Выбрать главу

Elle cilla à plusieurs reprises, très émue.

— Il faut que je rentre, maintenant.

— Merci de votre visite.

Le téléphone sonna. Elle eut un élan puis se contint.

— Je ne répondrai pas, dit-elle.

— On nous sonne et nous venons, dit-il, comme des larbins. Un tentacule de plus que la société lance sur nous. Quand j’étais dans la région parisienne, j’étais assigné à résidence à la suite d’événements politiques. De temps en temps une voix anonyme me demandait si j’étais toujours là. J’ai fini par demander qu’on résilie mon abonnement. Tout a commencé ce jour-là, quand j’ai constaté que je pouvais m’en passer.

La sonnerie lui coupait régulièrement la parole.

— C’est mon mari, dit-elle. Ou le médecin. Ou quelqu’un du village. Peut-être des amies de Dijon auxquelles il aura demandé de me téléphoner, espérant que je serais plus en confiance avec elles.

Elle l’accompagna jusqu’à la porte. Son chien quitta à regret le pied de l’escalier. Tranquillement l’homme chaussa ses raquettes, baissa les oreilles de sa casquette.

— Dix fois, dit-il. Dix coups de sonnette. Mais ils vous rappelleront. À bientôt peut-être.

Il s’éloigna, tandis que son chien partait en avant en jappant joyeusement. Puis elle referma la porte, retourna s’installer sur la banquette.

— Tu peux revenir, cria-t-elle.

Au bout d’un moment elle s’affola. Pourquoi ne répondait-il pas. Était-il encore en haut ? Y avait-il jamais été ? Si elle avait rêvé tous les derniers événements !

— Pierre, pourquoi ne réponds-tu pas ?

Elle se rua dans l’escalier, le trouva allongé sur son lit en train de lire un album de bandes dessinées.

— Tu ne peux pas me répondre, non ? explosa-t-elle.

— Je ne m’appelle pas Pierre, dit-il, mais Robert.

Confuse, elle ne sut que dire.

— Qui c’était, ce mec ?

— Celui de la ferme Lamy à qui tu fauchais du lait parfois. Le chien a bien reconnu ton odeur. C’est pourquoi il aboyait au bas de l’escalier.

— Il voulait quoi ?

— M’apporter des œufs… Et aussi…

— Quoi ?

— Rien. Cela ne le regardait pas.

— Et le téléphone, vous n’avez pas décroché ?

— Je pouvais être sortie.

Elle comprit qu’elle l’importunait, se résigna à redescendre.

— Quand tu voudras goûter…

— Goûter, comme un môme… J’ai treize ans même si j’en parais dix. Ça change tout, non ?

— Excuse-moi. Que faut-il dire à la place de goûter ?

— Oh ! Vous trouverez bien. Vous êtes futée.

En descendant elle se demandait si elle l’était vraiment, futée. Elle s’était toujours prise pour une bonne gourde incapable de prévoir les catastrophes.

Il ne descendit qu’un peu avant la nuit :

— Ce soir on bouffe encore des congelés ?

— Je ne suis pas allée aux courses, dit-elle. Mais demain j’essaierai de faire mieux. Il reste encore de la tarte aux pommes.

— Plus maintenant, dit-il la bouche pleine.

Et Guy qui lui avait reproché d’en avoir fait pour dix.

— Tu aimes ça ?

— Celle à l’ananas, vous ne savez pas la faire ?

— Si, mais il vaut mieux de l’ananas frais et ici je ne crois pas que j’en trouverai.

— On trouve rien dans ce bled, grommela-t-il. Je peux me faire du chocolat ?

— Mais, c’est moi…

— Non, restez tranquille. Je sais très bien me débrouiller. Vous en voulez ?

Pour la première fois il se montrait prévenant.

— Oui, j’en prendrais bien.

— Si vous préférez du thé, lança-t-il, débrouillez-vous car je ne sais pas préparer cette saloperie.

— Le chocolat me conviendra très bien, assura-t-elle avec un sourire retenu.

Ce soir-là son mari appela deux fois. L’une de son bureau, l’autre de chez eux. Puis comme par hasard ce fut sa belle-sœur qui habitait Paris qui lui demanda de ses nouvelles, enchaîna ensuite sur ses sorties habituelles dans la capitale.

CHAPITRE XV

On ne parlait que de ça dans l’épicerie adjointe au bistrot. Charlotte qui attendait son tour ne fut pas tout de suite en osmose avec les autres clients. Ce fut peu à peu que la vérité la pénétra, martelée par les mêmes mots : cadavre, mort depuis quatre jours au moins, l’ancienne maison forestière.

— Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle comme si elle faisait un horrible cauchemar.

— Comment, vous ne savez pas ? C’est près de chez vous pourtant. On a trouvé le corps d’un jeune garçon dans la maison forestière. Celle qui s’est écroulée. Il paraît qu’il s’est vidé de tout son sang.

Le cadavre d’Albert avait été découvert. Avec une rapidité stupéfiante. Tout de suite elle pensa aux traces que le scooter avait laissées là-bas. Depuis, il n’avait pas neigé.

— Comme c’est sur le territoire communal de Foncine on l’a transporté là-bas. Ils n’ont pas eu à passer devant chez vous, expliquait la patronne.

— On dit qu’il était blessé au ventre. Mais pas quelqu’un de la région. Personne ne le connaît.

— Quel âge ? demanda-t-elle avec indifférence.

Que jouer ? L’apitoiement général, l’horreur, la femme blasée qui en a vu d’autres, la dame qui prend ses distances devant cette sorte de fait divers ? La tête lui tournait et comme c’était son tour elle lançait des mots au hasard comme des bouées. Elle se retrouva avec un plein panier sans savoir ce qu’il contenait. Au lieu de quitter l’épicerie elle passa dans le café, commanda un apéritif.

— Alors, vous êtes au courant ? Bien sûr… Vous parlez d’une histoire… On dit qu’il est mort depuis quatre jours… Artère fémorale. Il s’est vidé de son sang en peu de temps. D’ailleurs il y en avait plein dans ses vêtements.

Jamais Robert ne voudrait croire qu’elle n’avait pas téléphoné pour signaler l’emplacement du corps. Jamais ! Ce hasard était trop monstrueux pour qu’elle puisse le convaincre de son innocence.

— On croit que c’est un accident, disait le patron… Mais sait-on jamais ? Vous devriez vous méfier, madame Berthod… Les temps ne sont plus les mêmes. On n’a jamais vu une chose pareille dans la région.

— Qui a découvert le corps ? demanda-t-elle.

— Un garde forestier… Paraît qu’il a remarqué qu’un pan de neige était affaissé, qu’une sorte de tunnel apparaissait. Il est allé voir, bien sûr. Il a trouvé le cadavre. On pense que le gosse s’était muré lui-même là-dedans pour échapper au froid.

— Sait-on qui il est ?

— La découverte a eu lieu hier après-midi… Pas facile de faire des recoupements. Mais ce qui est sûr c’est que ce n’est pas un gars du pays… On se demande s’il ne viendrait pas de Suisse…

Elle vidait son verre à petites gorgées.

— Vous n’avez rien remarqué, vous ?

— Non, absolument pas.

Tous ces papiers de cellophane qui enveloppaient les produits congelés ! Les gendarmes allaient passer la pièce au peigne fin, finiraient par comprendre certaines choses.

— Ce ne serait pas ce jeune garçon que vous cherchiez, des fois ? demanda Bouvet qu’elle n’avait pas remarqué parmi les clients accoudés au comptoir.

Il y eut un silence.

— Je ne sais pas, dit-elle. Le mien avait à peine dix ans.

On hochait la tête avec des airs entendus. Certains détournaient même la tête, comme gênés. Avec une surprise un peu amère elle devina qu’ils ne liaient pas les deux faits. Le cadavre bien réel et ce petit garçon utopique né d’un cerveau qu’ils devaient supposer malade. Guy avait dû leur expliquer que sa femme avait des hallucinations.