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— C’est sans importance.

— Ton père était marin ?

— Officier marinier, fit-il sèchement. Pas simple marin.

— Excuse-moi.

— J’avais six ans quand il est mort. En service commandé. Mais ma mère avait déjà foutu le camp et j’étais déjà en pension. Ça n’a pas changé grand-chose à ma vie.

Tout en parlant, il arrangeait le feu avec un soin étonnant, et c’était l’une des rares choses qu’elle lui voyait faire avec plaisir. Il ne s’offrait jamais pour l’aider, ne serait-ce qu’à débarrasser la table après le repas.

Il avait accepté de dormir dans la chambre d’Antoine, mais lorsqu’elle s’était réveillée elle l’avait découvert dans le living. Il avait sauté sur ses pieds dès qu’il l’avait entendue. Tout ça parce qu’elle avait refusé d’ôter les plombs du téléphone.

— Non, ce serait imprudent. Mon mari peut très bien appeler cette nuit, ou n’importe qui. On s’étonnera.

— Des blagues ! Vous allez les appeler pendant que je dormirai.

— Je t’ai dit que non.

Cette méfiance la rendait nerveuse. Il avait l’air de la surveiller constamment. Moins depuis le début de l’après-midi. Lorsqu’il s’était rendu compte qu’elle était harcelée par son mari, le docteur et des gens du village.

— On ne va quand même pas rester enfermés tout le temps, dit-il. Moi j’aime aller dehors. Je ferais bien de la luge.

— Attends la tombée de la nuit. Il peut passer quelqu’un.

— Qu’avez-vous décidé pour moi ?

Charlotte cessa de lire et s’installa pour lui faire face :

— Mais ce n’est pas à moi de décider. Tu es libre. Je ne me sens aucun droit sur toi.

— Et mon copain, on le laisse là-bas ?

— C’est toi, décide.

— Dans le fond, vous aimeriez que je foute le camp au plus vite pour reprendre votre vie bien tranquille, bien confortable.

— Te l’ai-je fait sentir ?

Il haussa les épaules :

— Vous n’aimez personne. Ni votre mari, ni les voisins. Et moi encore moins que tous les autres. C’est pas très chouette votre genre de vie. C’est tout con.

— Tu as raison, dit-elle, c’est tout con. Mais tu ne me gênes pas.

— C’est ça, je remplace votre sale cabot ?

— Ne parlons pas de lui, veux-tu ?

— Vous le regrettez ?

Lorsqu’il remarqua qu’elle avait des larmes aux yeux il marmonna quelque chose, retourna à son feu.

— Si je l’ai tué, dit-il d’une voix bizarre, c’est pour qu’il lâche mon copain. Je ne pouvais pas faire autrement.

Elle avait repris son magazine et il savait qu’elle ne lui répondrait pas.

— Albert avait un bâton à la main. Peut-être que c’est à cause de ça que le chien a attaqué tout de suite. C’était terrible, vous savez. Je voyais le sang gicler entre ses crocs… Je devenais fou. N’importe qui aurait fait la même chose à ma place. Vous dites que Truc n’était pas méchant mais vous l’aviez ici pour vous protéger, pour garder votre maison. Donc vous pensiez que si quelqu’un essayait d’entrer ou de vous faire du mal il l’attaquerait ?

La femme restait silencieuse.

— Vous préférez votre chien à la vie d’un homme ? Vous êtes quand même une drôle de femme.

Au même instant il y eut plusieurs aboiements de chien. Le garçon se dressa, le tisonnier à la main. Charlotte se leva, très pâle.

— Monte dans la chambre.

— Qu’est-ce que c’est ?… On dirait votre chien.

— Va-t’en, mais va-t’en donc.

On frappait à la porte du living. Robert escalada les escaliers en silence, disparut. Lorsqu’elle ouvrit, le grand blond barbu de la ferme Lamy lui sourit en retirant sa casquette de skieur.

— Bonjour, dit-il. Je vous apporte quelques œufs… Samson, je ne veux pas que tu rentres, tu vas tout salir.

— Ça ne fait rien, dit-elle.

Le chien furetait partout et soudain il se planta au bas de l’escalier et aboya avec force.

— Veux-tu te taire !… Je suis désolé, dit-il. Voici six œufs… Parce que vous avez été si gentille avec nous l’autre jour. Nous étions désolés de vous refuser cette oie.

— Ça n’avait aucune importance, dit-elle. Tout va bien à la ferme ?

— Oui. Notre voleur de lait a cessé de saccager nos bidons que nous descendons jusqu’à la route. Je ne sais qui c’est, peut-être un touriste… Il devait remplir une bouteille mais étant donné la taille des bidons il en flanquait trois ou quatre fois plus par terre. Samson, va te coucher !

Le chien s’accroupit au pied de l’escalier, grondant du fond de sa gorge.

— Vous avez trouvé le petit garçon qui s’appelait Pierre ?

— Non, dit-elle. Mais je ne le cherche plus. Combien je vous dois pour les œufs ?

— C’est un cadeau. Mais les prochains seront payants, dit-il en riant. Vous savez, on va essayer de faire une partie de notre fromage nous-mêmes, juste pour notre consommation, et s’il est réussi, on vous en apportera un morceau.

— C’est gentil. Voulez-vous boire quelque chose ?

— Alors ce sera un peu de vin si vous en avez. Vous voyez que nous ne sommes pas tout à fait des illuminés. C’est très joli chez vous. Vous savez que vous pouvez venir nous voir quand vous voulez.

Elle ouvrit une bouteille de beaujolais, apporta deux verres.

— Vous êtes venu en skis ?

— En raquettes comme un vieux trappeur du Grand Nord. C’est tout de même plus couleur locale.

Il leva le verre dans sa direction.

— Je bois à l’amitié… J’ai rencontré votre mari, hier dimanche, alors qu’il revenait du village.

Charlotte se raidit imperceptiblement.

— Je revenais d’acheter du tabac. Il a eu la gentillesse de me proposer de me déposer en bas de chez nous. C’était très aimable de sa part. Je ne pense pas qu’il ait eu autre chose que le désir de me rendre service, de sa part.

— Je ne comprends pas, murmura-t-elle.

— M. Berthod s’est toujours méfié de notre voisinage. Je sais qu’il a reproché au propriétaire de nous avoir loué cette ferme à bail. C’est tout à fait normal… Et je suis heureux d’avoir constaté hier qu’il était revenu à de meilleurs sentiments.

Il souriait dans sa barbe avec une ironie bienveillante.

— Seulement… j’ai cru que votre mari voulait m’acheter en quelque sorte. Il m’a beaucoup parlé de ses bonnes relations avec les gens du coin, de l’influence qu’il pouvait avoir… Je suis toujours surpris d’entendre parler ainsi dans ce beau pays, un peu moins que ce soit par quelqu’un qui n’en est pas natif.

— Il vous a demandé quelque chose ?

L’homme continuait de sourire en regardant le fond de son verre de vin.

— Tout simplement de veiller sur vous, madame Berthod. Je me suis étonné. Vous êtes en sécurité dans ce pays et nul ne vous voudrait du mal. Mais M. Berthod semble craindre autre chose… Il m’est difficile d’être plus précis.

— Inutile, dit-elle. Ce que mon mari redoute c’est ce que je pourrais faire. Il pense que je suis déséquilibrée sur le plan mental.

— Merci, dit-il. Je voulais vous dire que ni moi ni mes compagnons ne sommes très doués pour ce genre de surveillance et que toute répression, même maritale, nous paraît odieuse. Chacun a sa folie. La nôtre est de vivre en rupture d’une certaine société. Pour votre mari, nous sommes des cinglés et pour pas mal de gens également. Bien que solidaires et farouchement individualistes, vous nous rejoignez un peu, madame Berthod. Nous ne voulons pas intervenir dans votre vie, mais sachez que nous sommes vos amis.