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Y avait Fernand, y avait Firmin, y avait Francis et Sbastien,

Et puis Pau-l-teu...

On tait tous amoureux d'elle,

on se sentait pousser des ailes,

bicy-cl-teu...

Et Philou qui n'tait mme pas l...

Parti dans ses chteaux en Espagne...

Franck se tenait trs droit, les mains derrire le dos.

Camille pleurait.

La, la, la... Mine de rien,

La voil qui revient, La chanso-nnet-teu...

Elle avait disparu,

Le pav de ma rue,

tait tout b-teu...

Les titis, les marquis

C'est parti mon kiki...

Elle souriait... les titis, les marquis... Mais c'est nous, a...

La, la, la, haut les curs

Avec moi tous en chur...

La chanso-nnet-teu...

Madame Carminot tripotait son chapelet en reniflant.

Combien taient-ils dans cette fausse chapelle en faux marbre ?

Une dizaine peut-tre ?

part les Anglais, que des vieux...

Surtout des vieilles.

Surtout des vieilles qui hochaient la tte tristement.

Camille s'effondra sur l'paule de Franck qui continuait de se triturer les phalanges.

Trois petites notes de musique,

Ont pli boutique,

Au creux du souvenir...

C'en est fini d'leur tapage,

Elles tournent la page,

Et vont s'endormir...

Le monsieur moustachu fit un signe Franck.

Il acquiesa.

La porte du four s'ouvrit, le cercueil roula, la porte se referma et... Pfffouuuff...

Paulette se consuma une dernire fois en coutant son crooner ador.

... Et s'en alla... clopin... clopant... dans le soleil... Et dans... le vent...

Et l'on s'embrassa. Les vieilles rappelrent Franck combien elles l'aimaient sa grand-mre. Et il leur souriait. Et il se broyait les molaires pour ne pas pleurer.

Les bonnes gens se dispersrent. Le monsieur lui fit signer des papiers et un autre lui tendit une petite bote noire.

Trs belle. Trs chic.

Qui brillait sous le faux lustre intensit variable.

A gerber.

Yvonne les invita prendre un petit remontant.

Non merci.

Sr?

Sr, rpondit Franck en s'agrippant son bras.

Et ils se retrouvrent dans la rue.

Tout seuls.

Tous les deux.

Une dame d'une cinquantaine d'annes les aborda.

Elle leur demanda de venir chez elle.

Ils la suivirent en voiture.

Ils auraient suivi n'importe qui.

17

Elle leur prpara un th et sortit un quatre-quarts du four.

Elle se prsenta. Elle tait la fille de Jeanne Louvel.

Il ne voyait pas.

C'est normal. Quand je suis venue habiter la maison de ma mre, vous tiez parti depuis longtemps dj...

Elle les laissa boire et manger tranquillement.

Camille alla fumer dans le jardin. Ses mains tremblaient.

Quand elle revint s'asseoir avec eux, leur hte alla chercher une grosse bote.

Attendez, attendez. Je vais vous la retrouver... Ah ! La voil ! Tenez...

C'tait une toute petite photo crante crme avec une signature chichiteuse en bas droite.

Deux jeunes femmes. Celle de droite riait en fixant l'appareil et celle de gauche baissait les yeux sous un chapeau noir.

Toutes les deux chauves.

Vous la reconnaissez ?

Pardon ?

L... C'est votre grand-mre.

L?

Oui. Et ct c'est ma tante Lucienne... La sur ane de ma mre...

Franck tendit la photo Camille.

Ma tante tait institutrice. On disait que c'tait la plus jolie fille du pays... On disait aussi qu'elle tait bien bcheuse, cette petite... Elle avait de l'instruction et avait refus plusieurs fois sa main, alors oui, une drle de petite bcheuse... Le 3 juillet 1945, Rolande F., couturire de son tat, dclare... Ma mre connaissait le procs-verbal par cur... Je l'ai vue s'amuser, rire, plaisanter et mme un certain jour avec eux (des officiers allemands) jouer s'arroser en tenue de bain dans la cour de l'cole.

Silence.

Ils l'ont tondue ? finit par demander Camille.

Oui. Ma mre m'a racont qu'elle est reste prostre pendant des jours et des jours et qu'un matin sa bonne amie Paulette Mauguin est venue la chercher. Elle s'tait ras la tte avec le coupe-chou de son pre et riait devant leur porte. Elle l'a prise par la main et l'a force l'accompagner en ville chez un photographe. Allez, viens... lui disait-elle, a nous fera un souvenir... Viens, je te dis ! Ne leur fais pas ce plaisir... Allez... Lve la tte, ma Lulu... Tu vaux mieux qu'eux, va... Ma tante n'osa pas sortir sans chapeau et refusa de l'enlever chez le photographe, mais votre grand-mre... Regardez-moi a... Cet air espigle... Quel ge elle avait a l'poque ? Vingt ans ?

Elle est de novembre 1921.

Vingt-trois ans... Courageuse petite bonne femme, hein ? Tenez... Je vous la donne...

Merci rpondit Franck, la bouche toute tordue.

Une fois dans la rue, il se tourna vers elle et lui lana crnement :

C'tait quelqu'un ma mm, hein ?

Et il se mit pleurer.

Enfin.

Ma petite vieille... sanglotait-il. Ma petite vieille moi... La seule que j'avais au monde...

Camille se figea soudain et retourna chercher l'urne en courant.

Il dormit dans le canap et se leva trs tt le lendemain.

Depuis la fentre de sa chambre, Camille le vit disperser une poudre trs fine au-dessus des pavots et des pois de senteur...

Elle n'osa pas sortir tout de suite et quand, enfin, elle se dcida lui apporter un bol de caf brlant, elle entendit le vrombissement de sa moto qui s'loignait.

Le bol se cassa et elle s'effondra sur la table de la cuisine.

18

Elle se releva plusieurs heures plus tard, se moucha, prit une douche froide et retourna ses pots de peinture.

Elle avait commenc repeindre cette putain de maison et elle finirait son boulot.

Elle se brancha sur la FM et passa les journes suivantes en haut d'une chelle.

Elle envoyait un texto Franck toutes les deux heures environ pour lui raconter o elle en tait :

09:13 Indochine, dessus buffet

11:37 Acha, Acha, coute-moi, tour fentre

13:44 Souchon, clope jardin

16:12 Nougaro, plafond

19:00 infos, jambon beurre

10:15 Beach boys, s. de bains

11:55 Bnabar, c'est moi, c'est Nathalie, pas boug

15:03 Sardou, rinc pinceaux

21:23 Daho, dodo

Il ne lui rpondit qu'une seule fois :

01:16 silence

Voulait-il dire : fin du service, paix, calme, ou voulait-il dire : boucle-la ?

Dans le doute, elle teignit son portable.

19

Camille ferma les volets, alla dire au revoir ... aux fleurs et caressa le chat en fermant les yeux.

Fin du mois de juillet.

Paris touffait.