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Pilguez avait tapé juste, il entraînait Arthur sur un terrain qui le captivait, mais ce que Pilguez découvrit c'est qu'il était aussi passionnant, et le vieil inspecteur tomba dans son propre piège ; lui qui avait voulu créer un intérêt de la part d'Arthur, une voie pour communiquer, se fit prendre par le récit de son suspect.

Arthur lui fit un véritable cours d'histoire de la pierre, de l'architecture ancienne à l'architecture traditionnelle, en abordant l'architecture moderne et contemporaine. Le vieux flic était envoûté, il enchaînait ses questions les unes aux autres et Arthur y apportait des réponses. La conversation dura ainsi plus de deux heures sans que jamais le temps ne leur semblât long. Pilguez apprit comment sa propre ville avait été reconstruite après le grand tremblement de terre, l'histoire des bâtiments qu'il voyait tous les jours, toute une série d'anecdotes, celles qui racontent comment naissent les villes et les rues que nous habitons.

Les cafés se succédaient et Lauren stupéfaite assistait impassiblement à l'étrange complicité qui s'installait entre Arthur et l'inspecteur.

Au détour d'un récit sur la genèse du Golden Gâte, Pilguez l'interrompit, posant sa main sur la sienne il changea brusquement de sujet. Il voulait lui parler d'homme à homme et sans son badge. Il avait besoin de comprendre, il se décrivit comme un vieux policier que son instinct n'avait jamais trompé. Il sentait et savait que le corps de cette femme était caché dans cette pièce fermée au bout du couloir. Pourtant il ne comprenait pas les motivations de cet enlèvement. Arthur était pour lui le type d'homme qu'un père voudrait avoir pour fils, il le trouvait sain, cultivé, passionnant, alors pourquoi allait-il prendre le risque de tout foutre en l'air en allant piquer le corps d'une femme dans le coma ?

- C'est dommage, je croyais que nous sympathisions vraiment, dit Arthur en se levant.

- Mais c'est le cas, ça n'a rien à voir ou au contraire ça a tout à voir. Je suis sûr que vous avez de vraies bonnes raisons et je vous propose de vous aider.

Il serait honnête avec lui jusqu'au bout des doigts et commença par lui confier qu'il n'aurait pas son mandat ce soir, il n'avait pas de preuves suffisantes.

Il faudrait qu'il aille voir le juge à San Francisco, qu'il négocie et le convainque, mais il y arriverait.

Cela lui prendrait trois ou quatre jours, assez de temps pour qu'Arthur déplace le corps, mais il l'assura qu'une telle entreprise serait une erreur. Il ne connaissait pas ses motifs, mais il allait gâcher sa vie. Il pouvait encore l'aider et le lui proposait, si Arthur acceptait de lui parler et de lui expliquer les clés de ce mystère. La repartie d'Arthur fut teintée d'une certaine ironie. Il était sensible à la démarche généreuse de l'inspecteur et à sa bienveillance, surpris toutefois d'être devenu si proche de lui en deux heures de conversation. Mais lui aussi plaida ne pas comprendre son invité. Il débarquait chez lui, Arthur l'accueillait, le restaurait, et lui s'entêtait à l'accuser sans preuve ni motif d'un forfait absurde.

- Non, c'est vous qui vous entêtez, rétorqua Pilguez.

- Alors quelles sont vos raisons de m'aider, si je suis votre coupable, à part de résoudre une énigme de plus ?

Le vieux flic fut sincère dans sa réponse, il avait brassé dans son métier pas mal d'affaires, avec des centaines de motifs absurdes, de crimes sordides, mais il y avait toujours eu un point commun entre tous les coupables, celui d'être des criminels, des tordus, des maniaques, des nuisibles, mais chez Arthur ça ne semblait pas être le cas. Alors après avoir passé toute sa vie à mettre des cinglés derrière des barreaux, s'il pouvait éviter à un type bien de s'y retrouver, parce qu'il s'était impliqué dans une situation impossible, «j'aurais au moins le sentiment d'avoir été une fois du bon côté des choses », conclut-il.

- C'est très gentil à vous, je le pense en le disant, j'ai apprécié ce déjeuner avec vous, mais je ne suis pas impliqué dans la situation que vous décrivez. Je ne vous congédie pas mais j'ai du travail, nous aurons peut-être l'occasion de nous revoir.

Pilguez acquiesça d'un hochement désolé de la tête et se leva en saisissant son imperméable. Lauren, qui durant toute la conversation des deux hommes s'était assise sur le buffet, sauta sur ses jambes et les suivit lorsqu'ils s'engouffrèrent dans le couloir qui menait à l'entrée de la maison.

Devant la porte du bureau Pilguez s'immobilisa, regardant la poignée.

- Alors vous l'avez ouverte, votre boîte à souvenirs ?

- Non, pas encore, répondit Arthur.

- C'est dur parfois de replonger dans le passé, il faut beaucoup de force, beaucoup de courage.

- Oui, je sais, c'est ce que j'essaie de trouver.

- Je sais que je ne me trompe pas, jeune homme, mon instinct ne m'a jamais abusé.

Alors qu'Arthur allait l'inviter à partir, la poignée de la porte se mit à tourner, comme si quelqu'un l'actionnait de l'intérieur, et la porte s'ouvrit. Arthur se retourna stupéfait. Il vit Lauren dans l'embrasure du chambranle, elle lui souriait avec tristesse.

- Pourquoi as-tu fait ça ? murmura-t-il, le souffle coupé.

- Parce que je t'aime.

De l'endroit où il était, Pilguez vit instantanément le corps qui reposait sur le lit, avec sa perfusion.

« Dieu merci, elle est en vie. » Il entra dans la pièce, laissant Arthur à l'entrée, s'approcha et s'agenouilla près du corps. Lauren prit Arthur dans ses bras. Elle l'embrassa sur sa joue, tendrement.

- Tu n'aurais pas pu, je ne veux pas que tu gâches le reste de ta vie pour moi, je veux que tu vives libre, je veux ton bonheur.

- Mais c'est toi, mon bonheur.

Elle posa un doigt sur ses lèvres.

- Non, pas comme ça, pas dans de telles circonstances.

- À qui parlez-vous ? demanda le vieux policier d'une voix très amicale.

- À elle.

- Il faut que vous m'expliquiez, maintenant, si vous voulez que je vous aide.

Arthur regarda Lauren, les yeux pleins de désespoir.

- Il faut que tu lui racontes toute la vérité, il te croira ou pas, mais restes-en à la vérité.

- Venez, dit-il s'adressant à Pilguez, allons dans le salon, je vais tout vous expliquer.

Les deux hommes s'assirent sur le grand canapé et Arthur raconta toute l'histoire, depuis ce premier soir où dans son appartement une femme inconnue, cachée dans le placard de sa salle de bains, lui avait dit : « Ce que je vais vous dire n'est pas facile à entendre, impossible à admettre, mais si vous voulez bien écouter mon histoire, si vous voulez bien me faire confiance alors peut-être que vous finirez par me croire et c'est très important car vous êtes, sans le savoir, la seule personne au monde avec qui je puisse partager ce secret. »

Et Pilguez l'écouta, sans jamais l'interrompre.

Beaucoup plus tard dans la soirée, lorsque Arthur eut fini son récit, il se leva du fauteuil et toisa son interlocuteur.

- Vous voyez, avec une telle histoire, cela fait un fou de plus dans votre collection, inspecteur !

- Elle est là, près de nous ? demanda Pilguez.

- Assise sur le fauteuil qui vous fait face, et elle vous regarde.

Pilguez frotta sa barbe courte en hochant la tête.

- Bien sûr, dit-il, bien sûr.

- Qu'allez-vous faire maintenant ? demanda Arthur.

Il allait le croire ! Et si Arthur se demandait pourquoi, c'était simple. Parce que pour inventer une histoire pareille au point de prendre les risques qu'il avait pris, il ne fallait pas être fou, il fallait être complètement dément. Et l'homme qui lui avait parlé à table de l'histoire de la ville qu'il servait depuis plus de trente ans n'avait rien d'un dément.

« Il faut que votre histoire soit rudement vraie pour que vous ayez entrepris tout cela. Je ne crois pas beaucoup en Dieu, mais je crois à l'âme humaine, et puis, je suis en fin de carrière et j'ai surtout envie de vous croire. »