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— Tiens, file-toi un coup de super-carburant pendant que je te déballe la vérité. Tu es dans la presse, par conséquent tu es au courant des vols de tableaux qui se sont produits dans différents musées ?

— Yes, monsieur, fait Perry en se collant dix centilitres de pur malt derrière la cravate qu'il a négligé de mettre. Tu fais allusion aux exploits de celui que mes illustres confrères parisiens ont surnommé « l'Arsène Lupin des Musées » ?

— Exactement. Un Manet volé au Louvre ; un Corot au musée de Toulouse ; un Fragonard à celui de Marseille ; un Cézanne à Aix-en-Provence et un Pra Angelico à Lyon, ça commence à compter, non ?

— Je comprends. Tu es chargé de l'enquête ?

— Depuis deux jours.

— Et tu es sur une piste ?

— Je l'ignore.

Marc fronce les sourcils.

— C'est pas gentil de me faire des cachotteries, San-A.

— Je ne te fais pas de cachotteries, je te dis la triste vérité : je ne sais pas du tout si je suis sur une piste ou pas.

— Alors, que fiches-tu dans ce cirque ?

Je renifle.

— L'Arsène Lupin des musées a agi avec une maîtrise extraordinaire, sans jamais laisser le moindre Indice ; mais j'ai fait une constatation qui vaut ce qu'elle vaut.

— Ne me laisse pas mourir de curiosité, supplie Marc. Je sens que je ne m'en remettrais pas.

— Dans chacune des villes où se sont produits les vols, le Cirque Barnaby donnait une représentation le jour où les tableaux disparaissaient.

Perry se laisse tomber sur le canapé et embrasse à pleines lèvres ma bouteille de scotch.

— Sans blague ?

— Oui. Il s'agit peut-être d'une simple coïncidence, note bien.

— Non, rectifie doucement Perry, de cinq coïncidences. C'est beaucoup.

— C'est bien ce que j'ai pensé, alors l'idée m'est venue de vivre un peu à l'intérieur de ce cirque pour voir de plus près le comportement de chacun.

— Et tu as engagé un boulimique pour t'aider.

— Pas du tout, ce Monsieur ignoble que tu aperçois là, dans une robe de chambre chamarrée, en train de déguster un sandwich aux rillettes, n'est autre que mon prestigieux collaborateur, l'inspecteur principal Bérurier.

Salut de Béru qui, effectivement, termine sa journée par une collation délicate.

— Béru, expliqué-je à mon ami, a toujours eu un appétit exceptionnel, mais en ce moment il a en plus le ver solitaire. Comme nous cherchions un moyen de nous faire engager, il a eu cette louable idée et tout me porte à croire qu'il a mis dans le mille.

Marc est passionné.

— Le cirque se dirige sur l'Italie ? fait-il.

— Oui, mon fils. Et l'Italie c'est le pays des musées. Nous allons ouvrir l'œil, espère un peu.

— Tu me tiens au courant ?

— Promis.

— Rends-toi compte si c'était moi qui levais un lièvre pareil après avoir levé mon loup dauphinois !

— Tu auras les tuyaux lorsque je pourrai t'en fournir de publiables, mais pour l'instant on joue motus !

Nous devisons un moment encore, puis il lève le siège. Au moment de s'en aller, il s'aperçoit qu'il a perdu la cellule Photo-électrique de son appareil. Déjà il se met à quatre-pattes pour la chercher quand le Gros, penaud, balbutie :

— Faites excuse, m'sieur le journalisse, mais je crois bien que je l'ai mangée.

CHAPITRE II

Je sais pas si vous avez déjà vécu dans un circus, les gars. Avec vos tronches d'hydrocéphales, après tout, ça n'aurait rien de surprenant. Je vous imagine très bien dans le cirque. Leur ménagerie, mes frères, entre les langoustes à l'américaine et les chimpanzés. Vous seriez mignons tout plein dans votre jolie cage ! On changerait la litière deux fois par jour, car c'est le régime grand luxe ! Puis, faut pas croire, mais le populo a du cœur. C'est fou ce qu'il peut vous balancer comme cacahuètes et comme croûtons de pain. Vraiment, ça ne vous tente pas ? La vie pépère, à l'abri des soucis, loin du monde et des ministres. Vous avez tort !

Nous nous farcissons des représentations tour à tour à : La Tour-du-Pin, Pont Seauvoisin, Voiron et Grenoble. Comme ces dernière ville comporte un musée intéressant, je m'attends à un nouveau vol, mais va-te-faire-fiche : c'est le calme plat. Et le Gros fait un malheur avec son numéro de boulimique. Y a pas, c'est la révélation d'une vocation, mes frères ! L'éveil d'un don exceptionnel.

Autrefois, lorsqu'il était particulièrement bien, il nous esbaudissait en mangeant un verre à pied, un tampon buvard ou un parapluie, mais c'était de la bricole, de l'amuse-gueule si je puis ainsi m'exprimer (et pourquoi ne pourrais-je pas ? C'est pas vous qui auriez la prétention de m'en empêcher !) Dans chaque ville que nous traversons, c'est le triomphe habituel. Une publicité extraordinaire nous précède. On attend le Gros, les journalistes locaux l'assaillent dès que le Barnaby circus radine. On vient lui faire signer des autographes. Des dames pâmées lui apportent des friandises dans sa roulotte : os de gigot, coquilles de moules, vaisselle cassée, etc., toutes choses riches en calcium, convenez-en.

L'existence de Sa Seigneurie a complètement changé. Maintenant qu'il est devenu vedette, il me snobe et prend des poses. Bientôt il va falloir que je lui lave ses bottes, ou que je le mouche !

Un soir, je crois que c'est à Chambéry, capitale de la Savoie, il me dit :

— Je t'annonce que je vais cloquer ma démission au Vieux, San-A.

Je fronce les sourcils.

— Ah, vraiment ?

— Yes, monsieur. Tu comprends bien qu'y a pas de raison que je me fasse trouer la paillasse à longueur d'année, alors que je gagne ici, en deux jours, ce que je gagne en un mois au service du Tondu !

— Comme tu voudras, Gros.

— Ça te fait de la peine ? s'inquiète le Monstrueux.

Et comme je ne réponds pas, il plaide :

— Comprends, San-A : faut bien assurer ses vieux jours. J'ai une femme à nourrir moi, et elle bouffe presque autant que moi ! Tu le sais.

— Il y a une chose que je sais, Béru, nous avons démarré une enquête et nous la finirons. Lorsqu'elle sera close, tu feras ce que tu voudras.

Il se renfrogne.

— Du train où ce que vont les choses, elle est pas z'encore close, ton enquête.

Il vient d'émettre là une vérité du premier degré. En effet, tout semble de bon aloi dans ce cirque. Chacun fait son turbin de son mieux en suivant son petit bonhomme de chemin.

Mais laissez-moi, puisque nous sommes sur ce chapitre (comme disait un évêque de mes relations) vous causer des numéros composant le programme. Il y a les clowns célèbres Voma et Rango ; les Grado's, antipodistes fameux ; Mme Cavaleri et sa cavalerie légère ; le Professeur Nivunikônu, le maître du Mystère ; miss Muguet et ses éléphants, les Exabrutos au trapèze volant et Sprenett, le premier jongleur du monde (à gauche en sortant). C'est vous dire l'ampleur du spectacle !

Au début on nous accueille gentiment, mais devant l'énorme succès remporté par Sa Majesté, les gens de la balle ne tardent pas à nous faire la hure. D'autant plus que Barnaby a chamboulé l'ordre des numéros. A partir de dorénavant c'est Bérurier qui passe en vedette, à la place des Exabrutôs ; lesquels ne sont pas contents du tout et s'abstiennent de nous saluer. Il n'y a guère que miss Muguet qui soit gentille avec nous. Primo parce que c'est moi qui colmate ratiches de ses pachydermes, deuxio parce que cette ravissante personne réagit ferme à mes charmes. Lorsque je lui virgule mon œillade friponne 56 ter, approuvée par le Conseil d'État, elle tombe en digue-digue, c'est visible.

Il s'agit d'une gamine tout ce qu'il y a de vachement proéminente. Sa maman n'a pas lésiné sur ses voies respiratoires ; croyez-moi ; non plus que sur son appareil à écraser les coussins. Je vous parie une trompe d’Eustache en ordre de marche contre toutes les trompes de ses pensionnaires que je vais m'offrir cette déesse avant longtemps et peut-être même plus tôt que ça. Quand elle me sourit, j'ai le grand zygomatique qui fait de la corde à nœuds et la moelle épinière qui se transforme en sirop d'orgeat.