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Donc, pendant une bonne semaine, nous errons dans le sud-est de la France sans le moindre incident. Enfin nous passons en Italie. Je n'en mène pas large. Non pas parce que l'Italie est un pays étroit, mais parce que je me dis que je me suis introduit le médius dans l'orbite jusqu'au fondement et que ma décision d'entrer dans ce cirque à titre de pensionnaire était, elle, sans fondement. Seule indication intéressante : aucun autre vol de tableau ne s'est produit depuis celui de Lyon. Peut-être que l'Arsène Lupin des musées a jugé sa collection au' point et qu'il a renoncé à l'augmenter ?

Le Barnaby Circus a dressé son chapiteau sur la place Ravioli-Pacui dans la banlieue de Torino. Il fait un temps triste et doux.

Béru roupille dans sa roulotte en attendant l’heure de la représentation. Moi, grimpé sur un escabeau à double révolution, je peigne Zoé la girafe.

De mon perchoir, je jouis d'une vue vraiment imprenable. Zoé, c'est de la bonne bête, pas crâneuse qu'on ne pourrait le supporter, bien qu'elle ait un faux col à impériale.

Je lui fais sa mise en pli quotidienne et je m'apprête à redescendre lorsque j'aperçois une voiture américaine qui radine sur la place et stoppe en bordure de notre chapiteau. Un chauffeur en blouse blanche et képi bleu en descend. Il s'approche de la roulotte-caisse où Barnaby s'occupe de la location, car chez les Barnaby il n'y a que les boss qui tripotent l'osier. Je me dis que c'est un grossium de la capitale piémontaise qui envoie son driver prendre des gâches pour ses mouflets. Mais au lieu de détacher des billetti, madame Barnaby lui désigne la roulotte des Grado's. Le chauffeur s'y dirige et toque à la porte. On lui ouvre, il disparaît.

Moi, vous me connaissez ? Et si vous ne me connaissez pas, allez donc vous faire cuire deux œufs avec Astra — j'ai toujours le renifleur en éveil. Mine de rien je m'approche de la tire pour mater sa plaque. Les gens du voyage, comme disent les journalistes en mal de poésie, n'ont pas l'habitude de recevoir des visiteurs de grande marque. La bagnole est une Cadillac, s'il vous plaît ! (s'il ne vous plaît pas j'en ai rien à fiche) noire avec l'intérieur blanc. Elle est immatriculée à Torino. Les numéros minéralogiques sont en argent ciselé, le volant en vermeil les enjoliveurs de roues en or fin taillé dans la masse.

De la voiture de grossium, vous pouvez constater : les vis du delco ne sont pas platinées, mais en platine véritable. L'arrière de la guinde est séparée de l'avant par une vitre en verre authentique, histoire de ne pas mélanger les torchons avec les serviettes. Et je voudrais que vous vissiez l'intérieur de cette chignole, ma douleur ! Eau chaude et froide à volonté ! Cave à liqueurs ! Télé, tourne-disque, grille-pain, séchoir à cheveux, salle de gymnastique, salle de billard, tennis couvert et tout. Le raffinement est poussé très loin. Il y a même une statue équestre de Victor-Emmanuel j'sais-pas-combien grandeur nature dans un coin du salon. Bref, ça n'est pas la voiture de tout le monde, quoi !

Le chauffeur rapplique, escorté de Dons l'aîné des Grado's, impec dans un costar bleu nuit. Celui-ci porte une chemise blanche et une cravate de soie blanche. Il a une fleur artificielle à la boutonnière, ce qui fait toujours très élégant, et il marche comme un félin because sa souplesse professionnelle et puis z'aussi parce que, d'après les mauvaises langues du circus, il est pédoque comme pas deux ! Les Grado's constituent à eux deux Donato et Paul, (le mari et la femme) un numéro extraordinaire. Ils sont les seuls antipodistes au monde à réussir le Bougnazal géant à ballottage fluide sur un doigt, ainsi que le Canneloni bulbeux et le Gargouilleür à Valve sans élan !

Donato s'installe à l'arrière de la Cad' qui démarre en soulevant un nuage de poussière. Un peu perplexe, qu'il est, votre San-A, mes toutes belles ! Qu'est-ce à dire, qu'il se dit, le commissaire chéri ! Depuis quand des chauffeurs en livrée viennent-ils prendre livraison d'un artiste de cirque ? Affaire à suivre de très près. Mine de rien, je vais draguer aux z'abords de la roulotte des Grado's. Je file à la sauvette un coup de périscope dans le nid d'amour de ces messieurs. C'est une véritable bonbonnière, tendue de toile de Jouy, comme vous vous en doutez, avec des meubles en acajou frappé et des tapis persans. Paul, c'est un, blond mince, avec des cheveux qui lui tombent sur le cou et une robe de chambre en dentelle.

Je ne sais pas où il achète son rouge à lèvres, mais il est sensationnel et donne à ses lèvres minces l'éclat du neuf. Paul est Flamand, tandis que Donato a vu le jour (quel jour) à Napoli. Au moment où je mate leur palace, Paul écrit devant un petit secrétaire Charles X en fumant une cigarette à bout doré. Je décide de tenir ces petites folles à l'œil et je vais astiquer les défenses d'y voir des éléphants, à la peau de chamois. Miss Muguet me guettait à promiscuité car dès que je pénètre dans la nursery de ses bibelots vivants, la voilà qui radine. Elle porte un pantalon de lamé, un polo blanc et un sourire de la même couleur (bien que le blanc ne soit pas une couleur, comme l'affirment les mineurs et les marchands de charbon).

— Je viens vous aider, gazouille-t-elle, car Hippolyte n'est pas dans ses bons jours.

Hippolyte c'est son éléphant géant, un bestiau de cinq tonnes, avec des éventails à moustiques grands comme le rideau de scène de l'Opéra.

Elle lui caresse la trompe tandis que je lui fourbis les incisives supérieures. Hippolyte, en général c'est le bon gros, style Béru, mais parfois il est en pétard avec sa souris et il devient insupportable. Je demande à Muguet ce qui l'a poussée à se faire dompteuse d'éléphants, elle me répond que c'est son papa. Monsieur son dabe était montreur de puces, jadis, mais devenant myope, il s'était mis à dresser des animaux plus gros. Des chiens d’abord, des tigres ensuite et, sa vue continuant de baisser, il en était arrivé aux éléphants. Un drame du travail, quoi ! A sa mort, Miss Muguet avait repris son fonds de commerce éléphants d'Asie en ordre de marche.

Lorsque les ratiches du gars Polyte ont la blancheur Persil, je me dis qu'il serait temps de m'occuper de celles de sa maîtresse. Je m'approche d'elle avec un petit air avantageux qui en dit long comme la trompe d'Hippolyte sur mes intentions.

— Il en a de la chance, votre pachyderme, fais-je d'une voix noyée.

— Pourquoi ? balbutie-t-elle.

— Parce que vous êtes sa maîtresse. Ce que j'aimerais être à sa place.

— Ce que vous êtes polisson, vous alors ! proteste Muguet.

Mon bras est déjà autour de sa taille flexible (certains de mes confrères ajouteraient « comme une liane » mais j'aime mieux faire sobre).

— Je suis votre cornac superbe et généreux ! ajouté-je en dégustant ses muqueuses.

Je ne sais pas si vous avez déjà étreint une pin-up parmi une demi-douzaine d'éléphants adultes ? Je peux vous affirmer que c'est passionnant. L'émulation, y a que ça !

— Allons, c'est fini cet attouchement, Jumbo ! s'écrie-t-elle à un moment donné.

— C'est pas Jumbo, susurré-je en la renversant dans le foin.

Je ne perdrai pas mon temps à vous énumérer les numéros de haute voltige que j'exécute. A quoi bon, puisque vous ignorez et ignorerez toujours ce qu'est le Stromboli frémissant, le Bouchon-verseur à tête chercheuse et le Distributeur à pédale incorporé. Votre éducation reste à faire, mes pauvres biquets, ça n'est pas votre faute, mais celle de vos pairs. La môme Muguet, soit dit entre nous et la ménagerie voisine n'a pas peur des transports en commun.