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— Pourquoi l'appelles-tu Médor, c'est un nom de chien ! Si encore c'était un nom de chat !

La remarque le blesse. Il se renfrogne.

— C'est marrant que tu soyes réformiste dans ton genre, murmure-t-il.

Puis, se rendant brusquement à mes raisons :

— Dans le fond t'as peut-être raison, mec. Comment t'est-ce que je pourrais le baptiser ?

— Les Trois Lanciers ? proposé-je.

— Biscotte ?

— Parce qu'il est du Bengale.

— C'est trop long. Faut un nom brèfle, qu'on puisse le crier de loin.

— Tu as l'intention de refaire ta vie avec ce mammifère, Gros ?

— Parfaitement, je l'adopte. Je vais l'acheter à Barnaby et je l'emmènerai à Pantruche avec nous quand c'est que nous rentrerons.

— Mais je croyais que tu devais envoyer ta démission au Vieux ?

— J'ai dit ça manière de causer, mais mon début d'indigestion de l'autre jour m'a poussé z'à réfléchir. Si je continuerais ce boulot, je finirais par choper une conclusion, intestinale.

Nous voici au seuil de nos appartements. Je cramponne brusquement les muscles d'acier du Gros.

— Tu as vraiment très sommeil, Béru ?

— Un peu, mon neveu. J'ai les paupières qui retombent comme des vitres de 2 CV.

— En ce cas je vais y aller tout seul, fais-je.

— Z'où ?

— A l'endroit où Barnaby a délesté ses mystérieuses marchandises.

— Pour quoi faire ?

Je le regarde avec commisération.

— Dis, Enflure, te souvient-il que nous sommes des poulardins chargés d'enquêter ?

— On doit z'enquêter sur des vols de tableaux pas sur autre chose.

— Et qui te dit qu'il n'y a pas les tableaux dans ces boîtes ?

C'est à son tour de marquer une certaine stupeur teintée de pitié.

— Tu vois un tableau dans un étui à flûte, toi ?

— Les tableaux, ça se décadre, Béotien, et ça se roule comme une crêpe bretonne.

Frappé, il hoche la tête.

— J'avais pas envisagé ce rase-pet du problème.

Puis, dans un élan de chaude amitié :

— Bon, je t'accompagne. On fera la grasse matinée demain. Je te demande seulement dix secondes pour aller donner un sucre à Minet.

CHAPITRE XI

Chemin faisant je le mets au courant de l'affaire Grado's. Sa Majesté n'en revient pas.

— Tu vois la vie comment que c'est, soupire-t-il. On cherche un voleur de tableaux et on trouve un gang de droguistes ; c'est comme Henri IV à la gare d'Austerlitz, quoi : t'attends Khrouchtchev et c'est Beuscher qui radine.

Torino est presque vide. C'est l'instant de la nuit où ceux qui rentrent en retard croisent dans la rue ceux qui sortent en avance. Les uns et les autres tombent de sommeil.

L'obscurité est épaisse comme du vin espagnol. Quelques parcimonieuses gouttes de pluie tombent sur l'asphalte, sans bruit.

— Tu vois, reprend Béru, dont c'est l'heure de méditation, quand on a un vice on le paie. Ce marquis cette madame Québellacouetta, son chauffeur, les Grado's, l'autre mec que tu causes et sa souris, ils seraient été normaux, au moment où qu'on cause ils vivraient encore.

— Bast, pour combien de temps encore ? soupiré-je. La durée humaine est si précaire, Gros !

— Je vais te faire voir mon c… s'il est précaire ! s'indigne le Boulimique.

Nos pas résonnent dans les rues désertes, nos esprits aussi raisonnent.

— Tu ne sens donc pas à quel point le présent est fugace, Bérurier Alexandre-Benoît ? Tu n'es pas épouvanté à l'idée que chaque seconde s'engloutit avant même que tu en aies eu conscience ?

— Toi t'es en train de faire une décalcification du cerveau, prophétise l'Enorme. Le présent, c'est pas des secondes qui se barrent, San-A ; la tu te gourres vilain. Le présent c'est qu'on est vivant et bien à son aise dans sa peau et qu'on em… la moitié du monde, plus l'autre moitié.

Saisissant, hein ? Cette conversation de deux flics français dans les rues de Torino, en fin de nuitée. Dans son genre, le Béru, c'est un bambou pensant.

— C'est ici que les Athéniens s'atteignirent, dit-il en me désignant la façade chétive d'une maison basse. La porte que tu vois !

Je mate les fenêtres. Elles sont obscures comme les projets d'un sadique. Pas d'hésitation, faut y aller. Je biche mon sésame j'ai un entretien déterminant avec la serrure. Nous pénétrons dans un endroit frais qui sent le lard, le vin, les nouilles et le parmesan. J'actionne ma lampe de poche. Son faisceau me dévoile un entrepôt d'épicier. Des tonneaux, des fiasques de chianti, des caisses de pâtes, des roues de fromage, des barils d'huile d'olive garnissent la pièce, basse de plafond.

Je poursuis mon inspection en ouvrant une seconde porte. Cette fois encore c'est un entrepôt de denrées alimentaires qui s'offre à nous. D'énormes jambons de Parme, des saucissons, des mortadelles sont accrochés au plaftard. Des tonneaux d'olives et de harengs terribles salés sont amoncelés céans.

— C'est la caverne de Lustucru ! plaisanté-je, car j'ai beaucoup d'esprit, pour peu que j'aie pris la précaution de sucer quelques allumettes.

Un tiers de ce second entrepôt est occupé par des pommes de terre ; il y en a un tas terrifié qui grimpe jusqu'aux poutres. Sa Majesté met le pied sur l'une d'elles qui avait choisi la liberté. Il culbute et s'abat, patate de plus sur les patates ! Un monceau, de tubercules alimentaires riches en amidon, de la famille des solanacées et dont l'usage se répandit en France sous l'impulsion de Parmentier, s'écroule alors sous le poids considérable du Mastok. Cette avalanche révèle une chose noire enfouie au milieu des patates. La chose qu'on vous parle est l'extrémité d'une boîte au couvercle arrondie : un étui à clarinette vermifugée.

— T'avoueras que j'ai un drôle de pot ! triomphe le Gravos. Ce que je dégauchis pas avec le nez je le trouve avec mes fesses ; c'est un cygne du déclin, non ?

— Nous allons enfin savoir ce que contiennent ces damnées boîtes, my dear, lui rétorqué-je en américain.

Je fais jouer les fermoirs de l'étui, Ils jouent admirablement sans la moindre fausse note ce qui est la moindre des choses pour des fermoirs d'étui à clarinette.

Je soulève the couvercle, prêt à tout, y compris au pire. Et qu'aperçois-je, délicatement posé sur un capitonnage de velours bleu-des-mers-du-sud ? Devinez. Vous ne voyez pas ? Le contraire aurait détonné. Faites un effort, que diantre, ou sinon je vous colle trois calembours à la file dans le prochain paragraphe. Non ? Eh bien, dans l'étui à clarinette, il y a… une clarinette ! Je la prends, je la regarde, je souffle dedans. C'est une clarinette. Un détail cependant : elle pèse lourd. Beaucoup plus lourd qu'un instrument normal. Je suis frappé d'une idée (mais sans trop de mal). Je gratte l'instrument avec la pointe d'un canif. C'est du platine ! Une clarinette en platine, les gars, je ne sais pas si vous vous rendez compte de la valeur de l'objet. On devient frénétiques, Sa Grosse Tronche et moi. On se met à culbuter les patates à tout va et on extrait successivement : une flûte et un piston en platine ; un corps d'harmonie en or, et un hélicon-basse en argent massif.

Le trésor d'Ali Baba !

— Dis voir, rigole Béru, il se paie une fanfare de prix, le Barnabuche !

Comme il achève cette boutade, la porte s'ouvre sur l'être le plus extraordinaire qui soit. Le monsieur qu'on vous cause doit avoir une petite centaine d'années. Il lui reste deux dents sur la façade principale. Il porte une moustache de Gaulois, blanche, sous un nez pareil à une fraise décolorée. Il est en chemise et bonnet de nuit et il tient un fusil du genre tromblon à la pogne. Et ça se met à glapir, ça, madame, avec ses vieux soufflets bouffés aux mites, comme un camelot.