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— Avec une joie sans mélange, ma chérie.

Je lui chope une aile et l'entraîne vers une brasserie assez proche pour ne pas être trop éloignée. Au passage je mate les roulottes. Tout le monde parait vouloir récupérer les émotions de la nuit. Les volets de Mme Cavaleri sont clos, de même que ceux des Exabrutos et des Voma-Rango.

Il n'y a que la gentilhommière à roulettes de Nivunikônu qui fume déjà. Le prestidigitateur en fait autant sur son perron.

— La première de la journée ? je lui dis.

Il étend la main tenant la cigarette et « vloff » celle-ci disparait. Nivunikônu s’approche de moi et la ressort de la poche intérieure de mon veston.

— Excusez-moi de ne pas applaudir, dis-je, mais j'ai les mains occupées !

Il a un sourire blasé. Ce gnace-là, il se prend pour ce qu'il y a de mieux sur terre. Je vous parie la lune contre la paix de votre belle-mère que lorsqu'il visite le Panthéon il cherche machinalement son tombeau. Pour vous situer le julot, figurez-vous que l'extérieur de sa roulotte est tapissé avec ses portraits. Il les accroche sur les parois du véhicule au réveil et alors, le plus grave c'est lui qui les peint. Il se brosse en mage, en hypnotiseur.

— Je ne peux pas souffrir ce type, confie miss Muguet. C'est un vieux cochon. Toutes les fois qu'il peut me coincer dans un coin sombre, il s'amuse à faire disparaitre des trucs qu'il récupère ensuite dans mon soutien-gorge ou sous mes jarretelles.

Je souris.

— L'astuce est bonne, apprécié-je. Faudra qu'un de ces quatre je m’exerce à la manipulation. M’est avis que je suis doué.

On s'installe à une table discrète et, d'autorité, la dompteuse d'éléphant me file ses jambes entre les miennes.

— Vous êtes un homme très secret, me dit-elle.

— Pourquoi, trésor chéri ?

— Pour rien, fait-elle en prenant maintenant un air d'en avoir trois.

J'aime pas beaucoup ces vannes vaselinées. Je demande un journal au loufiat.

— Du jour ? me demande-t-il, mais en italien.

— Oui, lui réponds-je, c'est pour manger.

Il s'annonce avec l'édition spéciale du baveux du dimanche. C'est à regret qu'il me le confie biscotte il était en train de lire le compte rendu de la rencontre de boxe Belladextre-Bogoche comptant pour le championnat toute catégorie grosse cylindrées.

Je referme le baveux afin d'obtenir sa première page. Deux titres en caractères d'affiche électorale y flamboient : « l’assassin du cirque fait coup double » et « Le Musée Blennoradgi cambriolé cette nuit ». Alors, là, mes agnelets, j'en prends plein mes cellules à valves sédimentaires.

Je me jette sur l'article comme le clergé sur l'Avé Rol. Je lis le sous-titre : « Les visiteurs se sont emparés d'un tableau de Raphaël représentant François 1er au téléphone. L'une des meilleures toiles du Maître après celle d'Emery. » En substance, l'article dit qu'on ignore tout de la façon dont le cambrioleur s'est introduit dans le musée. Aucune porte n'a été fracturée, ni aucune tronche de gardien. Le vol a été constaté à trois heures of the morning par le conservateur du musée Blennoradgi, le signor Tuttiquanti qui avait ce soir-là des invités de marque (et même de marks, puisqu'ils étaient Allemands) auxquels il voulait faire admirer le fameux Raphaël. Rappelons au passage qu'il s'agit d'une toile de l'époque blanche et que les Raphaël blancs sont les plus rares. C'est au cours de cette visite nocturne que le signor Tuttiquanti découvrit le larcin (en italien larcino). Il ameuta aussitôt la garde. On procéda à des vérifications, mais sans résultat. La veille à dix-huit heures, le tableau se trouvait dans la galerie. A trois heures du matin il ne s'y trouvait plus. That's all.

En conclusion, le rédacteur du journal dit qu'il s'agit d'un méfait de l'Arsène Lupino des musées qui vient de sévir en France ; ce que, personnellement, je suis bien porté à croire.

Miss Muguet a ligoté par-dessus mon épaule. Mais elle, c'est le papier consacré aux meurtres qu'elle s'est farci, et c'est bien normal.

— Croyez-vous que le meurtrier appartienne au personnel de notre cirque, comme la police a l'air de croire ? demande-t-elle.

— C'est possible, fais-je.

Et je passe à l'article en question. La fin surtout m'intéresse. Le rédacteur conclut par « Notre cœur se serre à la pensée que ces deux admirables artistes que nous avions applaudis la nuit précédente, au Torticoli, sont rayés du nombre des vivants. »

Je repousse le canard, songeur.

— Votre café refroidit, darling, dit la gosse qui parle plusieurs langues.

Je le bois.

— Si nous allions faire un petit tour en ville ? propose-t-elle langoureusement en glissant sa menotte dans ma paluchette.

— Pas ce matin, fais-je.

Elle se rembrunit.

— Et pourquoi ?

— Parce que je dois aller à l'office, c'est dimanche.

— Je vais à la messe avec vous !

— Mais ce n'est pas à un office catholique que je me rends, belle-amoureuse-aux-seins-exaltants, j'appartiens à la religion Numismate et seuls sont admis aux offices ceux qui ont été investis du grand Troglodyte granulé. C'est draconien, mais c'est comme ça.

La revoilà boudeuse, miss Chochote.

— Décidément, grince-t-elle, je finirai par croire que je ne suis pas votre genre !

— En voilà une drôle d'idée, ma dompteuse adorée, j'adore tout ce qui touche à l'éléphant, depuis ses défenses à la Vauban jusqu'à la charmante personne qui leur fait lever la trompe !

Un baiser dans le cou ratifie cette solennelle affirmation.

— Surtout pas de complexes, ma beauté. Nous connaîtrons l'un et l'autre des minutes passionnées et ça ne m'étonnerait pas que nous les connaissions ensemble.

Là-dessus, nous regagnons le campement où la poulaille sévit en cette matinée dominicale. M. Barnaby joue les Charles-Quint (il est dans tous ses Etats). Il déclare que c'est lui-même personnellement en chair et en os qui remplacera les Grado's en exécutant le numéro de ses débuts qui consiste à manger du feu. Mon Béru a le teint plombé comme un wagon chargé d'or.

Il dédaigne le petit déjeuner, ce qui ne laisse pas que de m'inquiéter. Je lui propose de mander un toubib, mais il refuse, alléguant qu'il ne s'agit là que d'une indisposition très passagère.

— Ecoute, Bibendum, lui dis-je, moi j'ai du boulot. C'est donc toi qui vas surveiller la Lancia.

— Et quoi t'est-ce que je dois faire ? s'inquiète le Mastar.

— Nous allons faire déplacer notre roulotte de façon à ce qu'elle soit garée près de l'auto et tu mates toute personne qui ira regarder à l'intérieur de la Lancia blanche sera suspecte. Par conséquent tu devras l'alpaguer en souplesse et la faire patienter en attendant mon retour, d'ac ?

— C'est parti, soupire le Gros.

Je vais chercher le chef de la traction et je lui explique que nous aimerions changer de place vu que nous sommes trop près des lions et que leurs bâillements donnent de l'aérophagie à mon collègue. Le gars opine et va chercher son tracteur pour manœuvrer. Pas de problo. Moi, San-A, je me tire et je mets le cap sur le Torticoli, la boite de tantes de la ville.

L'établissement se trouve via Mala, derrière la gare, exactement vers le dépôt des fourgons de queue. Lorsque je radine, il est vide naturellement et deux garçons jouent la garçonne. L'un est blonde, l'autre est rousse. Elles sont jeunes et jolies tous les deux. A mon arrivée, ils balaient la piste de danse. Travail en musique pour ces jeunes filles. Les garçons ont mis sur le plateau du tourne-disques un bougie-bougie intitulé « La balle, la layette dans le train ». Ma venue les trouble et les fait sourciller.

— C'est fermé, signor, m'avertit la rousse.