Выбрать главу

— Il faut que je rentre, dit-elle.

— Et votre chien ?

— Toujours pas rentré. Je commence à craindre le pire.

— Faut pas, dit quelqu’un, il doit galoper après une chienne en chaleur. J’en sais un qu’on a retrouvé à trente kilomètres. Mais faudrait mettre une annonce dans le journal.

— Vous me donnez une idée, dit-elle.

En approchant de la maison son appréhension grandit d’un coup. Pourvu que personne ne soit venu. Robert se tenait sur ses gardes mais il suffisait d’une défaillance d’une seconde pour qu’on le découvre chez elle.

Elle transporta son panier dans la cuisine, jugea préférable de le vider immédiatement. Quelqu’un aurait pu s’étonner de voir tant de provisions pour une femme seule. Lorsqu’elle ôta le papier des deux côtes de porc un pli soucieux sépara ses sourcils. Qu’avait dû penser la marchande ?

— Vous ne pouviez pas dire que c’était vous ? Je me demandais si je ne devais pas sauter au-dehors, moi… J’ai cru que c’était votre mari.

— Excuse-moi, dit-elle. Il fallait que je vide mon panier…

Puis elle lui fit face avec courage :

— On a trouvé Albert. Dans la vieille maison.

La férocité qu’elle lut dans son regard cave n’était pas celle d’un simple enfant.

— Non, ce n’est pas moi. Le hasard. Tu crois que j’aurais téléphoné alors que tu ne m’as pas quittée d’hier ? On a trouvé le corps au début de l’après-midi.

— Et puis ?

— Les gens disent qu’il est mort depuis quatre jours. Ce sera difficile à préciser à cause du froid. Sauf…

Il attendait, tendu.

— Sauf si on établit que c’est l’artère fémorale qui était atteinte. Dans ce cas on se vide rapidement de son sang. Je ne sais pas en combien de temps mais pas plus de deux heures.

Lentement, elle s’écarta de lui, contourna la table pour se diriger vers le living :

— Tu m’as menti. Albert est mort là-bas. Dans la vieille maison. Et ce n’est pas Truc qui l’a mordu, n’est-ce pas ? Il s’est blessé seul ? Peut-être avec un morceau de vitre ? Il y en avait partout.

Robert respirait très fort, par le nez, avec un bruit sifflant.

— Mais Truc alors, pourquoi ?

— Il nous avait découverts. Il voulait pénétrer chez nous. Enfin dans notre planque.

— Et tu l’as tué ?

— Pas moi, lui. C’était avant.

— Réalises-tu que je m’y perds dans tous tes mensonges ? Maintenant tu dis que c’est lui ?

— Bien sûr. Je n’aurais pas pu le transporter seul jusqu’ici. On l’a mis sur une cape et on l’a tiré.

— Pourquoi t’accusais-tu d’abord ?

— Oh ! Comme ça…, parce qu’il est mort et que je ne voulais pas que vous le détestiez. Moi je peux me défendre.

Était-il capable d’un tel sentiment ? Mais cela n’expliquait pas comment son ami avait pu se blesser à mort.

— Il voulait couper un morceau de bois, dit-il, avec un éclat de verre. Il appuyait de toutes ses forces. Le verre a glissé et a pénétré dans sa cuisse.

Le téléphone l’interrompit.

— Ce doit être votre mari, il a déjà appelé.

— Il sait qu’en principe je ne suis pas à La Rousse à midi.

C’était la gendarmerie de Mouthe, le chef de brigade qui lui demandait si elle serait chez elle dans l’après-midi.

— Est-ce au sujet du mort du Mont-Noir ?

— Exactement, madame. Nous voudrions vous poser quelques questions.

— Bien, je vous attendrai, mais j’ai appris cette découverte en me rendant à Chapelle-des-Bois.

Elle raccrocha.

— Les flics ? demanda Robert, la voix faussée.

— Ils vont venir dans l’après-midi.

— Vous allez me donner, hein ?

Elle soupira avec lassitude :

— Tu sais bien que non. Il vaut mieux que tu montes dans la chambre tout de suite. Moi je dois mettre un peu d’ordre, faire disparaître les traces que tu as pu laisser.

— Vous allez vous laisser piéger, dit-il, anxieux.

— Je ne suis pas idiote.

— Que direz-vous pour les traces de scooter ? Pour les papiers qui enveloppaient les produits congelés ?

— Les traces ? Je cherchais Truc. Les papiers, il en existe des milliers un peu partout.

— Bon, je monte.

Lorsqu’elle fut seule elle revint dans la cuisine, ouvrit le tiroir. Le couteau à découper occupait un emplacement spécial. Il paraissait très propre, mais elle savait qu’on pouvait retrouver des traces de sang infimes sur le bois, que les laboratoires de police disposaient d’un équipement très sophistiqué. Il était trop tard pour le nettoyer à l’eau chaude. Il n’aurait pas le temps de sécher. Mais jamais les gendarmes ne songeraient qu’elle détenait l’arme de l’accident. Car elle n’avait pas avalé cette histoire d’éclat de verre.

Ce fut très long jusqu’à 3 heures. De temps en temps Robert l’appelait depuis le premier d’une voix chuchotante.

— Quand ils seront là, allonge-toi sur le tapis et ne bouge plus. Pas sur le lit qui pourrait grincer.

— Et s’ils veulent monter ?

— De quel droit ?

Ils étaient deux qui arrivèrent par le chemin, à pied. Ils avaient dû laisser leur Estafette sur la petite route.

— Pas commode de vous atteindre, dit le brigadier. Il est vrai que vous, avec votre engin des neiges, ce n’est pas un obstacle.

L’autre avait sorti un carnet, prêt à prendre des notes.

— Sait-on de qui il s’agit ? demanda-t-elle.

— On le sait depuis peu. Albert Roquas. Quinze ans. Évadé d’un centre d’éducation spécialisé. C’est-à-dire qu’il a eu une permission de Noël et n’est pas rentré.

— Un centre d’éducation spécialisé ?

— Autrefois on appelait ça maison de correction, expliqua l’autre gendarme.

Le brigadier regardait autour de lui d’un air songeur. Lui savait qu’il y avait deux évadés. Pourquoi n’en parlait-il pas ?

— C’est une drôle d’affaire, madame Berthod. On pourrait voir votre engin ?

— Mon scooter ? Bien sûr. Maintenant si vous avez retrouvé des traces du côté de la vieille maison forestière, c’est moi qui les ai laissées. Je cherche mon chien depuis jeudi matin et je suis allée là-bas.

— À quel moment ?

— Dimanche soir. Mon mari est parti très tôt et je suis allée voir si Truc n’était pas dans le bois. J’ai cru apercevoir des traces dans cette direction. En fait de maison je n’ai vu qu’un gros tas de neige.

— Vous n’avez pas remarqué de trou dans la neige ?

— Non. Comme la nuit approchait j’ai fait demi-tour. Il est possible que mon chien soit allé là-bas.

— Oui, bien sûr. Voyez-vous, madame, si vous lisez des romans policiers, c’est le problème de la chambre close que nous cherchons à éclaircir. Ce garçon est mort d’une blessure à l’aine, en plein dans l’artère fémorale. Une blessure très profonde d’après le docteur local. Mais on va certainement pratiquer une autopsie. Seul un couteau très long a pu pénétrer dans les chairs. Or nous n’avons pas retrouvé de couteau sur lui et de plus le cadavre était enveloppé dans une couverture.

Elle frémit :

— Ce serait un crime ?

— Il me semble. Peut-être même un crime un peu spécial, si vous voyez ce que je veux dire. Nous pensons que le gosse se trouvait en compagnie d’un adulte qui aurait essayé de, enfin, d’abuser de lui… En le menaçant d’un couteau.