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La route est aussi dégagée qu'un député présidant une distribution des prix. Je bombe à deux cents au volant de la Ferrari de di Tcharpinni. C'est bon la vitesse pour celui qui la crée. Les poteaux télégraphiques constituent une palissade très serrée. On trace, on trace ! A mes côtés, la môme ne dit rien. C'est la réaction qui se fait ? Elle est prostrée. Tout à coup, comme je ralentis pour aborder un virage, elle ouvre sa portière et se jette hors de l'auto. Vous savez, lorsqu'on est dans un bolide pareil, on perd conscience de la vitesse. Dès qu'on décélère un peu on a l'impression de faire du sur place. Elle a dû croire que j'étais descendu à trente à l'heure, la téméraire, alors que l'aiguille du compteur frictionnait le 140. Je freine sec et je stoppe. Les coudes au corps sur la route ruisselante de lune (c'est joli, ça ; ça fait Pierrot Gourmand) je me lance à sa recherche.

Je la trouve.

Elle est étendue sur l'asphalte, les bras retournés. Elle n'a plus qu'une moitié de tête, et soit dit entre nous et le passage du Havre, c'est plutôt dommage vu que l'ensemble était assez réussi.

Je ne peux rien pour elle. Aussi l'abandonné-je. En se fichant en l'air, la môme m'a sorti une rude épine du pied. Peut-être que mes prouesses frégoliennes demeureront ignorées ?

Je n'aurais rien fait pour, vous me connaissez ? Mais puisque mon vieux pote le Destin en a décidé ainsi, à quoi bon être plus royaliste que le… marquis ?

CHAPITRE X

Il n'est pas généreux d'abandonner un cadavre de jolie dame sur une route italienne. Mais je dois songer aux vivants.

Et en l'occurrence à Bérurier. Que s'est-il donc passé du côté de Sa Majesté Boulimique ? Je nourris (à défaut du Gros) de vives inquiétudes.

S'il lui est arrivé un turbin, cela fera quatre victimes à mon palmarès. Un peu beaucoup pour un très honnête commissaire, admettez ?

La Ferrari stoppe devant notre roulotte. Je ressens un réchauffement de mon hémisphère boréal en apercevant du feu dans notre masure à roulettes. C'est donc que La Gonfle est at home !

O joie ! O bonheur ineffable ! Si la caravane passe, Bérurier, lui, demeure. Il faut dire qu'il a tout du demeuré.

Je m'apprête à gravir les degrés (il y en a 5 au-dessus de zéro) lorsque mon attention est sollicitée par un gémissement qui ressemble plutôt à un vagissement. Ça vient de la droite. Je fais quelques pas, je ne me rappelle plus combien exactement, mais ça doit être entre trois et trois et demi. Et j'aperçois un type en haillons allongé sur la terre. Il est jeune, autant que j'en puisse juger malgré sa tronche en compote. Il a les deux yeux au beurre noir, ses lèvres fendues sont épaisses comme des tranches de melon, ses pommettes pétées saignent et de temps à autre il crachote une ou deux dents, comme on recrache des pépins de raisin. Il gémit ; il a du mal à respirer because il doit avoir quatre ou cinq cerceaux de fêlés. Bref, il est dans un piteux état.

Je me penche sur lui. Il me semble avoir vu déjà ce zèbre-là quelque part.

— Qui êtes-vous, noble étranger ? demandé-je avec mansuétude.

Il gargouille quelque chose. Ça ressemble au bruit d'un évier.

Je décide d'aller quérir le Gravos afin qu'il me prête aide et assistance.

Je pénètre en trompe (comme dirait Muguet) dans notre caravane et je trouve Béru vautré sur le divan, son tigre du Bengale dans les bras.

— Tu peux pas savoir ce que ce bestiau est gentil, dit-il. Avec moi c'est un vrai minet. Je m'y attache d'heure en heure.

— Dis, Bouffe-tout, coupé-je, tu n'aurais pas eu vent d'une bagarre dans le secteur ? Y a un type dehors qui ressemble plus à du pâté de foie qu'à Sugar Robinson.

Mon Béru ricane.

— Laisse, c'est moi que je lui ai fait une grosse tête.

— On a voulu t'agresser ? J'en étais sûr !

— C'est ma vertu qu'on a voulu agresser. Tu sais, la fille que j'ai rambinée dans la boîte avec ton marquis ?

— Barbara ?

— Oui. Figure-toi que j'ai continué ma séance de rentre-dedans. Ça marchait z'à merveille. Elle me faisait des mamours que je… savais quasiment plus comment m'asseoir, et que quand on est sorti je marchais censément z'au pas de l'oie.

— Et elle avait un petit camarade qui vous guettait et qui a cherché à…

— Attends ! Moi je lui propose de voir mon tigre du Bengale facile ; quand on n'a pas d'estampes japonaises faut se débrouiller avec les moyens du bord, t'es d'ac ?

— Ben voyons !

— Elle accepte. Je l'amène ici et j'y montre Médor… Elle se met à avoir peur, à pousser des cris d'orfèvre et à se cramponner à mon cou. Voyant ce dont, je laisse Médor dans les toilettes et j'allonge ma nana sur le divan sur lequel dont je suis actuellement. Je calme cette pauvre biquette. J'y galoche un peu la menteuse, je lui fais un petit massage de balcon et tout, quoi ! Elle était partante que tu peux pas savoir z'à quel point. Mon Bérurier, tu le connais ? La bagatelle c'est son vice préféré. Y se dit qu'il va, passer une soirée délicate avec retraite aux flambeaux et chorale des petits chanteurs à la chose de bois.

« Y précise ses avantages, et c'est pas les avantages qui lui manquent, soit dit sans vouloir vanter la marchandise. Ma pétroleuse continue à voter oui. Ça carburait du tonnerre.

« Moi j'y déballais les sornettes classiques, parce que pour ce qui est du baratin aux sœurs, j'ai mon diplôme avec mention.

« J'y disais qu'elle avait des chasses plus mieux verts que ceux de la Méditerranée, que quand je caressais sa peau, ça me faisait comme de toucher un canard plumé, que sa bouche était tendre comme du filet de première qualité, que son souffle était caressant comme la fumée d'un soufflé au Grand Marnier, tu mords le style de l'homme ? Alexandre Musset, Victor Lamartine, le Chateaubriand aux pommes n'ont jamais rien écrit de pareil, sans vouloir me vanter, c'est pas mon genre. Barbara était dans le cirage jusque-là. Elle me demandait de faire fissa, y avait urgence, je l'avais portée au cataclysme, reconnaissons. C'était l'incendie des Landes à elle toute seule avec coupure de la voie ferrée. Bref, fallait l'éteindre. Je me dis « Béru, c'est pour la France ». Y'en a, le patriotisme ils se le mettent quéque part, eh ben moi c'est ailleurs ! Je me prépare pour mon opération prestige et qu'est-ce que je découvre ! »

— La dame, rigolé-je.

Mais le Béru ne tient aucun compte de mon intervention.

— Ta Barbara, c'était un bonhomme ! T'entends, San-A ! Un Julot travesti en gonzesse, mille tonnerres ! Ah ! tu peux pas savoir ! Si que j'aurais trouvé un boa constructeur dans mon assiette ou la statue de Napoléon dans mon plumard j'eusse eu été moins surpris. J'ai resté au moins dix minutes avant de piger. Je me disais que cette souris était allé dans un magasin de farces et attrapes avant de venir. Mais des clous ! Elle était sincère ! Alors, j'ai vu rouge. La grande danse ! Au début, si je te causais qu'elle trouvait ça bon, les torgnoles. « Encore, chéri » qu’elle me suppliait ! Encore ! Elle en a tant. Les dominos du gringalet dégringolaient comme des noix gaulées. Je voudrais pas parader, San-A, mais la plus belle rouste de ma vie, je suis sur que c'est à ce ouistiti que je l'ai flanquée. Y me traitait de méchante, moi, Béru ! Tu te rends compte ! Au lieu de me calmer ça faisait que me redonner du jus de nerfs. Et bing, et pan ! Et vlan, et pouf !

Tout en narrant, le Gros boxe l'air de ses mécaniques qu'un vertueux courroux agite encore. Le tigre miaule une protestation car les trépidations du divan dérangent son sommeil. D'une torgnole, le Gravos le calme.

— C'est pas le tout, fais-je, il faut la réparer maintenant, ta petite femmes.

— Ah ! plaisante-moi pas sur ce sujet ! hurle Béru, Je tolérerais pas.