mauvaises odeurs de ma narine.

Puis je décroche l’interphone.

— Donnez-moi Pinaud !

L’homme à la moustache en queue de rat susurre un « Allô » qui donnerait sommeil à un mouton.

— Amène-toi, décombre ! J’ai un turbin pour toi…

— Tout de suite ? pleurniche-t-il.

— Oui. Qu’est-ce que tu fais ?

— La belote, avec Plumier. Et je gagne !

Y a des moments où j’aimerais lui arracher les yeux avec une fourchette à escargots.

— Tu radines, oui ?

Je raccroche. Deux minutes plus tard, M. Pinaud, dit Pinuchet, dit Lapine, dit Pinauderu toque humblement à mon huis. Je l’invite à pénétrer dans le local qui m’est affecté en qualité de bureau. Et il obtempère d’une démarche furtive d’employé de pompes funèbres venant prendre les mesures d’un decujus.

Il cligne ses yeux chassieux, passe un doigt en deuil par l’échancrure de sa chemise, soulève la serpillière qui lui tient lieu de maillot de corps et se met à gratter la cavité de son nombril lequel n’a pas été nettoyé depuis le jour de son mariage.

— Tu m’as demandé ?

— Oui, dis-je. Et quand je te considère, je me demande à quelle intention. Tu ressembles à un animal conservé dans du formol.

Entre ses cils (comme dirait Mme Sorel) passe une lueur de désespoir.

— C’est pour me dire ça que tu me fais venir ? demande-t-il d’une voix pareille à celle qui sort d’un phonographe à pavillon. Au moment où t’as appelé, San-A., j’avais un carré de neufs en main, plus une tierce à pique… Au valet ! Et c’était Plumier qui y allait ! Alors comme je jouais pour cent vingt…

Il essuie la commissure de ses yeux et exhale un soupir qui attendrirait un durillon.

— Quel enjeu, la partie ?

— Cinquante francs ! s’exclame-t-il.

Je lui balance une pièce de cent balles.

— V’là à titre de dommages de guerre, Pinaud… Maintenant ouvre grand tes porte-bada, j’ai une mission délicate à te confier…

Satisfait, il empoche la pièce argentée, entièrement en fer-blanc, comme seul en émet le Trésor français (si j’ose cette formelle contradiction).

— De quoi s’agit-il ?

Je lui narre par le menu les visites de ces deux dames à la recherche de leurs maris.

— Je pense qu’il y a du louche dans tout ça, décrète Pinaud.

— Merveilleusement raisonné ! approuvé-je. Maintenant, tu sais ce qu’il te reste à faire ?

— Tu veux que je retrouve Réveillon et Béru ?

— Exactement. Fais vite, car je commence à trouver ça locdu !

Pinaud remonte la tirette de ses bretelles et rajuste son nœud de cravate. Il se gratte une dernière fois le nombril, boutonne sa veste, sa braguette et remonte sa montre.

— Je suis prêt, annonce-t-il enfin. Je vais faire la lumière sur cette affaire.

Ce disant, il enflamme l’ignoble cigarette roulée par ses soins et met le feu à sa moustache. Une pénible odeur se répand dans le bureau.

— L’extincteur est dans le couloir, lui dis-je en lui montrant la lourde.

Il va pour franchir le seuil. Je le retiens.

— Pinuche !

— Oui ?

— Où que tu sois, quoi que tu fasses, je veux, tu m’entends, je veux que tu me téléphones ! Et deux fois par jour, compris ?

— Cela va de soi…

Il sort.

* * *

Ceux qui prétendent que les proverbes mentent se mettent le doigt dans l’œil jusqu’à la synoviale prérotulienne.

Venez me trouver et dites-moi que « Jamais deux sans trois » c’est de la gnognote, vous serez bien reçus.

Car voilà qu’après Réveillon, le roi de la mise en boîte, qu’après Bérurier, l’empereur de la connerie, Pinaud, le pape du gâtisme, disparaît à son tour exactement comme s’il s’agissait d’une vulgaire fusée américaine.

Le soir du jour où je l’envoie sur le sentier de la guerre, j’attends en vain le coup de tube promis. Silence complet ! Les dames de ces messieurs, au nombre de trois maintenant, me tubent sans relâche pour avoir des nouvelles des chers disparus. Le Vieux se met de la partouze ; car il a eu vent de l’affaire (ce mec a plus d’antennes qu’un poste émetteur). Il me somme de récupérer d’urgence les intéressés. J’ai droit à un savon à côté duquel les produits Palmolive font figure de parents pauvres. Bref, c’est la grosse pétouille et je regrette un tantinet d’avoir été sensible au charme de Mme Réveillon.

Y a pas, faut que je m’occupe de ça dare-dare.

Si le présent ouvrage s’arrête là, les mecs, c’est que j’aurai disparu à mon tour. Auquel cas il ne faut pas m’en vouloir : d’habitude, c’est vous qui n’en revenez pas !

CHAPITRE III

Hum !

Midi dégouline des clochetons de Passy lorsque ma tire stoppe devant la crèche des Réveillon.

Maison plutôt sensas, mes agneaux… Deux étages, tout en pierre de taille (et de taille respectable) ; grille en fer forgé, baie vitrée, maison du gardien, gazon, chiens de race, eau sur l’évier ! Bref, le gros bidule pour M. Bourré-d’Oseille.

Avec les frais d’entretien d’une journée, on pourrait envoyer votre petit frère le tubar deux ans à la montagne ! Y en a qui renaudent contre ça, moi pas. Les zigs pleins aux as donnent un sens à la vie de ceux qui sont raides ! Qui auraient-ils envie de buter, les paumés, si les grossiums n’étaient pas là, avec leur Cadillac nickelée, leur foie bouffé par le scotch et leurs tableaux de Buffet… Sacré Buffet, va ! Dire que des veinards en ont gagné un à je ne sais plus quelle loterie jeannohaine ! Ils avaient bonne mine, les chéris… Eux qu’avaient passé leur enfance devant le calendrier des Postes ! En fait de Buffet, ils auraient préféré en avoir un vrai, pas un Bernard : un Henri II pour la salle à manger… Dessus, ils y auraient mis une vraie œuvre d’art : un Pierrot de plâtre doré jouant de la mandoline, ou bien la photographie en couleur de Brigitte Fardeau découpée dans un vieux numéro de Ciné-Revue.

Mais pour l’éclat de l’émission, fallait de l’extraordinaire… Un Buffet, c’était plus commode. Voilà pourquoi dans une banlieue de Paname, il existe un Bernard Buffet dans les gogues… Un bernard-l’ermite en quelque sorte ! Paraît que ça aide ! On n’avait rien trouvé de mieux depuis les pilules Miraton.

Je vrille un index décidé dans l’alvéole de la sonnette tout en sifflotant l’hymne bien connu : Et l’on s’en fout d’attraper l’alvéole !

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5

Vous ne direz pas que je n’ai pas le sens du raccourci.