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— Bien rentrée, hier au soir, madame Berthod ?

— Oui, très bien, je vous remercie.

Elle s’assit à une table, commanda un Cinzano.

— Vous avez retrouvé le gosse ?

— Non, dit-elle. Il a disparu.

Maintenant tout le monde le savait. Le village, les jeunes de la ferme Lamy.

— Vous êtes montée chez les hippies ?

— Oui. Le gosse ne venait pas de chez eux.

— Dans ce cas il aurait dû parcourir une sacrée trotte pour venir jusque chez vous.

— Ne venait pas de Sur-les-Gifs, dit quelqu’un. N’ont pas d’enfants.

Elle devenait le point de mire de la demi-douzaine de consommateurs. Il lui était impossible de déjeuner là. Elle vida son verre un peu trop vite, surprit des regards. On penserait qu’elle buvait peut-être un peu trop.

— Votre scooter, il marche ? demanda Michel.

— Parfaitement. J’ai fait une longue balade après votre départ.

Il ne se passait rien dans le petit pays et le moindre fait prenait de l’importance, était accolé à d’autres et comme une boule de neige roulant d’un sommet finissait par devenir une véritable avalanche.

Sur la route de la distillerie où elle avait décidé de prendre son repas elle roulait lentement. On avait encore sablé et les chenilles faites pour la neige en souffraient. Lorsqu’elle laissa le scooter devant la porte du petit restaurant il y eut bientôt quelques gosses pour se rassembler autour.

L’après-midi, elle évolua à pleine vitesse sur le plateau, prenant des virages très secs, sautant par-dessus des buttes. Truc perdit l’équilibre, roula dans la neige. Inquiète, elle s’arrêta pour l’appeler. Il accourut mais refusa de monter à nouveau derrière elle. Elle dut rouler lentement vers la maison tandis qu’il suivait, au prix de gros efforts, à côté. Il finit quand même par accepter de monter mais se tapit, apeuré, dans le fond.

En approchant, elle le vit qui dévalait une pente, allongé sur la luge. Il était allé chercher celle-ci dans la grange et s’amusait tout seul avec une gravité curieuse. Il ne l’avait pas vu arriver et elle accéléra pour lui couper la route, l’obligeant à virer sec. La luge se retourna et il sortit de la neige en s’ébrouant avec un air furieux.

— Vous avez failli me rentrer dedans, cria-t-il avec rage.

— Dis donc, qui t’a permis de prendre la luge ?

— Vous n’étiez pas là, lui lança-t-il. Mais vous pouvez la reprendre. Elle marche mal.

— Tu mens. Elle est excellente.

Elle bouillonnait de questions rageuses, elle aussi, mais comprit qu’il se méfiait, était prêt à filer vers les bois si elle montrait sa rancune. Sans plus s’occuper de lui, elle rentra l’engin dans la grange, alla se servir un whisky avec beaucoup d’eau. La neige l’altérait toujours.

— J’ai rapporté votre luge, lui dit-il. Elle est dans la grange. Pourquoi vous n’avez pas fait du feu ?

Tandis qu’il s’approchait de la cheminée, elle le contourna innocemment, lui barrant la sortie. Elle eut envie de lui dire : « À nous deux, mon bonhomme », mais s’abstint.

— Hier au soir, je suis allée à la ferme Lamy. Ils ne te connaissent pas, là-haut.

Il se retourna lentement, l’air méprisant.

— Vous m’espionnez.

— Je veux savoir d’où tu sors, cria-t-elle.

Puis s’en rendant compte, elle essaya de sourire.

— D’abord tu vas me dire ton nom. Ensuite où tu habites.

— Ça ne vous regarde pas, dit-il.

Il se dirigea vers elle d’un pas si ferme qu’elle eut peur. Fugitivement, mais peur tout de même.

— Où vas-tu ?

— Laissez-moi passer, je pars.

Truc soudain se redressa et grogna inexplicablement. L’enfant se mit à hurler :

— Laissez-moi sortir, il va me mordre.

— Tu sais bien que ce n’est pas vrai. Truc ne te fera pas de mal.

Elle le saisit par le bras. C’était la première fois qu’elle faisait un geste pareil, était heureuse de sentir de la résistance sous la cape. Pierre était réel, bien vivant.

— Vous m’embêtez, dit-il. Je vais partir et je ne reviendrai plus jamais, comme votre petit garçon.

Horrifiée, elle le lâcha.

— Que dis-tu ?

— Il est parti et n’est jamais revenu ? Puisqu’il est mort ?

— Comment sais-tu cela ?

Pierre la regardait avec une expression sournoise. Non, il n’avait rien prémédité. Il ne pouvait pas savoir. Ou alors il appartenait à une famille du pays. Et dans le pays on savait comment Antoine avait disparu.

— Laissez-moi sortir.

— Depuis quand es-tu ici ?

— Je veux partir.

— Tu ne veux rien manger ?

Une ombre d’hésitation parut le faire flotter mais il secoua la tête avec une hargne visible.

— Vous vous moquez de moi. Vous ne me donnez jamais ce que je veux. Vous m’aviez promis de l’oie farcie et où est-elle ?

— Mais je n’en ai pas trouvé, fit-elle, partagée entre le rire et l’effarement. Et puis je ne t’avais rien promis, c’est toi qui m’as demandé.

— Que pouvez-vous me faire ?

— Tu veux goûter du foie gras ?

— J’aime pas le foie.

— Mais celui-là… Bon… On peut regarder ce qu’il y a dans le congélateur, si tu veux.

— Le grand machin blanc comme un coffre ?

Ce n’était peut-être qu’une ruse pour l’écarter de la porte. Elle en accepta le risque mais il la suivit dans la cuisine. Elle fit l’inventaire de ses réserves, songea à des frites avec du coq au vin. Il finit par accepter.

— Là, qu’est-ce qu’il y a ?

— Un gigot mais il faudrait du temps pour le faire cuire.

— Demain vous pourrez ?

Comment pouvait-il venir chaque jour sans que personne ne s’inquiète ? C’était impensable. Tout paraissait normal durant quelques instants puis on basculait vite dans l’irréel avec lui.

— Tu pourras venir demain ?

— Mais j’y serai. Je couche ici ce soir. Mes parents sont d’accord.

Elle se sentait lasse à l’avance. Le harceler de questions comme un policier ne servait qu’à l’épuiser elle. Et il pouvait disparaître comme il l’en avait menacée. Elle ne souhaitait pas qu’il parte pour ne plus revenir.

— Tu devais me rapporter un mot, dit-elle.

— Mais je l’ai… Attendez.

Il quitta la table pour aller fouiller dans la poche intérieure de sa cape, rapporta un papier plié en quatre. Du papier d’écolier quadrillé. « J’autorise mon fils à passer la nuit chez vous chaque fois qu’il voudra. »

— Je ne peux pas lire la signature, dit-elle.

— C’est mon père. Il signe toujours comme ça.

Un mot calqué sur ces billets par lesquels on excuse son fils auprès d’un instituteur. L’écriture en était malhabile, enfantine. Elle pensa tout de suite que c’était Pierre qui l’avait fait.

— Bien, dit-elle songeuse en posant le pot sur le buffet. Ça ne dit toujours pas ton nom.

— Roso, dit-il.

— Comment tu l’écris ? murmura-t-elle dans un souffle, craignant avoir mal entendu.

Enfin elle détenait une preuve.

— R.O.S.O. C’est tout simple.

— Oui.

Brusquement heureuse à éclater, elle alla examiner la signature du billet. En effet on pouvait lire un O dans le gribouillis. Elle en oubliait son repas. Les frites précuites n’avaient besoin que d’un bain d’huile bouillante et le coq au vin réchauffait lentement.

— Écoute, dit-elle. Pendant que tu manges, je vais te chercher d’autres habits. Tu verras, ils sont tout neufs. Il y a même une belle combinaison imperméable pour le ski… ou la luge, des knickers, des chaussures et des bons pulls. Je reviens tout de suite.