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— Puis-je téléphoner ?

Elle ouvre la porte d’un secrétaire en palissade (comme dit Béru) et me découvre un poste téléphonique. Je compose le numéro de la Routière et je me fais connaître.

— Avez-vous des nouvelles d’une Chevrolet noire immatriculée 2612 FA 75 ? je demande…

Le préposé répond :

— Toujours pas, commissaire.

— On vous a déjà posé la question ?

— Oui, deux de vos assistants… Nous avons pris des mesures d’exception, en vain !

— Qu’appelez-vous mesures d’exception ?

— Les frontières. Contrôle dans tous les postes pour rechercher la trace d’un triptyque ou d’un volet de carnet de passage de cette voiture : zéro. Nous avons relevé les numéros de toutes les voitures accidentées en France depuis samedi dernier : rien ! Enfin celui de l’auto en question a été diffusé partout, comme dans les cas d’urgence… Jusqu’à présent, cette bagnole n’a été repérée nulle part. C’est à croire qu’il lui a poussé des ailes et qu’elle s’est envolée !

Il se fend la tronche, heureux de cette image dont je vous laisse apprécier toute l’originalité et la secrète poésie.

Je lui demande de me bigophoner à la Grande Cabane dès qu’il aura du nouveau et je raccroche.

Cette fois, nous atteignons le centre du mystère. Que des bonshommes s’évaporent, passe encore. Mais qu’un tombereau de deux tonnes disparaisse sans laisser fût-ce une trace de fumaga, voilà qui me paraît relever de Bénévol plus que de toute autre chose.

— Qu’en pensez-vous ? me demande la chère petite meudème Réveillon.

Elle est assise dans un fauteuil profond comme une pensée de Breffort, avec les jambes croisées, et je mate le cheminement de la couture de ses bas. J’imagine leur terminus et je continue en deçà dans des régions mystérieuses. Aventureux, le gars San-A. Toutes les dames vous le diront.

Toujours le piolet à la main !

Elle redemande, patiente :

— Qu’en pensez-vous ?

Et bibi de hausser les épaules.

— Il est un peu tôt pour me faire une opinion, chère madame… Le mieux est de démarrer de Montreuil, puisque c’est là-bas qu’on a vu la voiture pour la dernière fois… À partir de maintenant, je vais chercher une auto, c’est plus gros qu’un homme.

Elle décroise ses jambes. Ce que j’ai le temps d’apercevoir fournit un support à ce que j’imaginais.

— Monsieur le commissaire ?

— Madame ?

— Je voudrais vous demander une faveur…

— Elle vous est accordée d’avance, madame…

— Merci. Je voudrais partir avec vous à Montreuil. Je n’en peux plus à force d’énervement. Je me morfonds ici !

Curieuse demande. C’est bien la première fois de ma carrière de royco que l’épouse d’un disparu me demande de participer à l’enquête. L’offre est tentante. Je me vois très bien au volant de ma calèche avec cette petite déesse à mes côtés…

Une femme comme ça au bras, et une cravate neuve au cou, on doit avoir l’air de quelqu’un…

— Je vous en supplie, acceptez…

— Eh bien, mon Dieu, j’accepte !

— Oh ! merci !

Elle se lève, vive, joyeuse, le feu aux joues (en attendant qu’il se déplace).

— Je cours me préparer une valise !

J’en suis baba. Une valise ! Qu’est-ce qu’elle croit, la chérie ? Que nous partons en voyage de noces ?

Pourtant je ne la dissuade pas.

— Pendant ce temps, je vais faire un tour à ses bureaux ; c’est rue Lesueur, n’est-ce pas ?

— Oui.

— À tout de suite… J’en ai pour une petite heure.

— Je vous attends !

Est-ce une illusion ? Mais j’ai senti dans sa voix des inflexions troublantes, troublées… Quelque chose de suave comme un coucher de soleil sur la Méditerranée, ou comme la plainte d’une fille renversée (non par un autobus, mais par son conducteur).

Je m’esbigne. Drôle d’aventure. Vous qui me connaissez, vous êtes d’accord : jamais une affaire n’a démarré de cette façon, hein ?

* * *

Les bureaux des conserves Réveillon occupent un étage dans un immeuble cossu. La porte est en verre et, dessus, en guise de raison sociale, on a dessiné une boîte de sardines… Le nom de Réveillon s’inscrit sur la boîte, en caractères dorés… Voilà qui est beau, élégant, et efficace…

J’entre et je me trouve dans un vaste local neuf coupé en deux par un comptoir de verre. C’est fou ce qu’il aime le verre, M. Réveillon (aux chandelles).

Derrière ce comptoir, une pléiade de jolies filles joue en chœur « Votre honorée du 10 courant » au clavier universel.

J’interpelle la plus chouïa : une blonde avec des yeux comme Rita Avorte et des seins qui se gonflent à la bouche.

— Pourrais-je parler au directeur ?

— De la part ?

— Commissaire San-Antonio.

Mon blaze chanstique la volière.

Les beautés clapoteuses se poussent du coude, gloussent comme un troupeau de dindes et me distribuent des œillades qui flanqueraient le tricotin à un conclave.

La blonde décroche le bigophone.

— Le commissaire San-Antonio demande à vous voir, fait-elle.

Un crachotement dans la tubulure. Elle raccroche.

— M. Montesquieu va vous recevoir dans un instant, il a quelqu’un dans son bureau…

J’opine.

CHAPITRE IV

Curieux

Lorsque les pécores du bureau ont bien fait leurs simagrées : se repeignant la vitrine, remuant du valseur, décochant des œillades assassines comme le font toutes les femmes jeunes et c… lorsqu’un beau gars[7] croise dans leur secteur, le directeur des conserves Réveillon consent enfin à me recevoir.

Son bureau est attenant à la grande salle des secrétaires. La première chose que je constate de mon œil de faucon, c’est que l’unique issue de cette pièce donne dans le grand bureau et que, par conséquent, n’ayant vu sortir personne, je peux en déduire que le diro m’a berluré en prétendant qu’il avait quelqu’un dans sa carrée, you see ?

Faire poireauter le poulardin qui sollicite une entrevue, c’est son droit le plus absolu, pourtant vous ne m’empêcherez pas d’en concevoir quelque humeur, c’est humain, puisque je suis ce poulardin poireauteur.

Le zouave en question s’appelle Montesquieu. Il a un nom très connu car ça fait deux générations qu’il est dans les conserves. Il a en outre une soixantaine d’années, ce qui lui permet de se déclarer sexagénaire ; et, déformation professionnelle sans doute, il est bien conservé pour son âge.

Il ressemble à un manager de boxe américain : courtaud, trapu, les cheveux blancs, très drus, et un mégot de cigare coincé dans les prémolaires… La commissure de ses lèvres est brunie par la nicotine.

Il me regarde entrer, debout derrière son burlingue d’acajou en imitation chêne, comme le principal d’un collège qui a mandé un élève indiscipliné.

— Enchanté, bougonne-t-il, d’un ton qui dément formellement cette affirmation.

Il me montre un fauteuil comme s’il espérait que je sorte un marteau de ma fouille pour le réparer.

— Je me doute de ce qui vous amène… Quelle histoire, croyez-vous ! C’est inouï ! Invraisemblable, stupéfiant !

Il stoppe, à court d’épithètes.

— J’ai prétendu jusqu’ici que M. Réveillon était en voyage, mais on commence à me regarder d’un drôle d’air. Les mauvaises nouvelles vont vite, je ne vous apprends rien.

— En effet !

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7

Je ne suis pas l’Apollon du Réverbère ; mais peu s’en faut. En tout cas, je peux vous dire que si je me carrais à poil sur un socle, y aurait du monde qui défilerait, à commencer par les jeunes filles des écoles !