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— Je sais, dis-je, aussi n'est-ce pas pour boire que je suis venu.

Le blondinet se remet du rouge à lèvres et demande en s'approchant de moi, une main sur la hanche :

— C'est porqué, alors ?

Hé ! Minute, pape Pie Onze ! Si je n'y prends pas garde je vais être nommé Président à part entière de la joyeuse pédale turinoise. Vous me voyez retourner à Paris avec une jupe de tweed et du vert sur les stores, les gars ? J'ai rien contre le tweed, notez bien, mais les jupes m'ont toujours gêné pour courir.

Ça se complique du fait que ces demoiselles semblent me trouver à leur goût. Et elles en ont ! Maintenant la rousse se met de la partouze et frétille du crougnougnou comme une cane à qui on aurait greffé une plume de paon. Va y avoir du sport d'ici pas longtemps.

— Je suis un journaliste français, leur roucoulé-je. Mon journal m'envoie à propos du meurtre de cette nuit.

— Qué meurtre ?

Ils n'ont pas again ligoté the baveux.

Je leur raconte l'assassinat des Grado's et ces choutes fondent en larmes. Puis les voilà qui s'excitent, qui s'insurgent, qui se vermiffugent l'une et l'autre. Le rouquin cavale acheter le journal pour obtenir tous les détails. La blonde m'assaille de questions. Je me défends comme je peux.

— Il paraît que l'autre nuit ils sont venus faire leur numéro au Torticoli ? je demande.

— Oui, fait le blondin (il se prénomme Antoine justement) et c'était formidable. Ils étaient nus avec juste une feuille de lierre comme cache-sexe. Quand je pense à leurs beaux corps bronzés, Madre de Dio, est-ce possible une abomination pareille ? Dites, est-ce possible ?

Je peux d'autant mieux lui affirmer que c'est possible que j'ai eu le triste privilège de découvrir les cadavres.

— Dites-moi, ma chère amie, compatis-je, les Grado's n'étaient pas seuls ici, je suppose ?

— Comment cela ?

— Oui, une fois leur numéro achevé, ils sont partis avec des amis, n'est-ce pas ?

— Et vous connaissez ces derniers ?

Une brusque méfiance luit dans son œil langoureux. Elle me regarde, indécis. Il ne sait pas si elle doit me répondre. Je tire un billet de mille lires grand comme les affiches du cirque et je le fais renifler à mon joli blonde. C'est un vulnéraire qui s'administre à tous les genres. La ravissante monsieur a un sourcillement.

— Comment s'appellent les amis en question ? fais-je.

Sa main tremble. Il regarde dans la Via et voit revenir sa copine, tenant un journal déployé devant lui. Alors, prestement, il rafle le billet et murmure :

— C'est le Marquis Humberto di Tcharpinni.

— Et où habite-t-il ?

— Il a un hôtel particulier en bordure du parc Astispoumante.

— Merci very much, lui réponds-je, mais en français.

La rousse entre en pleurant sur le journal. Je laisse ces garçons épancher leur chagrin. C'est leur tournée !

Je frète un taxi (en italien Taxi) et je me fais conduire au musée Blennoradgi. Il est assiégé par la presse et par le public. Je m'approche du poulardin revêche qui en garde l'entrée et je lui déballe ma carte de police en lui expliquant que je suis un collègue français, expédié par Parigi pour établir le contact avec la flicaille de Torino. Le type me laisse passer.

La galerie où a été dérobé le Raphaël est la plus importante de l'établissement. On compte des merveilles picturales et les plus grands noms de la peinture s'y trouvent au cadre à cadre. Il y a là, entre autres merveilles : un Durloyer Massif, deux Ripolin, un Valentine, trois Cocti, un Fravolo, un Glicerofosfatedecho, un Biscotto, Giorno et quatre-vingt-douze Buffeti (de l'Henri II). L'absence du Raphaël se remarque davantage que la présence des autres toiles. Comme quoi les absents n'ont pas forcément tort. Tenez, quand vous avez trente dents, personne ne les remarque, mais à partir du moment où il vous en manque tout le monde s'en aperçoit. Le cadre vide du Raphaël disparu à l'air idiot, tout seul sur le mur blanc. Ça fait triste.

Au milieu d'un groupe de reporters, le sieur Tuttiquanti discourt et raconte comment il a découvert le larcin. Je me joins aux groupe pour esgourder. Le conservateur drôlement bien conservé pour son âge, raconte qu'aucune des portes n'a été forcée. La veille au soir, le gardien chef, le signor Grosso a fait sa tournée, s'assurant que tous les tableaux se trouvaient en place, fermant les portes et les fenêtres qui toutes ont des verrous de sécurité et veillant à ce qu'aucun voleur ne se trouve céans. Il était accompagné dans sa ronde par les gardiens Coucheplane et Siffillo.

Les trois personnages en question sont d'ailleurs présents et acquiescent avec une véhémence toute transalpine (de ce que vous voudrez). Je m’écarte du groupe pour faire une discrète et rapide inspection du musée. Ce dernier ne possède, outre les fenêtres, que deux issues : la porte principale et la porte dérobée (aussi) qui donne sur les appartements du conservateur. Les serrures sont impressionnantes. Aucune planque n'est possible car il n'y a pour tout mobilier que des bancs recouverts de moleskine. Si quelqu'un s'était planqué sous l'un d'eux, il aurait été fatalement vu. Et puis quoi : il aurait fallu que ce quelqu'un ressorte du musée avant l'ouverture ; or, M. Tuttifrutti (pardon : Tuttiquanti) est formel : lorsqu'il a constaté le vol, toutes les issues étaient verrouillées.

Voilà un nouveau mystère. S'il s'agissait d'un cas isolé, je suspecterais le conservateur, puisqu'il était le seul à pouvoir pénétrer de nuit dans cette galerie ; mais après tous les vols de tableaux survenus en France, sa culpabilité n'est guère envisageable.

Je repars aussi discrètement que je suis venu et je retourne au circus. Il est plus de midi et la première représentation du dimanche est fixée à 13 plombes 45.

La Lancia blanche est toujours à la même place.

Je fonce à notre castel et je découvre le Gravos à califourchon sur une chaise, l'œil fixant à travers une fente du volet.

— Rien de nouveau, Béru ?

— Mes choses ! répondit-il, ce qui, traduit du béruréen, signifie R.A.S.

— Personne ne s'est approché de la charrette ?

— Je te dis que non !

Il est en renaud, Son Enflure. Il a passé la matinée immobile à zieuter dans une même position et il a dés fourmis dans les mécaniques ainsi qu'un début d'orgelet à l'œil gauche (son meilleur).

— Va déjeuner, je te relève.

— Pas faim ! objecte-t-il.

Je tressaille.

— Tu dis ?

— Je dis que j'ai pas les crocs aujourd'hui, c'est français, non ? J'ai dû becqueter un truc pas frais hier.

— Tu ne vas pas pouvoir faire ton numéro ?

— Bien sur que si. Entre pas avoir faim et pas pouvoir jaffer y a une nuance, non ? Simplement je voudrais pas me charger l'estom' avant d'entrer en piste.

— T'as mauvaise mine !

— Parce que je manque d'exercice.

— Tu n'as pas l'air de…

— Nom de Dieu !

Sa Seigneurie a eu un tel sursaut que son escabelle s'est renversée.

Il lève le bras en clapant à vide.

— Tu as eu un étourdissement ? je m'inquiète.

— Non ! C'est la Lancia ! Vite ! Elle vient de démarrer !

Il n'a pas achevé sa phrase, que je suis déjà dehors.

CHAPITRE VI

Le Mastar n'a pas menti : effectivement, la Lancia blanche de feu Mme Québellaburna s’éloigne au bout de l'esplanade. J'enrage. Si au moins j'avais ma Jag ici, je pourrais la courser. Que faire ? Où aller ? Où ne pas aller ? Je mate désespérément cette tache qui s'en va. Et puis j'ai le palpitant qui fait un triple saut périlleux en arrière sans appel. Un lourd camion chargé de bois a débouché dans la strada, barrant icelle un moment. Votre San-A prend ses flûtes, son colbak et pulvérise le record du monde du huit cents mètres sur épluchures. Je cours tellement vite que les zèbres de la ménagerie s'évanouissent de confusion dans leurs beaux pyjamas à rayures. Là-bas, le camion manœuvre lourdement. Il est attelé à une remorque de cent vingt mètre de long et, forcément, ça le gêne pour virer. Le zig de la Lancia a pigé ce qui se passait. Probablement qu’il m'a vu foncer dans son rétroviseur. Il devine que je le rattraperai avant que la voie soit dégagée, alors il exécute une manœuvre fulgurante : un petit coup de marche arrière en braquant tout, puis un viron pour repartir en sens inverse.